Violence et mensonges

Face à un gouvernement qui utilise la violence et le mensonge pour administrer le désastre, des êtres refusent la passivité : offensifs sans être agressifs, ils utilisent leurs droits à la légitime défense contre l’oppression.

« Du mensonge à la violence »… à la violence du mensonge.

« Il est décédé, le mec ! Là, c’est vachement grave… Faut pas qu’ils le sachent ! » Les récits des auditions des gendarmes laissent penser qu’il s’agit d’un état de guerre. Une guerre entre des militaires et des manifestants armés de pierres. En trois heures, ce sont 237 grenades lacrymogènes, 38 grenades GLI F4 [1], 23 grenades offensives F1, 41 balles de défense avec lanceur de 40 × 46 mm, qui ont été lancés vers les manifestants. David contre Goliath. Rémi contre l’Etat.

La mort d’un militant écologiste qui s’opposait au projet de barrage du Testet a suscité bien des commentaires et des enquêtes pendant deux semaines. Le président de la république dans son show télévisé a pu éluder toutes les vraies questions en évacuant celle sur la mort de Rémi Fraisse dès le commencement de son émission. Belle manœuvre. Sur le lieu du barrage, alors que la préfecture avait promis que ce rassemblement se déroulerait sans présence des forces de l’ordre, elles étaient là et elles furent violentes. C’est corroboré en partie par ce témoignage : « Je tiens à préciser que le préfet du Tarn, par l’intermédiaire du commandant de groupement, nous avait demandé de faire preuve d’une extrême fermeté vis-à-vis des opposants par rapport à toutes formes de violences envers les forces de l’ordre », rappelle le lieutenant-colonel L. On a caché la mort de Rémi, on a masqué l’origine de sa mort pour contenir une réaction trop forte. On sait qu’avec le temps…

A l’ORTF, rien n’avait été dit, sauf que la contestation serait condamnée dès qu’elle s’avérait violente. On allait la rendre visiblement violente. Ce ne fut pas difficile. On parla de black blocks, de casseurs, comme au temps de Pasqua pour Malik Oussekine. A ceci près qu’en 1986, des millions de jeunes défiaient le pouvoir. Devaquet démissionnait. Pasqua restait. Le pouvoir comme à son habitude séparait les bons des mauvais manifestants, les casseurs des rues dont certains étaient des flics apparaissaient comme des barbares, et la masse effrayée restait chez elle rongeant son frein, adoptant la vision d’en haut pour ne pas se dédire.

On ne parla pas des grands projets inutiles ou de la raison d’être d’un Center Parc en Isère, on n’évoqua pas l’utilité d’un barrage, de ce qu’il nie et qui ne reviendra plus. On parla zones franches sur un ton badin, entrepreneuriat, petites ficèles que chacun tire dans son coin pour le plus grand soulagement du chacun pour soi. Badinguet continuait son numéro avec une nouvelle tête plus carrée et un visage de robot.

Aujourd’hui, si on n’a pas encore peur de descendre dans la rue pour protester, on reçoit avec la bénédiction des médias son hostie en lacrymogène. Rester au bas de sa tour dans une cité peut vous conduire droit au cimetière ; en prison si vous étiez grimés dans un carnaval à Marseille, à l’hôpital avec une perte d’un œil si vous étiez en manifestation à Montreuil ou à Nantes. Encore à Blois la semaine passée. Et être arabe à Clermont-Ferrand vous envoyait direct à la morgue. La mort fait peur et la police sert à ça. Faire peur et faire en sorte que la population se solidarise avec le plus fort. On dirait que cette manie a déjà porté ses fruits. Nous dissuader d’aller dans la rue, et se payer sur nos corps. On peut avoir peur mais on ne peut être lâche. Il faut donc trouver les moyens de rester ensemble.

Contenir l’émotion populaire

Et voilà l’affaire Jouyet qui nous arrive dès lundi matin avec l’habituelle ronde des petits cochons qui se tiennent la queue, de BFM à Libé. L’affaire Jouyet c’est à peu près rien sur l’échelle de l’Histoire, tout au plus une embrouille entre deux clans du pouvoir. Mais ça tombe bien pour changer l’air chargé de souffre, ce petit courant d’air qui permet à tout le monde de regarder ailleurs. L’affaire Nabilla n’avait pas suffit. La rubrique criminelle était déjà pleine. François Bayrou demande la démission de Jouyet. Il n’y a aucune raison de demander celle de Cazeneuve. On reste entre amis.

Le gouvernement est de plus en plus illégitime. Ce n’est pas l’effondrement des sondages qui nous le dit mais ce sont les parents d’élèves de Marseille ou de Seine Saint Denis, les postiers des Hauts-de-Seine ou Serge Reynaud à Marseille jugé pour refus d’obéissance, les lycéens de partout, les administrés de Champagne ou de Bretagne, les licenciés de Continental ou les Moulins Maurel, ceux de Picardie ou d’Aquitaine. Et ce sont encore les occupants de Notre-dame-des-Landes et les refuseurs de la ferme des Mille-Vaches. Partout et toujours des résistants, c’est-à-dire des êtres refusant la passivité, offensifs sans être agressifs, qui utilisent leurs droits à la légitime défense contre l’oppression.

Combien de Carcenac ?

Excusez-nous, mais ce qui nous préoccupe ici, c’est non seulement, que nous ne voulons plus qu’il soit possible qu’on nous arrache un œil parce que nous allons dans la rue, qui restera au peuple tant qu’il saura y demeurer, parce que nous voulons qu’on cesse de nous imposer des projets porteurs de mort et d’esclavage, de la ferme des Mille-Vaches au Testet, de Notre-dame-des-Landes au Val de Suza, et parce que nous voulons que les dirigeants paient quand ils trichent, quand ils mentent, quand ils commandent la mort : Cahuzac est démasqué mais libre, Carcenac est démasqué mais libre, Ayrault et d’autres dont la litanie nous exaspère, sont libres. Les nôtres sont blessés ou morts. D’autres comme Marco Camenisch crèvent en prison.

Résistance

Des assemblées populaires naissent dans tout le pays face à cette absence de démocratie. Elles sont des lieux de dialogue face à la force des pouvoirs constitués. Si elles existent c’est que des gens pris dans l’étau des nouvelles formes managériales exigés dans leur travail, ne supportent plus cette existence, c’est que des chômeurs rejetés par les mêmes formes ne savent plus où exprimer leur mécontentement, c’est que des usagers prennent peur quand les guichets de la CAF ou de l’Hôpital sont fermés, quand l’école disparaît faute d’enseignants. Ce sont évidemment toutes des mamies Khmers Verts qui veulent conserver un bout de quartier, une once de verdure, ce sont ces djihadistes de 60 balais qui n’ont pas envie que ce qui reste de terre soit bitumé ou qu’on rallume l’éclairage public dans des petites villes entièrement mortes. C’est Fred, l’ex-militaire et ex-boulanger dont le renversement est complet : « Les politiques ont peur de nous, et ils ont raison, car on les remet en cause dans leur pratique du pouvoir. » Pacôme Thiellement se demande qui écrira le Poème du Management et de la Mort : « On meurt dans la langue aplatie des ministres et des hommes d’affaires, des technocrates et des chroniqueurs télévisuels. Une langue que tout le monde parle, mais que personne n’écoute. »

En 2012, Gilbert Bordes signait un roman nommé Barrage où il raconte un projet de barrage en Corrèze qui date de 1911. Dialogue :

« — Et les écologistes ? Il paraît qu’ils prévoient une manifestation dimanche prochain ?

— Des emmerdeurs dit Belmas. (…) On va les mettre au pas eux aussi. »

Pas un département où des citoyens de toutes obédiences, des retraités paisibles ou des familles tranquilles ne contestent des projets faits sans eux. Souvent contre eux. Pas une région du monde où l’on ne s’oppose pas à une multinationale. A Marseille, c’est un parc qu’on supprime pour ériger des immeubles, à Lussat dans la Creuse, on rouvre une carrière pour extraire de l’or, des lignes de TGV sont contestées au moins dans trois régions, les incinérateurs de Clermont-Ferrand et de Fos-sur-Mer empoisonnent l’atmosphère de milliers de rurbains, une autoroute à la Réunion plongera l’économie de l’île non seulement dans le rouge mais dans la mer. A Bure on enterre des déchets nucléaires. Décharges, autoroutes, barrages, mines, supermarchés, le béton est partout et l’humanité étouffe. On lui envoie des lacrymogènes pour respirer. Même quand on est « écolo », on se retrouve à se battre contre des gares ou des trains tant les infrastructures semblent étudiées dans le seul but de passer des marchés avec le BTP ou le nucléaire.

Internationale du béton

L’urgence climatique c’est l’urgence d’en finir avec un capitalisme qui détruit tout avec la complicité des mêmes appareils, des appareils aussi infime que le conseil général du Tarn où tout se décide en famille depuis trop longtemps, et sans contestation. Des appareils comme Vinci, Alcan, Cominor. Des trusts et des multinationales puissantes. Elles travaillent contre nous, qui ne sommes même pas une Internationale et avons contre nous une encyclopédie de nuisances. Ces nuisances se répondent mais ne nous unissent que lorsque nous faisons entendre une même voie pour les désavouer.

Christophe Goby

P.-S.

Dans le livre de Bordes, un des protestataires chassés par les CRS a cette phrase : « Nous n’abandonnerons jamais ! Ne l’oubliez pas ! »

Notes

[1Les grenades GLI (Grenade Lacrymogène Instantanée) est une grenade offensive, ne pas la confondre avec l’OF F1, désormais temporairement interdite suite à la mort de Rémi Fraisse.. Pour plus d’informations sur l’armement de la police et de la gendarmerie, voici un document récapitulatif.