Travailler pendant l’épidémie : protections insuffisantes et inégalités

Le rapport de l’enquête sur le travail pendant l’épidémie, menée par l’Union des ingénieurs et cadres de la CGT, fait apparaître l’impact de la crise sanitaire sur les salarié-es, ainsi que les inégalités qui les frappent.

Surexposition des femmes, hausse de la charge de travail, insuffisance des mesures de protection, risques psychosociaux... L’enquête « Le monde du travail en confinement », menée via un questionnaire en ligne au cours du mois d’avril, a obtenu 34 000 réponses de tous statuts et secteurs professionnels. Elle fait apparaître l’impact de la crise sur les salarié-es, ouvrières, cadres ou employés. Nous en reproduisons ci-dessous certains enseignements. Le rapport peut être téléchargé en suivant ce lien.

Cette enquête fait ressortir :

La diversité du vécu des salarié·es en fonction de leur catégorie : le travail sur site concerne majoritairement les ouvriers/employés (61%) tandis que 70% télétravailleur·ses sont cadres et professions intermédiaires.

Les risques majeurs auxquels sont exposé·es les salarié·es qui continuent à travailler sur site. Une large majorité sont en contact avec du public et/ou avec de nombreux collègues et/ou avec des surfaces souillées, avec des facteurs de risque qui concernent davantage les ouvriers/employés et les femmes. Pourtant, 13% des salarié·es qui ont continué à travailler en présentiel sont des personnes vulnérables et 26% cohabitent avec des personnes vulnérables.

L’insuffisance flagrante des mesures de protection : seul·es 21% des salarié·es considèrent que les mesures de prévention sont totalement suffisantes pour les protéger. Dans le détail, 40% des salarié·es disent n’avoir pas eu suffisamment de masques ou de gants, 63% qu’il n’y avait pas de mesure d’éloignement immédiat pour toute personne malade et collègue en contact, 93% qu’il n’y avait pas d’alternative à l’utilisation des transports en commun.

Alors que nombreux sont ceux qui l’ont payé de leur vie, ces risques auraient pu être limités : 3 salarié·es sur 10 considèrent que leur activité n’est pas ou peu essentielle, 10% qu’elle aurait pu s’exercer en télétravail.

La mise en place d’un télétravail « en mode dégradé » : un tiers des télétravailleurs n’ont pas été dotés par leur employeur en équipement informatique, près de 80% ne disposent pas de droit à la déconnexion, 97% n’ont pas d’équipement de travail ergonomique, un quart n’ont pas d’endroit ou s’isoler et un tiers, notamment les femmes, doit télétravailler tout en gardant les enfants.

...Qui génère d’importants risques psychosociaux : 35% des télétravailleurs se plaignent d’une anxiété inhabituelle et près de la moitié de douleurs physiques.

Une augmentation du temps et de la charge de travail, notamment pour 40% des encadrant·es.

Un bilan confirmé par l’encadrement : interrogé sur les mesures mises en place par les employeurs, les encadrant·es ont confirmé les tendances données par les salarié·es directement concernés. 55% considèrent que la poursuite d’activité en présentiel constitue un risque de contamination des salarié·es et de la population, 3 sur 10 que les activités en présentiel pourraient être limitées. Ainsi, près de 30% indiquent que s’ils avaient disposé d’un droit d’alerte, de refus et de proposition alternative relatif à la situation sanitaire ou aux normes professionnelles, ils auraient été amenés à l’exercer depuis le début de la crise !

La surexposition des femmes : davantage exposées aux risques car occupant les métiers en contact avec le public, 36% des femmes ont subi une hausse de la charge de travail (contre 29% des hommes) alors que la fermeture des écoles s’est traduite pour 43% d’entre elles par plus de 4h de tâches domestiques supplémentaires. Le confinement a été facteur de tensions pour 20% des couples, et de violence pour 2% des répondant·es.

Les salarié·es ont déjà payé la crise : 55% des cadres ont ou vont perdre des jours de RTT, 57% des salarié·es en chômage partiel ont perdu des revenus, un tiers des salarié·es du privé considèrent que leur emploi est menacé. Malgré le manque de moyens mis à leur disposition, les représentant·es du personnel ont joué un rôle clé.

Un non-respect du droit généralisé

Le rapport signale que la période de confinement a été marquée par un non-respect généralisé du droit du travail :

  • pour les salarié·es travaillant sur site sans mesures de protections suffisantes ;
  • pour les télétravailleuses et télétravailleurs sans prise en charge de leurs équipement de travail, ni respect de leur temps de travail ;
  • pour les salarié·es en chômage partiel ou arrêt maladie : 31% d’entre eux ont dû continuer à travailler malgré le chômage partiel total ou l’arrêt maladie, dont 10% déclarent l’avoir fait souvent ou tout le temps ! Ceci est illégal et s’apparente à du travail au noir ; 12% des salarié·es en arrêt maladie ordinaire indiquent avoir dû insister pour obtenir cet arrêt. Dans deux tiers des cas, c’était leur employeur qui était réticent.

Des mesures de prévention très insuffisantes

Concernant le travail sur site, peu de mesures de prévention et de protection mises en place par l’employeur :

  • 33% n’ont pas mis en place de distance de sécurité d’au-moins un mètre entre les personnes ;
  • 39% n’ont pas mis à disposition de masques et gants en quantité suffisante ;
  • 33% n’ont pas mis à disposition de moyens de désinfection des surfaces ou objets souillés ;
  • 52% n’ont pas mis en place d’arrêt maladie préventif pour les salarié·es vulnérables ;
  • 63% n’ont pas mis en place d’éloignement immédiat pour tout·e salarié·e malade et les collègues en contact les jours précédents ;
  • 93% n’ont pas mis en place d’alternative à l’utilisation des transports en commun.

Seuls 21% des répondant·es estiment que les mesures de prévention mises en place sont totalement suffisantes pour les protéger, et 43% des salarié·es (chiffre qui s’élève à 49% chez les ouvriers/employés, catégorie la plus exposée aux risques listés) partent au travail la « boule au ventre » par crainte de contracter ou transmettre le covid19. Cette angoisse est très certainement un facteur de risque pour la santé mentale des salarié·es, comme l’ont montré de nombreuses études épidémiologiques sur le sentiment d’insécurité. Ce sont les salarié·es des TPE/PME et les plus précaires qui déclarent plus souvent être sans protection.