Youpi ! La ville de Tours a reçu le « guidon d’or » 2013 de la Fédération des Usagers de la Bicyclette qui récompense « la requalification » du pont Wilson sur la Loire, délesté d’une voie automobile prétendument en faveur des deux roues. Ca tombe bien, le but non avoué [1] est d’alléger le vénérable et vulnérable ouvrage pour qu’il résiste mieux aux passages répétés du tramway flambant neuf. Les cyclistes et piétons sont ravis : les premiers slalomeront « au pas » entre les badauds et les commerces ambulants prévus, les seconds s’amuseront à éviter les vélos… Comme ils utiliseront avec joie la future passerelle pour touristes vers l’île Simon (inhabitée) et tant pis pour l’aménagement des passerelles St Cosme et Fournier, réclamées depuis des lustres par les habitants. Comme le déplorent depuis des années les collectifs locaux Vélorution, Moucifon et Aquavit, la politique cycliste municipale n’est ainsi traitée que par le prisme d’un vaste bidonnage [2]. Ce qui pourrait n’être qu’une exception n’est en fait que la confirmation d’une règle locale : l’enfumage à tous les étages.
Minéralisation de l’espace et verdissement de l’image
En matière de fumigène éco-compatible, la commune s’est dotée d’un adjoint « à l’exemplarité environnementale ». Avec ses deux Verts acolytes, ils ont joué les plantes vertes décoratives, opinant à la suppression d’une promenade arborée de 600 mètres en centre-ville, comme plus généralement à la coupe systématique des arbres à chaque nouvel aménagement [3], craignant sans doute que leur carrière ne se fane trop vite. D’un autre vert, de rage celui-ci, certains habitants se battent, montant même aux branches pour s’opposer au saccage du patrimoine arboré. Qu’il est beau le panneau « Tours naturellement nature » planté sur la « Rue Nationale » récemment pavée, jugée stalinienne par des habitants condamnés à l’héliophobie [4] !
Au lieu du « Grand prix de l’arbre » décerné à la ville en 2003, le label de « tronçonneuse d’or » lui scierait mieux. Il qualifierait les pratiques tranchantes d’une politique reposant sur le mépris des besoins des habitants et sur le rouleau-compresseur du fait accompli. Les grands choix urbanistiques validés en 2011 par le Plan Local d’Urbanisme ont été imposés contre l’avis de la population et du commissaire-enquêteur (ses « recommandations » ont été rejetées). La minéralisation et la densification se développent à la hache, le tram faisant office de cheval de Troie.
Chassez cette culture populaire que je ne saurais voir…
Il en est des arbres comme de la culture populaire : elle fait de l’ombre aux réalisations municipales toutes exemplaires, toujours sous contrôle, inscrites dans le mépris socialiste originel du prolo.
Si le long règne de Jean Royer (maire de 1959 à 1995), marqué par un conservatisme et un puritanisme affichés, avait conduit à un certain foisonnement contre-culturel, inscrit dans une opposition politique claire, celui de Jean Germain, son successeur socialiste sur le trône depuis 18 ans, est marqué par la liquidation de tout évènement culturel en centre-ville qui ne soit pas sous son contrôle étroit [5].
Qu’il serait dangereux de laisser le bas peuple s’amuser avec des initiatives bâties par et pour lui. Après avoir purgé les centres sociaux ACCESS, sabordé le « Carnaval pour tous », anéanti le festival de théâtre de rue « Au nom de la Loire », relégué le festival « Aucard de Tours » aux frontières de la ville, saboté la reprise citoyenne du Bateau Ivre, délocalisé la maison des Syndicats ou encore délégué la gestion de la nouvelle salle de musique amplifiée aux plus bobos et potos des prétendants, c’est au tour du centre de tri postal, des locaux de Pôle Emploi, du collège Pasteur (stigmatisé comme un « ghetto ») d’être chassés du centre-ville.
Pour le dernier quartier populaire en centre-ville, le Sanitas, on procède par étouffements successifs et quadrillage/militarisation de l’espace, en usant de vidéosurveillance, et en supprimant tout ce qui favorisait l’intimité et la convivialité : arbres, haies, bancs, boulodromes… Les arrêtés anti-mendicité et la promptitude exemplaire à fermer chaque squat, avec l’appui jamais défaillant des institutions judiciaires et préfectorales, complètent une politique d’épuration de longue haleine. La « gentrification » s’accélère sous les coups de butoir du tramway.
Une gouvernance à toute épreuve
Pour conduire cette aseptisation, le sénateur-maire dispose d’un contrôle tentaculaire sur les divers pouvoirs locaux, notamment par le cumul forcené de 25 mandats [6]. « Le système Germain », repose sur des réseaux discrets et omniprésents, la bienveillance des Préfets et Architectes des Bâtiments de France ainsi que sur la servilité du quotidien monopolistique « La Nouvelle République du Centre-Ouest ». La dévotion d’un entourage très rapproché, avec notamment des experts financiers [7] et juridiques [8], permet, malgré quelques couacs [9], de biaiser sans cesse avec la loi et de se sentir tout puissant, sans craindre les complications, notamment du Tribunal Administratif d’Orléans [10].
Plus surprenante, la connivence avec Philippe Briand, chef de l’UMP départementale, grand patron de l’immobilier avec sa société Citya, assure une implacable emprise bi-partisane, politique et économique. L’expression de tout antagonisme politique est évitée. Le verrou est posé, les parrains gèrent.
Restent aux organes d’avalisation « citoyenne » des politiques municipales (les « Conseils de la Vie Locale ») à ronger les os de subventions annuelles pour des investissements mineurs. Ainsi, les habitants sont exclus de l’élaboration de la ville de demain, les décisions majeures étant réservées au secret du cabinet du maire et appliquées à l’unanimité. Tout conflit est désamorcé par l’impossibilité de dialoguer et par un recours systématique à l’étouffement médiatique, voire aux forces de l’ordre.
Tours, ville moderne toujours à la dernière mode d’hier, voudrait jouer dans la cour des grands. Telle la grenouille qui voulut se faire aussi grosse que le bœuf, et qui enfla si bien qu’elle creva. Et elle enfle, la bulle spéculative immobilière, par de multiples Grands Projets Inutiles Imposés locaux. De l’érection de trois tours Bouygues au pied de la gare à celle d’un musée d’art contemporain en passant par la déco Buren du tramway, le maire s’inscrit dans un avant-gardisme d’arrière garde, alliant le recyclage des innovations de la modernité, déjà périmés, au mépris des milieux urbains existants et du patrimoine local. Affranchi de toute inscription historique ou géographique, l’urbanisme s’affirme autant hors-sol que standardisé, en s’inscrivant plus largement dans le courant gestionnaire visant à évacuer toutes diversités sociales et culturelles des espaces urbains centraux. Ne pas faire de vague, contenter largement les bons amis et surtout les bons protecteurs et profiteurs que sont notamment les Bouygues, Vinci et Eiffage devenus omniprésents.
Car si Jean Germain caracole en bonne place dans la catégorie des autocrates indéboulonnables, il n’est que l’homme de paille idéal des multinationales du BTP et de la finance. Digne représentant de la petite bourgeoisie tourangelle, symbole de la médiocrité des élites politiques, il ouvre les portes de la ville pour sa mise à sac [11]. Derrière les médailles d’or, la chape de plomb.
Comité des Vengeurs Ligériens
Article paru initialement dans le numéro 13 d’Article 11