Mise à pied d’un professeur à Poitiers : la philosophie est-elle dangereuse pour la laïcité ?

Un professeur de philosophie de Poitiers, Monsieur Jean-François Chazerans, a été mis à pieds. Il lui est reproché d’avoir perturbé une minute de silence à laquelle il dit n’avoir pas assisté. Retour sur ce qui l’opposait à l’inspection générale de philosophie.

Jean-François Chazerans, a été mis à pieds pour quatre mois. Il est même question de mettre fin à sa carrière. Il lui est reproché d’avoir perturbé une minute de silence à laquelle il affirme n’avoir pourtant pas assisté, n’étant pas présent dans l’établissement. Retour sur ce qui l’opposait à l’inspection générale de philosophie et aux élus locaux.

Jean-François Chazerans peut être qualifié de professeur « engagé » [1] . C’est à dire qu’il a fait de la philosophie un art de vivre, une pratique qu’il porte dans les classes et dans les quartiers. Il a ainsi multiplié les interventions auprès des plus jeunes, et été directeur du centre socio-culturel des trois cités à Poitiers.

Son éviction, sous un motif qu’il conteste et qui ne lui a pas même été clairement signifié, fait suite à quelques désaccords avec la hiérarchie. Nous vous proposons en rappel deux de ces désaccords.

La philosophie à l’école, une pratique dangereuse ?

Le premier concerne directement sa hiérarchie au sein de l’éducation nationale. Jean-François Chazerans eut ainsi la mauvaise idée de s’opposer frontalement à Jean-Yves Chateau, inspecteur général de philosophie. Celui-ci avait eu la bonne idée de mettre les pendules à l’heure en écrivant que les pratiques philosophiques à l’école sont dangereuses. D’abord, parce qu’elles conduisent, en usurpant le nom même de philosophie pour qualifier des activités dogmatiques à teneur idéologique, à dénaturer un authentique enseignement philosophique. Ensuite, parce que de telles activités conduisent à « démoraliser » les enfants et contredisent le principe de laïcité.

Ce à quoi s’était opposé Monsieur Chazerans [2], défendant ainsi et la philosophie et son métier, contre ceux qui sont censés en être les garants.

Sur le fond, est-il normal dans cette république qui se réclame de Voltaire à tours de bras, d’affirmer que la philosophie à l’école est dangereuse pour le principe de laïcité ? Ce principe, brandi à tort et à travers, n’est-il pas devenu le cheval de Troie d’une classe dirigeante qui veut à tout prix étouffer toute pensée critique ? A chacun de juger ! Se pose tout de même la question de savoir quelle école nous voulons : une école où aucun débat n’est possible est-elle une école digne des valeurs de la République ? [3]

Un forum anti-repression interdit : vous avez dit « liberté d’expression » ?

Ensuite, en tant que président du centre socioculturel des trois cités [4], monsieur Chazerans a été contraint de démissionner. Il avait eu la mauvaise idée d’autoriser la tenue d’un forum anti-répression dans le centre. Une élue lui avait en effet signifier que si le forum avait lieu, la subvention de 60 000 euros serait supprimée. [5]

En homme intègre, Jean-François avait alors démissionné : “A titre personnel, parce que ma liberté de conscience et d’expression est censurée ; au titre de président, pour protéger le centre socioculturel.”

Qu’en conclure ?

Outre ses engagements, ce professeur a publié nombre d’articles [6] , où il dénonce l’inégalité homme-femme et les arguments des oppresseurs, ainsi que l’obscurantisme de tous bords. Qu’en conclure ? Sinon que la laïcité est devenu un argument en faveur de la mort de la pensée à l’école ? Sinon que la lutte antiterroriste sert désormais de prétexte pour éliminer toutes personnes engagées pour l’émancipation ? Les heures qui viennent, loin de restaurer les valeurs d’une république moribonde, laissent présager une chasse aux sorcières digne des régimes que l’on dénonce ailleurs comme totalitaires.

Illustration par dadavidov, CC BY-NC-SA 2.0. « Eglise certifiée "République Française" (Villedieu-sur-Indre) »

Notes

[3Voir sur cette question les récentes déclarations de la ministre Najat Vallaud-Belkacem : « Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les « Oui je soutiens Charlie, mais », les « deux poids, deux mesures », les « pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ? » Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs »