Manuels d’Histoire : quand la droite catholique se met au service du roman national

Comment vanter la grandeur de la France auprès des écoliers tout en gagnant de l’argent ? Différentes associations très droitières se lancent dans l’édition de manuels d’Histoire susceptibles d’assurer le retour du « roman national ».

Certains n’ont pas attendu que Sarkozy déclare « Dès que l’on devient français, nos ancêtres sont gaulois » pour se lancer dans une réécriture de l’Histoire susceptible de servir leurs intérêts. C’est que l’enseignement de l’histoire doit nous rendre fiers de nos élites politiques, religieuses et militaires ! Pour la très droitière association « SOS Education » :

« les programmes d’Histoire souffrent depuis trop longtemps de récupérations politiques, qui visent à insinuer dans l’esprit des enfants une idéologie de la repentance. »

Et de continuer en nous racontant combien elle a été outrée de découvrir dans un manuel de collège une double page consacrée à Napoléon :

« Sur la gauche, une petite notice, faisant office de leçon, présentait l’Empereur comme un abominable tyran belliqueux, soulignant qu’il avait rétabli l’esclavage dans les colonies. Sur la droite, le seul document qui le représentait était une caricature le montrant... en train de faire ses besoins sur son pot ! » [1]

Non, mais rendez-vous compte, quelle horreur ! Et Austerlitz, alors ?

Heureusement, nous dit l’association :

« voici qu’aujourd’hui, nous avons les moyens d’agir. Une jeune fondation, la « Fondation Aristote », qui se donne pour mission de remettre l’excellence au cœur du système scolaire, a demandé à une équipe d’historiens de rédiger un nouveau Manuel d’histoire pour les collégiens, dans l’idée de rééquilibrer l’idéologie dominante... le moment est parfaitement choisi, car les nouveaux programmes rentrent en vigueur à la rentrée prochaine, et tous les collèges vont devoir s’équiper de nouveaux manuels. »

Ouf, nous sommes sauvés !

Montjoie ! Un Lavisse sinon rien ! (extrait de "Histoire de France : cours élémentaire", Ernest Lavisse, A. Colin, 1913.)

Du côté de la Fondation pour l’école, c’est la papesse de l’enseignement privé hors contrat, Anne Coffinier, qui prend la plume pour assurer la publicité de cette Fondation Aristote et du manuel d’Histoire de Dimitri Casali [2], oublié aux éditions La Martinière et préfacé par Jean-Pierre Chevènement.

Mme Coffinier nous explique que c’est :

« une aventure proprement héroïque, initiée par la jeune Fondation Aristote (qui s’est créée sous l’égide de notre fondation, la Fondation pour l’école) et l’historien bien connu Dimitri Casali [...] Le résultat sort vraiment du lot [...] avec de vraies leçons bien écrites et un effort constant d’objectivité ».

En fait, il s’agit d’abord d’une stratégie publicitaire qui passe par l’appel à la générosité de bienveillants donateurs et le recours à une levée de fonds, selon une technique déjà largement éprouvée dans la mouvance de l’association SOS Education [3]. Cette stratégie passe par la diffusion gratuite de versions numériques du livre de Casali, seule la version papier devant être payante (une vingtaine d’euros).

Cette technique a déjà été testée au sein de ce réseau. Elle explique en partie le succès d’une maison d’édition créée en 2007, la Librairie des écoles, auprès des établissements catholiques (en particulier hors contrat) et chez les partisans de « l’École à la maison ». La Librairie des écoles avait en effet tout pour leur plaire : elle a été fondée par Jean Némo, le fils de l’écrivain Philippe Némo, qui est une référence idéologique pour SOS Education. Elle a d’ailleurs bénéficié d’une intense campagne publicitaire de la part de cette association.

L’idée de départ de Jean Némo était simple : remettre au goût du jour des « méthodes » traditionnelles qui auraient fait leur preuve. C’est avec du vieux que l’on peut faire du neuf au meilleur coût. La recette n’est pas très compliquée : en rééditant d’anciens livres scolaires tombés dans le domaine public (moyennant tout de même quelques adaptations telles de nouvelles mises en page, de nouvelles images ou autres modifications minimes), la marge de profit est évidemment plus intéressante. D’ailleurs, même si certains ouvrages ne sont pas encore tombés dans le domaine public, il est parfois difficile de retrouver les ayants droits des auteurs ou des éditeurs, certaines maisons d’édition ayant disparu.

Cela n’empêche pas de publier quelques nouveaux auteurs, et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, c’est tout naturellement que les Némo père et fils ont rédigé des manuels d’histoire et de géographie diffusés ensuite par la Librairie des écoles et vivement recommandés par la Fondation pour l’école de Coffinier...

Celle-ci estime en effet qu’il ne faut pas hésiter à « recourir à de vieux voire très vieux manuels » mais signale aussi « quelques manuels récents particulièrement intéressants [...] et en particulier [...] les Manuels d’Histoire de la Librairie des écoles » [4].

Force est d’admettre que la Librairie des écoles a bien su mener sa barque : d’abord petite EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) au capital de 1 000 €, la Librairie des école a vite changé de statut, devenant en quelques années une société en actions simplifiée au capital de 400 000 € . Elle est aujourd’hui une filiale du groupe Albin-Michel/Magnard/Vuibert, ce qui lui assure un bon réseau de distribution auprès des libraires et la rend un peu plus présentable en masquant son passé « militant ».

L’exemple de la Librairie des écoles ne pouvait qu’inciter les mouvances SOS Éducation / Fondation pour l’école / Manif pour tous (MPT) à se montrer encore plus entreprenantes dans ce domaine. Il illustre bien que le marché du livre scolaire peut être fort lucratif et est encore « ouvert » pour qui sait trouver le bon créneau.

De quoi préparer dans de bonnes conditions le retour du « roman national » comme nous le promettent plusieurs des prétendants à la présidentielle. C’est aussi tout le pari de la « fondation Aristote » et de son partenariat avec les éditions La Martinière.

Notes

[1Source : article tiré du site "Le blanc et le noir".

[2Voir par exemple cet article d’un site qui propose des « Regards chrétiens sur la culture », critiquesdepresse.com. Pour une analyse du manuel scolaire de Casali, voir cet autre article de clionautes.org .

[3Comme le montrent les deux liens suivants (qui aboutissent à la même page web) : "e.soseducation.org" et "kisskissbankbank.com".

[4Voir cet article de "lalibrairiedesecoles.com" et cet autre de "créer-son-école".