Liquidation de Presstalis : lettre ouverte à Laurent Garcia, fossoyeur de la presse

Le tribunal de commerce de Paris vient de prononcer la liquidation de la société SAD, prestataire de Presstalis, et des 512 travailleurs qui acheminaient la presse toutes les nuits. Ils s’adressent au député Garcia du Modem qui est le rapporteur-fossoyeur de la loi Bichet.

Depuis des dizaines d’années, la presse bourgeoise porte des coups à la loi Bichet, mise en place en 1947 pour garantir le pluralisme et l’accès démocratique à l’information. Le député Garcia du Modem a mis le dernier coup de poignard, autorisant les groupes médiatico-financiers à lâcher l’outil commun de distribution. Les travailleurs n’ont pas dit leur dernier mot.


Laurent Garcia
député MODEM
2ème circ. de Meurthe et Moselle
fossoyeur de la distribution de la presse

Monsieur,

La loi de modernisation de la distribution de la presse, dont vous étiez le rapporteur, vient de porter ses fruits. La filière est démantelée. Le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation de l’entreprise SAD, vendredi 15 mai à 15 heures. Comme l’indiquait votre rapport : « Les sociétés qui assurent la distribution de la presse ne seront […] plus tenues d’avoir leur capital majoritairement détenu par les coopératives d’éditeurs ».

Ainsi libérés, les grands groupes de presse cessent de participer à l’outil commun de distribution mis en place en 1947, avec pour argument mensonger le coût exorbitant de la distribution de la presse. Parlons-en.

Depuis 1994, le taux de rémunération des NMPP [1] est passé de 14 % à moins de 5 % aujourd’hui. Pour Presstalis il a donc pratiquement été divisé par trois ! Cette baisse spectaculaire des coûts résulte notamment d’une diminution drastique des effectifs : en 1994, il y avait 3 479 salariés [2] ; aujourd’hui, il en reste 402, concentrés entre le siège social et le centre d’exploitation à Bobigny. Mais à casser les prix comme des camelots de foire, pour satisfaire à la concurrence « libre et non faussée », Presstalis dépose le bilan.

Dommage car les salariés avaient déjà donné. Plus de 500 salariés de SAD, sous-traitant de Presstalis, sont aujourd’hui menacés de chômage. Ils sont répartis dans les dépôts de presse provinciaux pour assurer la distribution quotidienne dans les départements. Au total, la filière presse concerne 80 000 emplois, du rédacteur au kiosquier.

Rappelons que c’est un exploit au quotidien : TOUS les jours, week-end et fériés compris, écrire, concevoir, répartir et acheminer 6 000 titres dans 22 000 points de vente, faire remonter les invendus, assurer le financement de l’édifice entre les vendeurs, les imprimeurs et les éditeurs. Ce n’est pas seulement livrer des journaux, c’est aussi assurer une remontée en temps réel des ventes au numéro, par kiosque et par journal, ce qui permet d’ajuster au mieux les quantités d’impression nécessaires.

Notre système, n’en déplaise aux thuriféraires du marché, était, avant votre intervention, le meilleur et le moins cher. C’est ce que démontre l’enquête n°2008-M-061-01, « La situation de la presse quotidienne dans quatre pays européens », réalisée par l’Inspection générale des Finances.

Le réseau est désormais à terre. C’est un drame humain, pour des centaines de salarié(e)s qui ont assuré l’acheminement de l’information pendant la crise sanitaire. C’est aussi un coup porté à la démocratie, au débat, à la liberté de l’information. Nous ne sommes plus aujourd’hui en mesure d’assurer la distribution de la presse en France de façon équitable.

Au-delà du drame social et de la crise, la faute morale est impardonnable. La loi Bichet fut mise en place à la Libération parce que la plus grande partie du patronat de la presse avait collaboré avec l’occupant. Ceux qui clamaient « plutôt Hitler que le front populaire » avaient fait un vrai choix éditorial, diffuser la presse du Maréchal, dénoncer les résistants.

Parce que le pire était arrivé, le Conseil national de la Résistance édicta des règles visant à mettre la distribution de la presse à l’abri des convoitises et de la spéculation. Tous les titres de journaux, tous sans exception, bénéficièrent alors du même service, d’un même réseau pour que l’information soit disponible, partout, pour toutes et tous. Cette logique c’est la péréquation, la mise en commun des moyens, pour que les plus nantis (par exemple, le groupe Bolloré) et les plus pauvres (la presse indépendante, L’Humanité, Politis, Le Canard Enchaîné, etc.) aient un accès commun à l’édition. Cette vision démocratique de l’offre ne fut jamais du goût des grands groupes à la solde de quelques milliardaires, qui ont obtenu que la législation soit simplifiée et se soumette à la seule logique du marché. Ces médias puissants sont en train d’organiser leur propre diffusion, à leur unique profit, et que le reste crève !

La CGT a multiplié les mises en garde alors que vous annonciez votre intention de réformer la loi Bichet. Peine perdue, vous vous êtes obstiné à barbouiller avec suffisance et ignorance un pan de l’Histoire, où Zola, Hugo, Jaurès, Camus, Sartre se sont distingués. Vous resterez l’auteur d’un tripatouillage médiocre saccageant près de deux siècles de combats pour la liberté de penser et d’écrire.

Au moins êtes vous cohérent avec les gouvernements qui se succèdent depuis près de quarante ans. Vous avez géré la distribution de la presse comme les lits d’hôpitaux, les salles de classes, la sidérurgie, la sécurité sociale : une gestion par le vide pompeusement appelée « simplification ».

Les travailleurs du Livre, avec leur syndicat CGT, font appel de la décision du Tribunal. Ils ne seront pas payés, jusqu’à ce jugement parce que, en grève, ils se battent contre les conséquences de vos actes. Votre nom restera associé à l’histoire de la presse, comme un général Nivelle, chamarré d’incompétence, précipitant des centaines de familles dans la précarité. Vous resterez le député Garcia, fossoyeur de la presse écrite.

Salutation d’usage de bas de lettre

Jarville, le 17 mai 2020

Les travailleurs CGT SAD de Jarville en lutte
Les retraités CGT NMPP / Presstalis

Notes

[1Les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne, est l’ancien nom de Presstalis.

[2Source : site du Sénat, Projet de loi des finances 1996