L’avènement de son monde : Michel L., de l’Université de Tours au Conseil Supérieur des programmes

Des amphis de l’Université François-Rabelais aux salles feutrées du Conseil supérieur des programmes, récit de l’ascension continue de Michel L., un tourangeau qui sait se trouver à la bonne place et à la bonne distance.

Qu’on l’admette ou le réfute, nous avons tous une idole. Qu’on le revendique ou le taise, il y a toujours quelqu’un qui secrètement, au plus profond de notre être, nous influence dans notre conduite. Pour lui, adolescent, cette idole était Platini. Non pas qu’il ait développé une passion pour le ballon rond où succombé à la fièvre verte qui envahissait la France durant les années soixante dix, mais il admirait cette remarquable capacité au placement du ballon et à l’évaluation de la distance entre ce dernier et les filets du but adverse. Capacité que ne cessa de développer le futur président de l’UEFA, des terrains de Lorraine à ceux de Turin, durant les campagnes européennes de l’A.S.Saint-Etienne et celle, épique, de l’équipe de France au cours de la Coupe du Monde de 1982. A l’image de sa coqueluche dont il partage le prénom, lui, s’orientant vers des études en géographie, va mettre à profit ses différentes compétences spatiales et son sens du placement pour réaliser une carrière étonnante.

Président de l’Université de Tours de 2003 à 2008, auteur d’un ouvrage qui fait référence dans le petit monde de la géographie française [1], le vent en poupe, il lorgne sur la mairie, mais au cours d’une série de matches cadenassés, il ne trouve pas l’ouverture et échoue dans sa tentative. Pour ne rien arranger, « Mich-Mich », comme le surnomme ses coéquipiers, voit son ami Jacques [2], valeur plus que montante de la géographie française, réussir, lui, son examen de passage et rejoindre la « galactique » équipe de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne. Sans capitanat localement, ses illusions transalpines envolées, à présent quarantenaire et à l’étroit dans son maillot frappé du logo « François-Rabelais », il ne peut se résoudre à évoluer toujours au même poste, toujours en même division. Alors, il tente sa chance sur des surfaces où tous les coups sont permis et les tacles rudes : les pelouses ministérielles.

Visiblement, ces récents échecs n’ont pas émoussé son talent et, rassuré d’avoir toujours la « grinta », il se retrouve catapulté à la vice présidence du « pari pour le Grand Paris », une consultation organisée par un certain Nicolas visant à faire de ce dernier un « président visionnaire » et de la capitale une ville - encore plus - à vendre [3]. Parallèlement, il réussit un véritable tour de force et est transféré avec armes et bagages de Tours à Lyon, où il débarque en tant que professeur à l’École Normale Supérieure. Dans la foulée, au sein d’une équipe qui souhaite bouleverser la hiérarchie, il est bombardé Président du pôle de recherche et d’enseignement de Lyon, présidence qu’il occupera jusqu’en 2013.

Du coup, « Mich-Mich » profite de cette nouvelle situation pour sortir un autre ouvrage [4]. Mais, est-ce la proximité géographique d’une Suisse qui se refuse à lui qui lui fait perdre la tête ? Est-ce le fait qu’il ne se fond pas, malgré quelques beaux matches, dans le jeu lyonnais ? Les changements de tapisserie, de meubles et de locataires à l’Élysée et au ministère sont-ils en cause ? Son talent s’émousse-t-il ? Quelle que soit la raison, comme à Tours, il n’est plus à sa place à Lyon et aux premières années de la cinquantaine, la perspective de devoir se satisfaire de quelques matches de gala avant de tirer sa révérence se dessine.

Et pourtant, « Mich-Mich » n’a pas chômé et les deux ouvrages parus en 2013, dont un avec son ami Jacques, ne peuvent être les derniers trophées d’une carrière riche en titres et breloques. Il croit encore possible de pouvoir donner une nouvelle inflexion à sa trajectoire avant de raccrocher les crampons. Une fois de plus, c’est de Paris que la lumière va venir. Pas rancunière de ses accointances avec l’ancienne équipe, la toute récente Ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche annonce, le 25 septembre 2014, de manière officielle : « Monsieur Michel Lussault est nommé président du Conseil Supérieur des Programmes ». De quoi effectivement, n’en doutons pas, rendre le monde intelligible [5] !

Augustin Pérec

Palmarès sélectif

Ouvrages

  • 2013 : Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, 2nde édition Belin. (avec Jacques Lévy).
  • 2013 : L’Avènement du Monde. Essai sur l’habitation humaine de la terre, Seuil.
  • 2009 : De la lutte des classes à la lutte des places, Grasset.
  • 2007 : Habiter. Le propre de l’humain, Paris, La Découverte, ( avec Th Paquot et Ch Younès).
  • 2007 : L’homme spatial, Seuil.
  • 2003 : Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin, (avec Jaques Lévy).
  • 2001 : Tours. Des légendes et des hommes, Éditions Autrement.
  • 2000 : La Ville et l’urbain, l’état du savoir, La Découverte, ( avec Th.Paquot et S. Body-Gendrot).
  • 2000 : Logiques de l’espace, esprit des lieux. Géographie à Cerisy (dirigé avec Jacques Levy). Belin.

Principales fonctions

  • Depuis le 25/09/2014 : Président du Conseil supérieur des programmes
  • Depuis le 17/10/2012 : Directeur de l’Institut français de l’éducation (ex-INRP)
  • 2008-2013 : Président du PRES de Lyon - Université de Lyon
  • Depuis 2008 : Professeur de Géographie à l’École normale supérieure de Lyon (ex ENS-LSH ).
  • 2008-2009 : Co-président avec P. Chemetov du conseil scientifique de l’appel à projet international « Un pari pour le grand Paris ».
  • 2003-2008 : Président de l’Université François-Rabelais de Tours.

Notes

[1L’homme spatial.

[2Jacques Lévy, notamment auteur de Le tournant géographique et souvent considéré comme l’un des seuls théoriciens actuels de la géographie.

[3Selon le site officiel, le Grand Paris est, sortez les gros mots, "un projet d’aménagement à l’échelle de l’agglomération parisienne. Il a vocation à améliorer le cadre de vie des habitants, à corriger les inégalités territoriales et à construire une ville durable".

[4L’Avènement du Monde. Essai sur l’habitation humaine de la terre.

[5Michel Lussault aime à répéter que la géographie est une science qui « rend le monde intelligible ».