EHPAD de La Membrolle : « Il n’est question que de chiffres, jamais d’humain »

Depuis la fin du mois de mai, des personnels des maisons de retraite de La Membrolle et Semblançay sont en grève. Témoignage d’une aide-soignante de La Membrolle sur ses conditions de travail, incompatibles avec la qualité des soins et la dignité des résidents. Ce témoignage a été recueilli mi-août.

« L’élément clé de ce mouvement de grève, c’est le manque de personnel. C’est ça qui fait que les conditions de travail se dégradent. On déplore aussi l’absence de titularisations et le nombre d’emplois précaires. À La Membrolle, cinq départs en retraite n’ont jamais été remplacés. Nous travaillons avec près de 50 % de contractuelles, qui sont dans une précarité totale. Elles subissent aussi une forte pression : si elles sont absentes trois jours, on les met dehors. Ce sont souvent des personnes très jeunes, qui n’ont pas de formation, et que la direction utilise à tours de bras. Je ne suis même pas sûre qu’il reste encore dix aides-soignantes titulaires dans l’établissement.

L’établissement compte 86 lits. A Semblançay, les conditions sont les mêmes, avec 83 lits. Pour assurer les soins, nous sommes neuf le matin, cinq et demi le soir. En cas d’arrêt maladie, que ce soit le matin ou le soir, la personne absente n’est pas remplacée. Travailler avec quatre personnes et demi le soir, ce n’est pas possible ! On n’arrive pas forcément à finir de coucher les résidents, et c’est alors l’équipe de nuit qui ne compte que deux agents qui doit s’en charger. Il n’est pas normal qu’une femme de 93 ans ne soit couchée qu’à 23h ! Ce n’est pas ce qu’on attend d’une structure de soin. Mais malgré les discours, nous ne sommes pas en mesure de prodiguer des soins de qualité.

A La Membrolle, les femmes représentent l’essentiel du personnel : « Un agent homme de nuit et un contractuel de jour, c’est si peu sur 40 femmes jours et nuits confondus ».

La direction prétend vouloir faire de la qualité, mais ce n’est pas possible avec un personnel non-qualifié et en nombre insuffisant. En négociation, la direction se montre très méprisante. Il n’est question que de chiffres, jamais d’humain : les résidents sont un « prix de journée », nous sommes un « ratio ». Cela génère de la souffrance parmi les salariées, ce qui peut se traduire par de nouveaux arrêts de travail, et nous entraîne dans un cercle vicieux.

On a des conditions de travail extrêmement dégradées, alors que nous intervenons auprès d’une population très âgée. Aujourd’hui, les gens arrivent très tard en maison de retraite, souvent avec des pathologies multiples, ce qui induit une grosse dépendance.

Récemment, en raison de nombreux arrêts, nous n’avons pas été en mesure de donner des douches à certains résidents pendant toute la semaine. Et apparemment, cela n’effraie personne. Alors que ça pose un vrai problème de dignité de la personne. Heureusement, beaucoup de familles de résidents nous soutiennent : elles voient bien que nous souffrons… Souvent, faute de personnels, le ménage ne peut pas être fait, les toilettes des résidents sont réalisées à la va-vite. Pourtant, on nous en demande toujours plus. Certaines salariées se mettent à pleurer quand elles apprennent qu’une collègue est en arrêt. Tout le monde vient travailler à reculons. Même si c’est un métier qu’on a choisi, il n’y a plus d’engouement.

Sur la lutte en cours

Nous avons obtenu un rendez-vous avec l’agence régionale de santé (ARS) et le Conseil départemental le 30 août, afin de poser les choses à plat. Ce sera notamment l’occasion de faire le point sur la convention tripartite qui lie l’établissement, le conseil départemental et l’ARS : le Conseil départemental semble ignorer l’existence de cette convention !

Jusque-là, la directrice n’a accepté aucune de nos revendications, et a annoncé qu’il n’y aurait pas de créations de postes. Le maire de Semblançay, Antoine Trystram, qui est président du conseil d’administration, a aussi fermé la porte à nos demandes. Il a refusé que des représentants syndicaux, dont nous avions demandé l’appui, nous accompagnent en réunion, et il a mis dehors les familles qui souhaitaient être reçues avec nous. Le dialogue est fermé, on ne nous écoute pas. On a le sentiment d’être méprisées, à la fois par notre direction et par les élus.

La grève est prolongée jusqu’au 21 septembre. En raison des vacances, et des congés du personnel, nous sommes toutes assignées : tout le monde travaille, on n’a pas le choix [1]. On attend le rendez-vous du 30 août pour donner une autre forme à cette grève. Si on n’obtient pas ce qu’on veut, on sera obligées de taper plus fort. Et pourtant, on ne demande pas grand-chose : conserver nos RTT, obtenir des titularisations, et qu’il n’y ait pas de suppressions de postes. »

Propos recueillis par N.A.

Illustration : une résidente de l’EHPAD de Semblançay.

P.-S.

La réunion du 30 août n’a pas permis aux salariées d’obtenir les réponses espérées. La grève se poursuit donc jusqu’au 21 septembre, date à laquelle une nouvelle réunion de négociation doit avoir lieu avec la direction.

Notes

[1Dans la fonction publique hospitalière, les directeurs d’établissements peuvent imposer des restrictions au droit de grève pour assurer la continuité des soins. Les salariées sont donc obligées de travailler, même si elles se déclarent grévistes. Elles sont payées, mais ces assignations nuisent à l’efficacité de leur mouvement de grève. Elles réfléchissent toujours à la manière de rendre visible leur lutte, faute de pouvoir arrêter le travail.