École de commerce de Tours : « l’incompétence des élus a provoqué un gâchis monumental »

La crise au sein de l’école de commerce de Tours se poursuit. Échange sur fond de plan social avec une salariée de l’école, militante syndicale et élue au CE. Sur les 213 postes que compte l’ESCEM, 151 doivent vont être supprimés.

La rentrée à l’école de commerce et de management s’est faite cette année sous la banderole « ESCEM », après trois années passées sous le sigle « France Business School ».

Quatre écoles, dont l’ESCEM Tours-Poitiers, avaient fusionné en janvier 2013. Mais l’expérience s’est très mal passée, et il a fallu dissoudre la structure FBS. Chaque école devait donc reprendre son autonomie. C’est ce qui a été décidé en début d’année 2015. Nous avons tout de suite signalé qu’au-delà du transfert de l’activité, il faudrait traiter le volet social. Le personnel réclamait des garanties, d’autant que le transfert s’accompagnait d’un plan social.

Un plan social assez conséquent...

Oui. On n’a pas fait grève contre le plan social, parce qu’avec un nombre d’étudiants divisé par trois, on savait très bien qu’un PSE [1] était inévitable. Pour les sites de Tours, Poitiers et Orléans, il ne restera que 62 salariés sur 213. Tous les postes sont touchés : enseignement, administratif...

Pour les élus qui administrent l’école, le volet social faisait figure de cinquième roue du carrosse, et les choses ont traîné. Au départ, personne ne voulait négocier, mais on a fini par décrocher un accord le 8 juin 2015. Cet accord fixait les conditions de transfert du personnel de FBS à l’ESCEM, ainsi que les grandes lignes du PSE. Mais son application a été retardée en raison des problèmes de gouvernance de l’école.

L’ESCEM est un établissement d’enseignement supérieur régi par un syndicat mixte, composé de deux collèges : le collège « Vienne », constitué d’un membre, le Syndicat mixte de l’ESC Vienne, réunissant la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de la Vienne, le Conseil général de la Vienne, la ville de Poitiers et la CCI régionale Poitou-Charentes ; le collège « Touraine », constitué de trois membres, la CCI de Touraine, la CCI régionale Centre, la CCI du Loiret [2].

Les élus du Poitou nous ont toujours soutenu, car ils tiennent à cette école, même si bien sûr ils ne peuvent pas dépenser de l’argent inconsidérément. Et le gros souci qu’a rencontré FBS, c’est que l’argent a été dépensé sans beaucoup de contrôles, et qu’on s’est retrouvés avec un gouffre financier. Là, les élus n’ont pas fait leur boulot. Du côté de Tours, les élus de la CCI se fichent de l’école : ils laissent les choses se faire, sans prendre position.

A l’époque de la création de France Business School, c’est Serge Babary, actuel maire de Tours, qui était président de la CCI Touraine.

Babary a voulu se débarrasser de l’ESCEM comme il s’était débarrassé de l’aéroport [3]. Mais l’idée n’était pas mauvaise au départ : il s’agissait de prendre acte de la réforme des politiques publiques et du fait que la CCI ne serait plus en mesure de verser d’argent à l’école. Il fallait donc faire venir des investisseurs privés. Il était prévu que les subventions de la CCI baissent progressivement pendant trois ans, le temps que la part du privé augmente. Sauf que la direction de l’école a été confiée à Patrick Molle, qui a dépensé l’argent sans compter. Bien que les élus de la CCI soient des chefs d’entreprises, ils n’ont pas fait trop attention, puisqu’il ne s’agissait pas de leurs sous. En tenant compte du financement du PSE, c’est 50 millions d’euros de subventions qui ont été engloutis par France Business School.

Dès novembre 2012, les syndicats avaient tiré la sonnette d’alarme. Dans une école de commerce, les salariés ont tendance à s’y connaître en gestion. Or, le business plan qui nous a été présenté tenait sur une feuille A4 ! C’était aberrant. Si un étudiant de l’école avait présenté un plan comme ça, il aurait été prié de revoir sa copie. On a quand même lutté pour garder notre statut d’agents publics, puisqu’au départ il était prévu qu’on soit tous passés sous contrats de droits privés ; et on a gagné notre procès. Mais on a laissé faire la fusion, parce que le personnel ne voulait pas nous suivre dans l’opposition.

Déjà, à l’époque, Patrick Molle dépensait de manière exorbitante, recrutant des directeurs à prix d’or, etc. Les comptes de janvier à août 2013 viennent d’être clôturés – et ils n’ont d’ailleurs pas été validés par le commissaire aux comptes : l’école était déjà en cessation de paiement en juin 2013 ! Avant même la première rentrée organisée sous le sigle FBS, qui a eu lieu en septembre 2013 et a été catastrophique. La brigade financière est sur le coup, et une enquête préliminaire a été ouverte. Il y aura certainement des procès pour fautes de gestion.

L’école n’a fait que s’enfoncer. Comme Patrick Molle voulait créer une école « nouvelle », nous sommes sortis du concours commun aux grandes écoles de commerce. On a perdu notre visa (qui indique que le diplôme obtenu est garanti par l’État), ainsi que le grade de notre programme de masters. A force de s’enfoncer, on a fini par faire des rentrées à 40 étudiants, contre 500 auparavant. Si on avait rectifié le tir plus tôt, peut être qu’un certain nombre de licenciements aurait pu être évité, mais personne ne nous a écoutés.

Les élus d’Orléans ont réalisé un putsch il y a trois ou quatre mois, virant la présidence poitevine pour mettre un des leurs à la tête de l’école, Yves Broussoux [4]. Ça a été une catastrophe. Pour l’instant, on se retrouve dans une situation absurde : les actifs de FBS ont été transférés à l’ESCEM, mais le personnel est toujours salarié par FBS. Normalement, on ne devrait même pas venir travailler, mais on ne veut pas laisser les étudiants seuls. Et on se retrouve au milieu d’un conflit politique entre les élus des différentes villes. Après le départ d’Yves Broussoux, les élus poitevins sont revenus sur le devant de la scène, et on espère être sur la bonne voie pour parvenir à un dénouement satisfaisant.

Les conditions du plan social sont-elles satisfaisantes, ou est-ce un accord a minima ?

Nos statuts prévoient un mois de salaire par année travaillée, ce qui est quand même bien. On a ajouté des mesures relatives au reclassement et à la formation. On a pas cherché à aller beaucoup plus loin, parce qu’on voulait obtenir un accord rapidement. Le personnel n’en peut plus. Les salariés veulent pouvoir tourner la page, après trois années de torture. Un collègue a tenté de se suicider, les arrêts maladies ont été multipliés par cinq, de nombreux salariés prennent des anti-dépresseurs... La situation est dramatique. Certains ne s’en remettront jamais.

Vous n’avez pas rencontré le maire de Tours pour lui exposer la situation ? Il était quand même vice-président de France Business School.

Le maire a toujours refusé de nous rencontrer. On a organisé une manifestation, mais il s’en fout. Le député Jean-Patrick Gille a essayé de nous soutenir, y compris au sein du conseil municipal, mais Babary a répondu que tout allait bien. Sa gestion du dossier est catastrophique, alors qu’il était à l’origine du projet.

La violence de la situation est causée par l’incompétence d’élus qui n’ont même pas été capables d’étudier les dossiers qui leur étaient soumis. Tout le travail effectué pendant des années pour obtenir un bon classement et des accréditations a été foutu par terre en deux ans. C’est un gâchis monumental.

Illustrations tirées d’une vidéo promotionnelle.

P.-S.

Un préavis de grève portant sur le plan social qui touche la structure avait été déposé pour le mercredi 9 septembre, mais le dialogue avec la présidence a repris, permettant certaines avancées. Un mouvement de grève pourrait quand même démarrer vendredi à 13 heures.

Notes

[1Plan de Sauvegarde de l’Emploi, manière euphémisée de désigner les plans de licenciements touchant au moins dix salariés.

[2Source : Wikipédia.

[3La CCI Touraine a organisé son désengagement de la gestion et du financement de l’aéroport.

[4Yves Broussoux a démissionné début septembre, après avoir fait l’objet d’une motion de défiance votée le 25 août 2015.