Commémorations 14-18 : Babary s’en va-t-en guerre

Pour célébrer le début de la première guerre mondiale, le maire de Tours a décidé de recourir aux affiches tricolores et à un discours patriotique désuet.

En longeant la mairie ces derniers temps, les passants pouvaient être surpris de trouver, sur les panneaux électoraux installés devant le bâtiment, un ordre de mobilisation. C’est notamment sous cette forme surprenante que la mairie de Tours a décidé de commémorer le début de la première guerre mondiale.

C’était déjà de mauvais goût. On pouvait imaginer d’autres formes de commémoration que la reproduction d’un ordre ayant envoyé à la mort des millions d’hommes. Une manière de retranscrire l’horreur et la barbarie, plutôt que cette affiche cocardière. Mais à la lecture de l’édito signé par le maire Serge Babary sur le site Mémoires1418, on comprend mieux quel esprit anime les occupants de l’hôtel de ville.

C’est l’angle patriotique qu’ont choisi d’adopter le maire et son adjoint en charge des commémorations. Il s’agit pour la Ville de faire en sorte que « le sacrifice consenti par ces hommes qui ont combattu, souffert, donné leur vie pour la Patrie ne soit pas oublié ». Seulement, en réalité, ces hommes n’ont rien consenti du tout : le sort réservé à ceux qui refusaient de répondre à l’ordre de mobilisation, c’était le conseil de guerre. Ils n’ont pas « donné leur vie pour la Patrie » : l’État les a sortis de leur vie pour les envoyer mourir.

Plus loin, Babary et son adjoint parlent de « permettre aux Tourangeaux de renouer le lien fort qui les unit à leurs glorieux aïeux de toutes origines sociales confondus dans un même destin national ». Le coup des glorieux aïeux, ça fleure bon la chanson militaire exhortant la génération suivante à aller se faire casser la gueule pour respecter la tradition. Quant au « destin national », on se demande bien de quoi il s’agit.

Le caractère à la fois ridicule et désuet de l’édito du maire, on le perçoit encore mieux quand on se penche sur le sort des régiments basés à Tours. Le site de la mairie évoque principalement le 66ème et le 32ème régiment d’infanterie. Or, ces deux régiments ont été touchés par les mutineries qui ont eu lieu au printemps 1917 [1]. A propos du 32ème, on peut lire :

« En mai 1917, le régiment connaît des actes de mutinerie : le 17 mai à Chevreux, le 3e bataillon, qui sort d’une rude série d’épreuves fort éprouvé, reçoit l’ordre de rejoindre le bois des Couleuvres pour attaquer à nouveau à la place du 77e RI19. La 11e compagnie se répand dans le cantonnement en demandant aux autres compagnies de ne pas monter en ligne. Les officiers interviennent et obtiennent des hommes qu’ils obéissent. Cinq hommes sont jugés, deux sont acquittés, deux condamnés à 5 ans de travaux forcés, et le dernier condamné à mort puis gracié. »

Ce qui laisse penser que la capacité de ces hommes à endurer les sacrifices était limitée — et à juste titre. Par ailleurs, sur le site Mémorial GenWeb, on peut facilement visualiser les hommes tués en fonction de leur régiment d’appartenance. Dans le cas du 66ème, il est intéressant de se rendre à la date du 8 septembre 1914. Ce jour-là, alors que le régiment est bombardé par l’artillerie allemande et subit un assaut d’infanterie, l’état-major refuse au colonel du régiment la possibilité de modifier ses positions pour protéger ses hommes : « L’ordre est d’être dans le bois, restez y ». Aujourd’hui, on peut consulter sur le site précédemment évoqué les noms de près de 300 hommes tués ce jour-là. Des gens de Château-Renault, du Petit-Pressigny, Loches ou Saint-Pierre-des-Corps. Nul doute que le maire de l’époque saluait déjà leur sens du devoir. Mais en 2014, on aurait pu espérer un regard plus critique sur ce genre de boucherie.