Chronique d’une année scolaire : « Nous allons pouvoir retrouver le plaisir d’être ensemble »

À trois semaines des vacances scolaires, cette chronique d’une année scolaire est rythmée par l’emballement de la communication gouvernementale.

L’année scolaire s’achève dans 3 semaines. 15 jours d’école au mieux, 12 pour la plupart. L’école redevient obligatoire pour toutes et tous sans conditions sanitaires le 22 juin. C’est la rentrée encore. À la veille donc du départ de mes élèves, je ne peux qu’égrener les dates de cette année cacophonique.

Le 13 mars, on ferme

Nous l’avons tous appris le même jour. Le jeudi 12 mars au soir, à la télé. Demain on ferme. Tout est resté en plan. Les projets en cours, les projets à venir, les travaux en groupe, les calendriers des exposés...Tout ce qui fait qu’une année scolaire ne se construit pas au jour le jour mais par grandes périodes. Des semaines entières où les activités s’entremêlent pour donner du sens au projet pédagogique, pour donner du sens à cette vie en vase clos qu’est l’école. Mais ce cœur de métier, hop balayé, en une phrase de moins de 10 secondes dites à la télé.

Le 11 mai, on rouvre

On rouvre, mais pas n’importe comment. 64 pages de protocole. Des réunions la semaine d’avant en urgence, pour tout mettre en place. Prévenir les familles, réagencer les lieux, organiser les roulements, prévenir, prévoir, aménager...Le tout encore une fois dans l’urgence. Et encore une fois appris par la télé.

Le 22 juin, on gomme tout ce qui vient de se passer

On reprend tout le monde, on oublie les règles mises en place. On réaménage, on essaie de convaincre les parents de remettre les gosses à l’école, on reprend là où on en était. Je suis vraiment tentée d’écrire au tableau la date suivante : lundi 16 mars.

Parce que c’est ce qu’on nous demande de faire. Hier le virus était dangereux. Il fallait s’éviter, ne plus rien se prêter.... Et aujourd’hui, tout va bien, on reprend comme avant. Sauf qu’entre temps, rien n’a ressemblé à ce que nous connaissions. On a perdu ce qui faisait sens, notre vie ensemble. Alors quand j’entends le président énoncer bêtement « Nous allons pouvoir retrouver le plaisir d’être ensemble », je suis en colère. Parce que, non, nous ne retrouverons pas le plaisir d’être ensemble. Parce que les gosses ne comprennent pas pourquoi hier c’était non et aujourd’hui c’est oui. Pourquoi hier on se lavait les mains 15 fois par jour et aujourd’hui seulement quand elles sont sales. Ils ne comprennent pas pourquoi on a tout annulé : la sortie à Paris, le tournoi d’échec, la visite du collège, la rencontre sportive avec les sixièmes, la fête de l’école, le conseil des délégués.... alors que tout va bien.

Je forme les citoyens de demain. Je suis bien embêtée. Je ne veux pas leur mentir. J’ai, à cause de Blanquer, un devoir de réserve qui m’empêche légalement de leur expliquer en quoi les décisions des puissants laissent sur le carreau les professionnels de terrain. J’aurai aimé que les gouvernants gèrent la reprise. Qu’ils aillent leur expliquer à ces 26 minots pourquoi la maîtresse n’a pas les mots pour expliquer ce qui se passe.

Deca