Chocs acoustiques en série chez Fidelia Assistance

Depuis septembre dernier, une vingtaine de salariés de la plateforme d’assistance téléphone ont subi des chocs acoustiques. Une situation qui a conduit les représentants du personnel à déclencher un droit d’alerte, alors que la direction minimise le problème.

L’essentiel du travail d’un centre d’appels s’effectue par téléphone. Depuis septembre 2017, à Tours, une vingtaine de salariés de Fidelia ont subi des chocs acoustiques sur les différents plateaux d’assistance. Dans la mesure où quelques cas seulement avaient été déclarés ces dernières années, ces nouveaux incidents détonnent par leur nombre.

Par définition, un choc acoustique est une « perturbation temporaire ou permanente du fonctionnement de l’oreille ou du système nerveux auditif pouvant être causé à l’utilisateur par une élévation brutale et inattendue de la pression acoustique du système de télécommunication » [1]. Le bruit responsable peut être un sifflement, un larsen, une sonnerie de fax… Le choc peut conduire à des traumatismes sonores reconnus comme accident du travail : hyperacousie, décalage temporaire du seuil de l’audition, etc. Le phénomène peut être assez brutal quand il survient et se traduire par l’apparition de nausées, de vertiges, de sifflements ou de saignements.

Chez Fidelia, cette violence est aggravée par l’indifférence dont témoigne la hiérarchie, qui ne se déplace pas forcément quand de tels événements surviennent, ou qui ne les déclare pas en accidents du travail. Seules des élues du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) se sont déplacées face à la multiplication des cas.

Devant le silence de la hiérarchie, le CHSCT déclenche un droit d’alerte

Devant la multiplication des faits et le mutisme apathique de la direction, ce jeudi 1er février, le CHSCT du site de Tours a déclenché un droit d’alerte sur cette question des chocs acoustiques. A cette occasion, les élus se sont rendus auprès des salariés pour leur expliquer de quoi il retournait :

Suite aux très nombreux chocs acoustiques ayant eu lieu depuis le mois de septembre sur le site de Tours, le CHSCT a alerté la direction à plusieurs reprises quant aux dangers que ces chocs représentent (maux de tête, bourdonnement, nausée, vomissement, acouphène, hyperacousie, perte d’audition, vertige ... ) pouvant mener jusqu’à l’inaptitude professionnel. Au vue de la gravité de la situation, le manque de réaction de la direction s’apparente à une mise en danger des salariés. Pour cette raison, nous souhaitons vous informer de la possibilité d’exercer votre droit de retrait, afin que vous puissiez vous-même vous protéger de ce risque.

Le droit de retrait permet aux salariés d’alerter l’employeur et de se retirer d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dons les systèmes de protection (en l’occurrence, la protection contre les chocs acoustiques). L’employeur ne peut demander aux salariés qui ont fait usage du droit de retrait de reprendre leur activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection.

Dans la foulée, une trentaine de salariés décident d’user de ce droit de retrait et arrêtent d’utiliser le téléphone, contraignant les responsables d’équipes (RE) à prendre acte et à donner à ces salariés des travaux n’ayant pas de rapports avec la prise d’appel. Tant pis pour la MAAF, la MMA ou la GMF, entreprises pour lesquelles Fidelia gère l’assistance téléphonique.

Mais pour la direction, il n’y aurait aucun danger à prendre des appels. Dans un e-mail à l’ensemble du personnel reconnaissant l’existence de ces incidents répétés, elle affirme, d’une part, faire tout son possible afin d’en trouver la cause [2], et, d’autre part, qu’il existe déjà des outils de protection efficients. Cependant les incidents surviennent malgré l’existence de ces fameux outils, ce qui de fait rend légitime l’usage du droit de retrait. Mieux : dans la mesure où l’employeur a connaissance du danger, tout nouvel accident du même ordre est susceptible de constituer une faute inexcusable si les mesures nécessaire pour l’empêcher n’ont pas été prises.

C’est aussi ça le pouvoir de la MAAF :
faire comme si il n’y avait pas de problèmes


Pour la direction, la seule chose à faire : ne rien faire

Quatre jours après le déclenchement du droit d’alerte, lundi 5 février, un CHSCT extraordinaire est organisé avec l’inspecteur du travail. Celui-ci confirme aux représentants du personnel le bien-fondé du droit de retrait pour les salariés. D’autant plus qu’au moins trois nouveaux cas sont avérés et qu’un nombre nombre de salariés toujours plus important ne touche plus au téléphone.

Peu pratique, donc, pour une entreprise ou la prise d’appels doit primer et alors que la direction refuse de donner de nouvelles consignes de sécurité, s’abritant devant la prévention technique d’ores-et-déjà en place malgré les nombreuses demandes de la part des différents élus en CHSCT.

Il faut dire que la direction est dans une position compliquée : d’un côté elle est obligée de rechercher la cause de ces accidents du travail, et de l’autre, si elle la trouve, elle se met dans une situation où elle validera le bon-droit des salariés à utiliser leur droit de retrait. Sans compter le temps que prendra la résolution du problème, surtout si des sociétés tiers sont en jeu (matériel, câblage, réseau téléphonique, etc.).

Capture d’écran d’une publicité GMF : « Nous sommes pour ceux... »
qui laissent des salariés s’abimer au travail ?


Les masques tombent et les tensions montent

Pour la direction, il faut aller vite. Le temps, c’est de l’argent, surtout quand les travailleurs abandonnent leur outil de travail. Aussi, deux jours après ce premier CHSCT extraordinaire, un second est organisé le mercredi 7 février. Le médecin du travail y est interrogé. Lors de la séance, s’il ne constate pas de dissemblances majeures sur les différents audiogrammes réalisés (avant et après le choc acoustique), il confirme au moins deux cas d’hyperacousie, tout en reconnaissant ses propres limites d’investigations. A la suite de son témoignage, la direction demande la levée du droit de retrait alors que le médecin du travail n’a, en toute connaissance de cause, délivré aucune directive de reprise du travail pour celles et ceux qui ont décidé de ne plus prendre d’appels. Un constat de désaccord est acté : la direction ne reconnaît pas de risques graves et imminents, le CHSCT maintient son droit d’alerte. La direction doit donc contacter l’Inspection du travail pour la suite à donner à cette mésentente.

Du conflit à la farce

C’est en effet alors que la situation tourne à la farce. Au lieu de contacter l’Inspection du travail pour chercher à résoudre ce différend, un mail du Directeur Général (DG) de Fidelia, Antoine Ermeneux, est involontairement envoyé à tous les salariés de Tours... douze minutes après la fin du CHSCT. Et quel mail ! Il s’agit du transfert d’une conversation engagée dès ce mercredi matin entre lui et l’avocate de l’entreprise.

Extrait de la conversation. Point de départ :
Le mail pré-écrit du DG


Cet e-mail montre bien que la réunion du CHSCT organisée le mercredi n’était qu’une formalité aux yeux du directeur, pour qui l’absentéisme compte plus que la santé des salariés. Malheureusement pour M. Ermeneux, il se fait rappeler à l’ordre par l’avocate de Fidelia, qui qualifie de « dangereux » le texte qu’il propose d’envoyer à tous les « collaborateurs » de Tours.

Réponse de l’avocate ou comment justifier le droit de retrait


A la lecture de cet échange, il est donc possible d’affirmer que :

  • les chiffres de l’absentéisme importe plus au DG que la santé des personnes qui travaillent pour lui ;
  • la direction avait anticipé le déroulement du CHSCT et les propos du médecin du travail ;
  • devant la légitimité des salariés, la direction utilise la menace dans son projet de faire reprendre le travail (entre une absence de paiement et de possibles sanctions) ;
  • l’avocate de Fidelia semble confirmer la légitimité du droit de retrait ;
  • l’ensemble des enseignes MAAF, MMA et GMF est au courant.

Du grand art. Le DG tentera deux fois de rappeler le mail, une possibilité offerte par sa messagerie, mais en vain. L’incompétence a ses raisons que la raison ne comprend pas.

Chéri, fais moi mal !

Tous les cadres sont réunis le jeudi matin dans le bureau de la responsable du site de Tours. Consigne est alors donnée aux chefs d’équipes de passer sur les plateaux afin de relever le nom de la petite centaine de salariés qui utilisent leur droit de retrait (25% des effectifs). Pourtant, pour exercer ce droit les salariés sont déjà obligés de se déclarer... A croire qu’il ne s’agissait que de faire peur sur les plateaux.

Certains responsables en ont profité pour affirmer aux salariés que les jours sans prise d’appels ne seraient pas payés. Une manière d’amplifier la pression, alors que l’inspecteur du travail, contacté le jour même, réaffirmait que le droit de retrait était légitime. Il était toujours sans nouvelles de la direction, malgré le constat de désaccord de la veille.

Au même moment, des réunions d’informations à propos des incidents acoustiques sont organisées sur le site. On y apprend, insultes à part, que les salariés doivent s’assurer du non-dérèglement des téléphones ou qu’il ne faut pas utiliser le matériel pour recharger son propre téléphone portable. Ou comment rejeter la faute sur le personnel. Mieux, il paraitrait qu’on risque autant à descendre un escalier qu’à utiliser le téléphone... Tout dépend, bien sûr, de la vitesse à laquelle on descend ledit escalier. Curiosité de la démarche : seuls celles et ceux qui utilisent leur droit de retrait se sont vus proposer la formation. Tant pis pour les autres, donc.

Publicité MMA. Avec cette histoire, c’est une sacrée pastille
que les salariés doivent avaler


Mercredi 14 février, au cours d’un nouveau CHSCT extraordinaire, la direction, contestant toujours la légitimité de l’usage du droit de retrait, a menacé de saisir un juge en référé dans l’optique de le voir ordonner la reprise du travail [3]. Une stratégie déjà mise en place par l’entreprise dans d’autres affaires et qui montre parfaitement le mépris total de la direction pour son personnel. Pendant ce temps-là, des heures complémentaires étaient proposées à tout-va, à quel prix ?

Notes

[1Définition par l’International Telecommunications Union European Transmission Standards Institute (ITUETSI).

[2A ce jour, s’il a été possible de trouver la source de certains chocs, d’autres cas restent inexpliqués.

[3[MAJ du jeudi 15/02, 17h] : le DG a annoncé en CE ce jeudi ne plus vouloir utiliser de référé sur cette question.