Le tribunal blanchit Hutchinson de son utilisation de machines-outils dangereuses

L’accident aurait pu être mortel d’après l’inspecteur du travail. Les machines n’étaient pas conformes à la réglementation, au mépris de la vie des ouvriers. En 2008, deux d’entre eux ont été blessés sur les tours de confection de l’usine de la filiale du groupe Total située à Joué-lès-Tours. 6 ans plus tard, le tribunal correctionnel de Tours jugeait enfin l’affaire. Pour déclarer l’entreprise non responsable.

21 mars 2008. Fabien est en poste sur le tour Q010 de l’usine Hutchinson de Joué-les-Tours, qui compte 600 salariés et une centaine d’intérimaires. L’intérimaire travaille dans l’entreprise depuis onze jours. Soudain, le tour de confection qui était arrêté se remet en marche, happant le gant du salarié. Le salarié est entraîné, et ne parvient pas à déclencher la cellule de détection destinée à arrêter le tour. Bilan : double-fracture du bras.

3 décembre 2008. Un tour de confection similaire au précédent. Une salariée en CDD nettoie son poste de travail quand ses vêtements sont happés par la machine. Elle sera retrouvée inanimée par une collègue. L’inspecteur du travail notera dans un courrier adressé à la direction de l’entreprise que l’accident aurait pu être mortel.

Entre les deux accidents, aucune mesure n’a été prise pour pour limiter les risques auxquels étaient exposés les salariés travaillant sur les tours de confection. Ils n’ont même pas été informés du risque auxquels ils étaient exposés.

Suite au premier accident, l’entreprise fait procéder à un audit de conformité de la machine : sans surprise, l’expert rémunéré par Hutchinson estime que la machine est conforme aux normes de sécurité. Dans la foulée, l’inspection du travail missionne un autre organisme pour procéder à des vérifications : cet organisme relève 12 non-conformités, dont certaines en lien direct avec l’accident du travail de l’intérimaire. L’organisme note par exemple qu’il existe des risques de mise en marche intempestive de la machine.

L’inspecteur dresse un procès-verbal d’infraction, sur la base des articles L4321-1 et suivants du Code du travail.

« L4321-1 : Les équipements de travail et les moyens de protection mis en service ou utilisés dans les établissements destinés à recevoir des travailleurs sont équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la santé et la sécurité des travailleurs, y compris en cas de modification de ces équipements de travail et de ces moyens de protection. »

Le procès-verbal est transmis au procureur de la République, qui décide d’engager des poursuites contre Hutchinson. Les chefs d’accusations sont les suivants : infraction à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité du travail ; blessures involontaires suivies d’une incapacité de plus de trois mois. L’intérimaire, reconnu travailleur handicapé depuis son accident, ainsi que le syndicat CGT du site de Joué-les-Tours, se constituent parties civiles. Pour le syndicat, se constituer partie civile était indispensable pour prendre connaissance des éléments du dossier : les décisions de l’inspection du travail, notamment, n’étaient pas communiquées aux élus du comité d’hygiène et de sécurité.

Et contre toute attente, la société Hutchinson est relaxée : le tribunal correctionnel de Tours estime, dans son jugement du 13 mars 2014, que la preuve de la culpabilité de l’entreprise n’est pas établie. Par conséquent, les parties civiles sont déboutées de leurs demandes. Dans sa décision, le tribunal indique que les « défauts » (sic) de la machine en cause dans le premier accident sont « des défauts liés à la conception de la machine ; que des lors ces défauts ne peuvent être imputés à l’entreprise utilisatrice. » De la même manière, s’agissant du deuxième accident, le tribunal indique que « c’est la conception même de la machine qui est en cause et non l’utilisation qui en est faite par la société Hutchinson... »

Aux yeux du tribunal de Tours, l’employeur n’est donc pas responsable d’avoir mis à disposition des travailleurs des machines non-conformes à la réglementation. Pour l’avocate du syndicat CGT, une telle décision est incompréhensible. Mais le procureur a décidé de ne pas faire appel du jugement.

Au début de l’année, les délégués du personnel ont encore dû insister pour que la direction intervienne sur des tours de confection qui démarraient tous seuls : il a fallu quatre mois pour régler le problème. L’année dernière, un salarié a eu les doigts écrasés par une autre machine non-conforme. Le secteur de l’entringlage, où des travailleurs essentiellement en intérim doivent sortir des pièces brûlantes des fours, nous est décrit par un salarié comme « l’enfer sur terre ».