A Joué-lès-Tours, Michelin embauche... un médecin du travail

La médecine du travail est souvent critiquée pour son manque d’indépendance et son inefficacité mais, lorsqu’elle est intégrée à l’entreprise [1], c’est souvent bien pire. Et à Michelin c’est une mauvaise série B qui n’en finit jamais, entre pression, démission et collusion...

Alors qu’à Joué-lès-Tours, l’usine est appelée à fermer malgré un bénéfice groupe de plus de 624 millions d’€ au premier semestre 2014, Michelin a passé une offre d’emploi pour recruter un médecin du travail. Ce recrutement qui peut étonner au premier abord n’est pas rare malgré la baisse constante d’effectifs en France puisqu’il y a même — en plus du très "in" www.michelincareers.com — un compte twitter dédié au niveau national : @michelinrecrute. Et d’ailleurs deux autres recrutements de médecin du travail ont été ouverts dans le coin : un CDI à temps plein situé à Cholet et un CDI à temps partiel situé à Bourges (paru en ligne le 30/07) sont ouverts. Voici leurs missions, à comparer avec celles de leur futur homologue jocodien (voir annonce complète en fin d’article) :

Missions :

  • Être co-responsable du service de santé au travail
  • Améliorer les conditions d’hygiène et de sécurité sur les lieux de travail.
  • Surveiller l’état de santé des salariés.
  • Proposer des adaptations de postes.
  • Participer aux réunions du CHSCT (Conseil d’Hygiène, de Sécurité et des Condtions de Travail).
  • Piloter un plan de prévention des risques.

Quelques explications sur cette frénésie de recrutement dans un contexte de suppression massive d’emplois à la production...

Si vous avez lu Fraude à l’Assurance Maladie : les professionnels de santé et établissements en tête !, l’absence de fraude des employeurs en Indre-et-Loire en aura probablement frappé plus d’un-e. En effet Michelin — notamment — est coutumier des fraudes à l’Assurance Maladie grâce la complicité — souvent forcée — de la médecine du travail interne à l’entreprise. Cette complicité engendre une intense pression et une ambiance de travail difficilement supportable pour les personnels de santé qui démissionnent régulièrement ou se mettent d’eux-mêmes en arrêt maladie ! Certain-es finissent par collaborer (sans hésiter à se mettre dans l’illégalité) tant la résistance au patronat se paye cher. L’exemple emblématique de Dominique Huez qui a affronté la filière nucléaire en Indre-et-Loire donne une idée du traitement réservé aux médecins du travail récalcitrants.

Les conséquences inévitables :

Au niveau national, les conditions de travail ont toujours été dures à Michelin où le travail en horaires décalés est généralisé depuis plusieurs décennies à la production. Et la mise en place du " lean management " dont Michelin est un des précurseurs a encore aggravé la situation, ce qui a poussé les organisations syndicales à renouveler leur approche [2] (malgré la répression lancinante) alors que Michelin adhère depuis 2010 au Pacte Mondial des Nations Unies ! Michelin peut toujours se vanter (au mépris de la réalité) dans le Rapport d’Activité et de Développement Durable 2012 de s’engager pour améliorer la santé des populations locales en Inde (usine de Chennai) alors qu’en France depuis 2007 les suicides sont en progression (14 de 2007 à 2012) sans qu’un coup d’arrêt n’y soit porté. La simple consultation des comptes rendus des CHSCT démontre que le site de Joué-lès-Tours n’est pas épargné par les accidents et la souffrance au travail même si la direction du site fait tout pour nier en bloc. Signalons notamment :

  • le décès en 2007 reconnu en accident du travail au bout de plus de 5 ans d’intense bataille juridique car Michelin arguait de l’état pathologique antérieur [3]
  • le suicide d’un technicien de 50 ans ayant 30 ans d’ancienneté, père de 3 enfants, fin septembre 2011 [4] suite à une énième restructuration qui annonçait déjà clairement la liquidation de l’usine à l’automne 2013...
  • le témoignage de Zora Bouab [5] dans Portraits d’ouvriers des Temps modernes

(...) Ce travail leur laisse des traces à tous. Pour Zora, c’est le dos qui souffre. Elle retrousse ses manches, montre ses avant-bras et ses mains, marqués par quelques brûlures. Le corps encaisse. S’habitue à des conditions exténuantes. Mentalement, il faut aussi résister. La répétition des tâches, la pression de la cadence. Zora égratigne ces fameux « trois huit », ces horaires décalés, ce rythme ingrat reconnu comme dangereux par plusieurs études. « C’est dur, pénible (...) ».

A comparer avec la Charte Performance et Responsabilité (2010) (p.8) :

Respecter les personnes
➥ notre volonté est de contribuer sans cesse au développement et à l’épanouissement de chacun dans l’exercice de ses responsabilités au sein du Groupe. (...)

Sans oublier que Michelin a décidé dans les années 1990 de recourir nationalement à un sous-traitant, Safen-Onet, pour le chargement des pneus, car c’était une véritable fabrique à travailleurs handicapés. Accidents du travail et maladies professionnelles cassaient le bilan sécurité de la boite... et la santé des travailleurs !

Et ce ne sont pas les suites du Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) tel que le dispositif de reclassement (Ateliers de Transition Professionnelle) [6] qui vont améliorer le moral des salarié-es de Joué-lès-Tours qui ne bénéficieront pas de la pré-retraite à 56 ans [7]...

On souhaite donc bien du courage au futur médecin embauché, qui devra être « reconnu-e pour son impartialité et son souci de transparence », pour ne pas être (très) rapidement en arrêt (longue) maladie ou démissionnaire !

L’offre pour le site de Joué-Lès-Tours :

ENTREPRISE :
Michelin, leader mondial du pneumatique, présent dans 170 pays au niveau commercial et 19 pays au niveau industriel, avec 68 usines dans le monde, recrute 1 médecin du travail ( H/F).
Equipe composée d’un médecin coordonnateur et de 5 autres répartis sur les sites, de locaux d’infirmerie (présence 24h/24) et d’une équipe de pompiers.

Le profil
Rattaché-e directement à la Direction du site, le Médecin du travail h-f prend en charge les salariés de son secteur.

Ses principales missions s’exercent autour de trois axes complémentaires : l’action sur le milieu de travail, l’activité clinique et les activités connexes. Elles consistent à :

  • Assurer la responsabilité du service de santé au travail sur le périmètre concerné,
  • Surveiller la santé physique et mentale des salariés du site : assurer les visites médicales réglementaires,
  • Favoriser le développement de la prévention des risques professionnels, coordonner les actions sur le terrain en la matière,
  • Etre force de proposition pour adapter les postes de travail et les conditions de vie au travail,
  • Participer aux réunions CHSCT du site,
  • Participer au pilotage du plan de prévention des risques sur le site,
  • Actualiser ses connaissances en matière de santé au travail.

Poste à temps complet.
Médecin h-f inscrit au Conseil National de l’Ordre des Médecins, le-la candidate doit être titulaire d’une spécialisation en médecine du travail (CES, DES).
Le-la candidat-e possède une connaissance du monde industriel, il-elle est reconnu-e pour son sens de la communication. Le-la candidat-e est investi dans ses missions, ses prises de décisions et le travail d’équipe. Il-elle est reconnu-e pour son impartialité et son souci de transparence.

Pour aller plus loin : sources et compléments d’information

Illustration : 1916, rééducation des soldats aveugles, gonflage d’un pneu.

P.-S.

Les témoignages des ancien-nes de l’UJO et de SAFEN-ONET sont les bienvenus !

Notes

[1Lorsqu’il y a plus de 500 salarié-es ; décret Royal 39/1997 du 17 janvier 1997 modifié par décret 780/1998 du 30 avril 1998.

[3Un décès finalement reconnu comme accident du travail ce qui n’empêchait pas Michelin de retenter le coup de l’état pathologique antérieur suite à un accident du travail sur le site de Cholet et d’être à nouveau condamné (par la Cour de Cassation) six mois après le rendu de la Cour d’Appel d’Orléans.

[6ATP : durée 12 mois, renouvelable après avis de la Commission territoriale paritaire locale

[7la préretraite à 54 ans permettrait d’éviter un reclassement contraint pour 238 salariés supplémentaires selon la CFE-CGC