La milice municipale n’est pas sortie comme ça des cartons municipaux (cf Pt’tit Rouge de Touraine de sept-octobre). Le 5 août 1978, dans l’Espoir, bulletin officieux de la mairie, une interview délirante de Royer baptisée : « La sécurité dans la ville, face à l’escalade et à l’impuissance, des remèdes nouveaux. »
Admirable résumé des pires clichés. On remarquera les images contenues en filigrane : l’escalade de quoi ? l’impuissance de qui ? (mais non pas lui, vous avez encore les idées mal placées !) On ne dit pas, on suggère, c’est terriblement efficace, tous les publicitaires vous le diront. Surtout si on colle à côté une photo (sans légende) où de pauvres poulets sont littéralement assiégés derrière des grilles empoignées par une foule... Comme on les plaint ! Comme ça reflète bien la réalité ! Comme c’est beau le journalisme à la sauce Royer !
Et ce n’est qu’un début. Le reste est d’une implacable logique. En voici la recette : prenez une caution officielle (le rapport Peyrefitte) [2], citez les « nombreuses personnalités » (ça fait sérieux) d’horizons divers (c’est démocratique en diable), dites que ce rapport reprend les thèses que votre maître (père) avait émises bien avant (mais ne dites pas quand). Munis de ce précieux viatique, allez l’interviewer.
Cette interview a eu lieu. C’est un ramassis de lieux communs bien digérés, dès les premières lignes :« il n’est pas rare de voir tout un quartier vivant sous la domination de la violence, du bruit des motos, des actes de vandalisme d’une poignée de voyous... » Les lecteurs de l’Espoir suivront en cœur le regard du maître fixé sur la cité des Sables (c’est bourré d’arabes !) et les cités populaires [3].
Vient ensuite la « carence des pouvoirs publics », la « police débordée » pour aboutir à ça : « … Face à l’incapacité de la société à se faire justice apparaissent alors l’irritation et l’aigreur, elles-mêmes porteuses de germes de violence... » On n’approuve pas ouvertement l’ « autodéfense », mais on la justifie, on l’excuse.
Partant de là, il ne reste plus qu’à reprendre les revendications émises par les policiers eux-mêmes. Vous manquez de personnel ? Soit ! On va vous en trouver, mais pas des flics d’État (cf la carence des pouvoirs publics citée plus haut), et voilà la milice qui pointe son nez. Oh, on ne prononce pas encore le mot, mais ça suinte de partout. 340 policiers pour 250 000 habitants c’est dérisoire, hein ?
Il propose des « peines nouvelles » : un morceau d’anthologie ! Le voici in-extenso :
« Je propose donc d’agir directement sur la propriété des délinquants par la confiscation (plus ou moins prolongée selon l’importance du délit et en cas de récidive). Ainsi dans le cadre de la lutte contre le bruit intempestif de certains véhicules la confiscation d’une moto serait sans doute durement ressentie. De même dans les cas de vols la confiscation de biens appartenant au voleur pourrait être une solution plus efficace que de charger un dossier judiciaire.
En ce qui concerne le vandalisme, il me paraît juste de faire restituer ou de compenser par le travail le prix des dégradations commises, soit en remettant en état (sous bonne escorte) les lieux ou les objets dégradés soit en accomplissant des taches au profit et au service de la communauté. Plus on monte dans l’échelle des délits, plus les peines devraient être renforcées, principalement par le travail en raison de son caractère réhabilitant... »
On confisque les biens des voleurs, bon ! Et s’ils sont mariés ? S’ils ont des gosses ? Les situations des épouses et des mômes des détenus ne sont pas assez dramatiques, peut-être ? Faut en rajouter ? Et le couplet sur le travail (sous bonne escorte !!!) ça ne vous rappelle rien ?
Bien entendu, Jeannot nous confirme qu’il est pour la peine de mort (rappelons à ce que sujet que si l’Espagne adopte sa constitution, la France, terre des Arts, d’Asile et des Libertés restera le seul pays d’Europe à perpétuer cette survivance du moyen-âge) [4].
Quelques temps plus tard, on apprenait l’existence de la milice. Dans un premier temps, outre le P’tit Rouge, seul le Parti Communiste avait cru bon de prendre l’affaire suffisamment au sérieux pour élever une protestation.
Après une accalmie, notre inéffable Jeannot s’est fendu, devant le comité de quartier de Tours-Nord, d’une de ces déclarations dont il a le secret. Accumulant en quelques mots des insultes contre la « carence policière » dans le plus pur style « Minute », des bourdes et des contre-vérités flagrantes, il a réussi à s’attirer les foudres unanimes des syndicats de police. Ceux-ci, protestant vertement dans un communiqué dont les termes sont pour le moins inhabituels, remarquent qu’une fois de plus, les tourangeaux n’ont pas été consultés avant que soit prise une décision qui risque fort de peser lourd dans leurs impôts locaux, et terminent en confirmant ce que nous annoncions, à savoir qu’une « police municipale » n’est pas autre chose qu’une milice privée, toute devouée à son créateur.
Les syndicats policiers unanimes s’indignent des déclarations de M. Royer Le syndicat national des policiers en tenue, affilié à la Fédération autonome des syndicats de police (organisation majoritaire), les représentants du personnel, le syndicat national autonome des policiers en civil (organisation majoritaire), le syndicat CGT police et le syndicat FO communiquent : « Les policiers de toutes catégories ont été choqués par les déclarations de M. Royer, maire de Tours, dans lesquelles il a dénoncé devant le comité de quartier de Tours-Nord (Nouvelle République du 30 octobre 1978) « la carence policière ». Ils estiment que la création d’une police municipale ne se justifiait pas. Tours est loin d’être une ville où la criminalité progresse aussi vite que dans d’autres cités. Mais la population est en droit de se poser des questions sur sa répercussion financière. Effectivement, les Tourangeaux paient déjà sous forme d’impôts leur contribution en ce qui concerne la Police nationale, et maintenant il faudra y ajouter l’entretien d’une police municipale. Il semble plus facile de recruter une police municipale toute dévouée à M. le Maire qu’une véritable police nationale au service de tous. » |
Nous ne le répèterons jamais assez. Il n’y a qu’à voir ce qui se fait ailleurs pour être convaincu de l’usage qui est fait de tels groupes. A Nice, ils opèrent des contrôles, des arrestations et des tabassages dans la plus sereine illégalité. A Lille, ils réclament des armes que Mauroy, maire socialiste, s’obstine à leur refuser. A Tours, ils ont des chiens.
Une fois encore, Royer se met au diapason des campagnes les plus réactionnaires. Il y a quelques années, c’était la moralité, le non à l’avortement, le soutien à l’extrême-droite. Aujourd’hui, c’est la campagne hystérique sur l’ « insécurité ». Répétons-le, cette campagne est basée sur des mensonges. Monsieur Royer se rend complice de mensonge quand il affirme, contrairement aux chiffres, que la criminalité progresse. L’Espoir, journal de M. Royer, se rend complice des cinglés de la « légitime » défense lorsqu’il balance ses campagnes sur l’insécurité, comme par hasard juste avant la création de la milice. Nous devons, tous, élever nos voix pour que cessent de telles campagnes hystériques qui ont déjà provoqué la mort d’un enfant de huit ans (le 20.10.78, un artisan de Courtenay dans le Loiret tue son fils de huit ans dans l’escalier parce qu’il avait entendu du bruit : son fils était descendu boire un verre d’eau à la cuisine, sans allumer la lumière, pour ne pas réveiller ses parents).
Même les flics désapprouvent ouvertement cette manipulation consciente des médias. Parce qu’ils savent que, lorsqu’ils font appel à la loi du Talion, à la connerie la plus noire, Monsieur Royer et ses semblables sont sûrs de toucher une opinion conditionnée par une presse à leur botte. Ils ont raison de dire que la milice ne servira pas les intérêts des Tourangeaux, mais ceux de Monsieur Royer.
La sauvegarde de l’ordre qu’ils assumeront, c’est le même ordre que le maire faisait défendre en confiant son « service d’ordre » à des fascistes. Seulement, maintenant, l’extrême-droite a trop mauvaise allure... Une police municipale, avec sa gueule quasi officielle, ça fait plus propre, et on peut la faire subventionner par les contribuables. Tout bénéfice ! On serait à sa place, on aurait honte. Seulement voilà, un Royer ça n’a pas honte, ça n’a pas été élu pour ça.
Illustration : policiers municipaux, juillet 2014