Les gesticulations dérisoires de la Région Centre pour faire face à l’urgence climatique

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Le jeudi 16 mai, une poignée d’élus régionaux venait présenter à Tours la « COP Régionale Centre Val-de-Loire », déclinaison locale des accords internationaux sur les changements climatiques. L’opération, qui vise à obtenir « la mobilisation de toutes et tous » pour faire face à l’urgence climatique et sociale, témoigne surtout de l’incapacité des institutions à répondre à la catastrophe.

« C’est une forme de petit coaching, ça pousse au défi personnel. » Enthousiaste, un jeune type salarié de l’ONG WWF présente WAG, une application pour téléphones portables qui promet à ses utilisateur-ices de « reprendre le pouvoir de consommer mieux pour soi et pour la planète ». À base de slogans débiles, comme « Si t’as la main verte, plante ta ciboulette Juliette », cette application « lifestyle » (sic) est l’un des outils grâce auxquels la Région Centre prétend prévenir le désastre écologique et limiter le réchauffement climatique. Autant dire qu’on est mal barrés.

Une deuxième salariée de WWF présente la « COP21 Rouen Normandie », une autre déclinaison locale de la COP21 [1]. Elle aussi est enthousiaste quand elle explique le dispositif de labellisation prévu pour « valoriser les événements en lien avec la COP » et « mettre en lumière les démarches exemplaires ». Et elle illustre ce dispositif en évoquant les « afterworks du climat » organisés à Rouen pour mobiliser les réseaux d’affaires ; un bel exemple de la manière dont l’écologie peut être diluée dans la culture d’entreprise la plus médiocre. On comprend mieux que le patron de l’ONG, Pascal Canfin, ait atterri sur la liste En Marche aux élections européennes.

Une agitation vaine qui s’appuie sur des efforts de communication ridicules

Ce jeudi 16 mai, dans un amphithéâtre de la fac de Tours, la présentation assurée par ces deux salariés de WWF et quelques élus régionaux marquait le point final de la tournée de lancement de la COP régionale. L’idée de la Région est de mobiliser toute une série d’acteurs (entreprises, collectivités, associations, etc.) appelés à prendre des « engagements concrets » qui seront inscrits dans un accord local. « La mobilisation de toutes et tous et le passage aux actes ! », déclare avec emphase l’un des visuels distribués au public.

Pour parvenir à cet accord, la Région a imaginé toute une série d’outils : des « coalitions » thématiques ou sectorielles qui doivent élaborer des engagements ; un réseau d’« ambassadeurs » chargés de promouvoir la COP ; des ateliers et des « défis de la transition » déclinables en famille ou au lycée ; un conseil scientifique qui serait « l’équivalent du GIEC en Région Centre-Val de Loire ». Mais au fur et à mesure qu’ils sont présentés par les différents intervenants, on comprend de moins en moins le sens de la démarche.

Car l’accord n’a pas vocation à fixer des objectifs. Ceux-ci ont déjà été inscrits dans le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) établi par le conseil régional. Ce schéma fixe des objectifs dans différents domaines (urbanisme, transports, énergies renouvelables, etc.), mais reste très vague sur les leviers mobilisés pour y parvenir. Les objectifs fixés sont censés être pris en compte par les collectivités de rang inférieur, mais celles-ci sont mal disposées à s’y soumettre. En Indre-et-Loire, le conseil départemental, la métropole de Tours et plusieurs communautés de communes ont déjà déclaré leur opposition au plan concocté par la Région [2].

Finalement, on a le sentiment d’observer une agitation vaine appuyée sur des efforts de communication ridicules. Des objectifs vagues, l’espoir d’engagements flous, une infantilisation des habitant-es à travers de cette logique de « défis » et de « coaching », et la croyance naïve qu’un changement de trajectoire est possible en « co-construisant » avec tous les acteurs locaux. Le président du conseil régional, François Bonneau, ne veut pas procéder de manière injonctive, ça risquerait de froisser les acteurs économiques et les autres collectivités. Il veut établir des « diagnostics partagés », rapprocher « des acteurs qui fonctionnent en silos », etc. Son laïus ressemble à un discours de manager cherchant à motiver ses équipes. Charles Fournier, le vice-président délégué à la Transition écologique, se félicite d’annoncer que la fédération des MDL [3] organisera ses assises nationales en Région Centre et qu’elles porteront sur le climat ; dans le genre dérisoire, ça se pose là.

Ecosystème start-up et lutte contre le réchauffement climatique, des objectifs irréconciliables

La Région dispose pourtant, a priori, d’un certain nombre de leviers pour agir sur cette thématique de l’urgence climatique et sociale. En transformant de manière radicale ses orientations budgétaires, elle pourrait soutenir des politiques ou des actions allant dans le sens de l’objectif annoncé. Mais l’on voit bien que les élus rechignent à accepter le changement de schéma qui s’impose. Une réelle prise en compte des enjeux climatiques supposerait de rompre avec les logiques de croissance et de développement économique dans lesquelles s’inscrivent les institutions. On ne peut pas prétendre lutter contre les dégâts causés par le capitalisme sans en finir avec lui.

On ne peut pas prétendre vouloir sérieusement lutter contre le réchauffement climatique tout en continuant à subventionner grassement les modes de transport les plus polluants, comme le fait la Région avec sa subvention annuelle à l’aéroport de Tours. On ne peut pas prétendre « relever le défi climatique » tout en parcourant la planète pour développer le tourisme international dans la région [4]. On ne peut pas prétendre lutter contre l’effondrement de la biodiversité tout en se félicitant de se positionner « parmi les territoires français les plus dynamiques en termes de développement de sa filière Tech » [5], alors que cette filière multiplie les fausses innovations extrêmement consommatrices en ressources et en énergie.

Le matin du 16 mai, quelques heures avant la présentation de la COP régionale, François Bonneau inaugurait le stand de la Région Centre dans les allées du salon VivaTech, présenté comme « LE rendez-vous mondial des startups et des leaders ». L’entreprise de luxe Louis Vuitton y présentait une innovation technologique majeure : un filtre Snapchat faisant apparaître dans les mains de l’utilisateur un sac en cuir en réalité virtuelle. Tant que ce genre de bêtises auront cours, et que la Région Centre continuera à y apporter son soutien en promouvant l’« écosystème numérique et technologique » local, ses discours sur la prise en compte de l’urgence climatique apparaîtront pour ce qu’ils sont : une gesticulation sans rapport avec l’importance de l’enjeu.

Illustration : parc d’éoliennes abandonné, Eli Duke (CC BY-SA 2.0).

Notes

[1Pour avoir une idée de ce à quoi devrait ressembler l’accord de la Région Centre, voir L’accord de Rouen pour le climat.

[2Lire Aménagement des territoires : la Touraine dit non à la Région, La Nouvelle République, 08/04/2019.

[3Les Maisons Des Lycées (MDL) sont des associations constituées au sein des lycées ; elles « développent et soutiennent des projets sportifs, culturels, humanitaires ou liés à la citoyenneté ». Voir la présentation sur le site du ministère de l’Education.

[5Citation tirée d’un communiqué de l’agence régionale Dev’up, à l’occasion de l’obtention du label French Tech. À ce sujet, lire #ToursTech : « Tous unis pour la croissance de nos start-ups ».