Violences et Prostitution

Le 13 décembre, au Foyer des Jeunes Travailleurs de Tours, Le Nid et Osez Le Féminisme 37 organisaient un débat autour de « l’abolition du système prostitueur » avec la participation et le témoignage de Véronique Verger. Pour la trentaine de personnes présentes, en majorité des femmes, c’était l’occasion d’échanger sur le projet de loi adopté début décembre par l’Assemblée Nationale.

Le public, composé d’une majorité de femmes mais comptant également avec la présence de quelques hommes, était invité à se présenter brièvement pour expliquer ce qu’il attendait du débat. Les horizons géographiques, associatifs et politiques étaient divers : Algérie, Québec, Costa-Rica, Suède, France ; membres de la LGBT [1], du Planning Familial, du CIDFF [2] d’Indre-et-Loire, du Parti de Gauche, du Zonta Club International, des Chiennes de garde, étudiants ou professionnels du social.

Le Nid et Osez Le Féminisme, acteurs du plaidoyer citoyen

Une fois le tour de parole réalisé, les associations vont successivement expliquer le motif de leur ralliement ainsi que leurs actions au sein des collectifs citoyens pour l’abolition du système prostitueur.

  • Guy Joquet se charge de présenter le mouvement du Nid en insistant sur sa reconnaissance nationale (agréments jeunesse et sport, association d’utilité publique etc.) et son inscription locale. A Tours, Le Nid compte donc une vingtaine de bénévoles et de professionnels dont les activités sont principalement tournées vers la rencontre régulière avec des personnes en situation de prostitution, ainsi que vers l’organisation de groupes de prévention et de formation, à destination des jeunes notamment. La distinction entre système et individu est fondamentale pour comprendre la perspective de projet social défendue par le Nid. L’une des préoccupations actuelles du mouvement concerne le « troc sexuel » [3], qui semble s’intensifier et se banaliser.
  • Claire Piot, présentera ensuite la position défendue par Osez Le Féminisme en ré-affirmant que le système de la prostitution doit être considéré comme une violence faite aux femmes. Dans cette acception, il est nécessaire d’identifier et de pénaliser les auteurs de cette violence (clients, proxénètes). Elle souligne également que le mouvement a apporté son soutien au projet de loi sur l’abolition dans le cadre, plus large, de la modification des représentations des femmes dans la société. A Tours, une section départementale d’Osez Le Féminisme a été créée cette année et entend relayer les campagnes nationales sur le sujet.

Véronique Verger : « citoyenne, auteure, militante, mère de famille »

Véronique Verger a rencontré le Nid alors qu’elle se prostituait à Tours entre 1989 et 1993 autour du Boulevard Heurteloup. Son témoignage est brut, viscéral ; reflet de la violence du système dans lequel elle naît et grandit avant d’être contrainte à se prostituer une fois devenue jeune adulte. « Gosse de l’ASE »  [4], « placée » dans une famille d’accueil maltraitante. Comme beaucoup d’autres enfants de l’assistance retirés à leurs parents biologiques aux pratiques violentes voire incestueuses, elle devient un objet sexuel pour sa famille nourricière. Véronique Verger se sait une « victime de guerre » mais elle préfère aujourd’hui se définir comme « citoyenne, auteure [5], militante, mère de famille » et n’hésite plus à exprimer sa colère, notamment aux médias, qui la cataloguent inlassablement comme une « pute » ou une « ancienne prostituée ».

Proxénétisme et complicité des pouvoirs locaux

Ce qui est le plus frappant dans le témoignage de Véronique Verger c’est la complicité qu’elle décrit, à plusieurs reprises, entre les institutions publiques et les proxénètes. A maintes occasions, elle signale à la police de Tours le danger et les menaces qui pèsent sur sa personne. Elle raconte :

« Cela se passait au Buffet de la gare, les proxénètes et les policiers en civil étaient là. Il arrivait que l’on se fasse prendre, comme ça, devant tout le monde. Personne ne bougeait. »

Elle évoque la difficulté pour les personnes en prostitution de se faire entendre, de se sentir protégées, d’oser porter plainte et de faire confiance au système judiciaire. Elle réussira cependant à faire condamner des clients tourangeaux violents, des clients qu’elle décrit comme des « hommes malades » parmi lesquels « un conseiller municipal, un gérant de taxi ». Son analyse des profils-types des clients confirme la complicité entre les élites locales et le proxénétisme. Parmi les 5 catégories de clients qu’elle détaille, elle en distingue une : « l’homme riche » dont elle raconte qu’il est « intouchable ».

« Ce client là, il allonge : 100, 200, 500, 1000, 2000. Il s’en fout. (...) Il vous demande des trucs...! Des trucs... ça existe ça ou pas ? »

Elle dit avoir beaucoup refusé ce genre de clients qui demandent à violenter ou à être violentés ; ces clients qui « vous méprisent et vous abîment ». Véronique Verger regrette que le débat autour de l’adoption de la loi se soit concentré sur la question du client, estimant que seul le « petit client » sera pénalisé.

Place au débat ?

Organiser un débat autour d’une thématique aussi sensible que taboue comme la sexualité n’est pas une chose aisée. Le défi était de taille et, le public étant au rendez-vous, on peut considérer que les associations ont réussi leur pari. Néanmoins, la forme demanderait à être repensée : la présentation des représentants des associations, avec la plus grande place laissée au témoignage de Véronique Verger, avaient, malgré leur pertinence et leur légitimité, un effet « assommoir ». Le peu de place laissé à des arguments contradictoires mériterait également d’être questionné : comment prétendre ouvrir un débat s’il n’existe pas de contre-point ? Cet aspect était déjà sous-jacent dans les présentations du public : tou-te-s ou presque, se disaient « pour l’abolition » ou « sans réelle opinion mais plutôt pour ». Comme s’il avait été nécessaire de s’excuser de défendre une autre posture... Guy Joquet avait pourtant demandé à ce que les a priori des « pour ou contre » soient laissés aux législateurs qui, d’ailleurs, « font déjà bien assez de conneries comme ça ». Après 1h30 d’exposé, le public était (enfin) invité à participer et à poser des questions.

Parmi les questions posées, certaines ont suscité d’intenses réactions. Une étudiante de l’Institut du Travail Social de Tours s’interrogeait par exemple sur le débat concernant la mise en place d’« assistants sexuels pour les personnes handicapées ». Son interrogation, somme toute légitime, ainsi qu’une question relative à la possibilité d’un travail sexuel indépendant, se rapprochant des positions défendues par le STRASS [6], ont constitué l’occasion d’un virulent règlement de comptes entre « vrais et faux féminismes ».

Débattons !

A mon sens, le débat doit permettre l’écoute, la discussion, l’ouverture. L’intérêt étant que les idées se confrontent et, dans ce cas, la ténacité des uns à tenir leurs positions ne doit surtout pas devenir synonyme de prise de pouvoir ou d’abus d’autorité. Vendredi soir, chacun-e-s était venu avec ses interrogations, son expérience, ses convictions. La preuve : si bon nombre de femmes ont, par exemple, fait remarquer sa maladresse à Véronique Verger en lui faisant part du choc qu’elles ont ressenti lorsque celle-ci a expliqué qu’elle considérait certaines pratiques sexuelles comme appartenant au « devoir conjugal » (fellation, sodomie) ou qu’elle analysait la violence conjugale comme seule conséquence d’une précarité économique, chacune était, il me semble, consciente et bienveillante à propos du fait que nous partons tous d’un point vue situé et que le débat est censé justement nous permettre de dépasser ces particularités individuelles. Faire l’économie de la réflexion personnelle et collective « d’où je parle/ d’où parlons-nous » me semble dès lors périlleuse et sclérosante...

GabrielA

Notes

[1Fédération des Lesbiennes Gays Bi et Trans de France

[2Centre d’information sur le droit des femmes et des familles

[3Le « troc sexuel » désigne l’échange de services sexuels contre l’obtention de biens de consommation.

[4Aide Sociale à l’Enfance

[5Véronique Verger a récemment publié un livre dans lequel elle raconte son histoire Si je viens vers toi, De Villele Emmeline éditions, 2013, 136p.

[6Syndicat du Travail Sexuel, les communiqués du STRASS sont consultables sur internet : http://site.strass-syndicat.org/