Mobilité contrôlée : une multinationale du parking déploie ses vélos à Tours

L’entreprise Indigo, qui se présente comme « leader mondial du stationnement », lance un service de vélos en libre service sans bornes. Une offre soi-disant « révolutionnaire » qui colle à l’ambition des élus de faire de Tours une ville « intelligente ».

Un service de vélopartage « connecté, intelligent et sans station ». C’est ainsi qu’Indigo Weel présente son offre de vélos en free floating, lancée à Tours ce 31 janvier. L’entreprise ambitionne de déployer jusqu’à 600 vélos dans les rues de la ville au cours des prochains mois.

Contrairement aux services de type « Vélib’ » proposés depuis quelques années dans des villes comme Lyon ou Paris, les vélos en free floating fonctionnent sans bornes : une application pour smartphone permet de géolocaliser un des vélos de la flotte et de le débloquer pour effectuer un trajet avant de le reposer dans l’une des zones déterminées. Le paiement se fait également via l’application. La filiale d’Indigo s’est déjà implantée à Metz et compte déployer largement son offre sur un marché déjà très concurrentiel. En plus de se diversifier, l’entreprise aux 4 000 parkings se paye un petit coup de greenwashing en développant un nouveau service garanti « écologique et durable ».

Saccage à Reims, décharges en Chine

A Reims, l’expérience n’aura durée que deux mois : en quelques semaines, 380 des 400 vélos en libre service proposés par l’entreprise GoBee Bike ont été mis hors service. D’après le journal local L’union, « le phénomène de vandalisme rencontré a fini par avoir raison de la start-up ». Qui s’est également retirée de Lille et Bruxelles.

En Chine, où plusieurs entreprises se disputent le marché, des millions de ces vélos ont été mis en circulation. Et des milliers d’engins pourrissent déjà dans des décharges [1]. Pour un observateur de ce marché, le problème est que les entreprises de ce secteur sont trop préoccupées par les questions d’implantation et d’investissement pour se concentrer sur la fourniture d’un service de qualité :

« On voit des milliers de vélos garés partout dans la ville et beaucoup ne fonctionnent pas parce que personne ne s’en occupe » [2].

Sur ce point, Indigo Weel assure qu’un système de bonus-malus encouragera les client-es à ne pas laisser les vélos n’importe où. Et l’entreprise va même tenter de s’occuper de l’entretien des vélos déployés. En consultant les sites de recherche d’emploi, on tombe sur une offre de CDI pour un poste d’« agent opérationnel » basé à Tours, proposée par la multinationale du parking. Notamment chargé d’ « effectuer des réparations légères sur la flotte de vélos » et d’« assurer le déploiement de la flotte de vélos en extérieur », cet agent devra être « rigoureux, organisé, autonome, polyvalent, imaginatif, bon communicant, sociable et appliqué », mais aussi connaître Tours comme sa poche. Autant de compétences grassement rémunérées : l’offre promet un SMIC.

Un coup de pédale vers la ville sous contrôle

L’avantage de ce type de service, pour les municipalités qui l’accueille ? D’abord, contrairement aux modèles avec bornes de type « Vélib’ », ils ne nécessitent en général aucun investissement de la part de la collectivité. Au contraire, la Ville de Paris envisagerait la création d’une redevance pour occupation commerciale du domaine public [3]. Cela permet donc de donner le sentiment qu’on mène une politique en faveur du vélo sans rien débourser. Malin.

Ensuite, cela donne une image moderne et connectée de la ville. Comme l’explique Serge Clémente, PDG d’Indigo, sa société ne se contente pas de gérer des parkings : elle est un outil au service de la « smart city » [4]. Même élément de langage dans la bouche d’Yves Massot, adjoint aux transports de la ville de Tours le jour de l’inauguration d’Indigo Weel, cité sur le compte Twitter de l’entreprise :

« Le projet #Indigoweel s’adapte complètement à notre envie d’une ville #smartcity" »

Cette smart city, ou « ville intelligente », est devenue un outil de développement économique et d’attractivité territoriale pour les collectivités comme Tours [5] : il s’agit de projeter l’image d’une ville « innovante ». Tant pis si cette innovation est réservée pour une bonne part aux seul-es utilisateur-ices de smartphones, comme c’est le cas pour les vélos en free floating.

Mais la smart city, c’est aussi la promesse de mieux administrer la ville grâce aux données et aux nouvelles technologies. Transports, stationnement, éclairage, déchets... De multiples pans de la vie urbaine sont aujourd’hui décortiqués en vue d’être optimisés. Et les entreprises se bousculent pour promettre aux collectivités une gestion plus fluide et rationnelle de leur territoire et des comportements de leurs habitants : le marché mondial de la smart city est estimé entre 400 et 1 600 milliards de dollars à l’horizon 2020 [6]. Tout doit être prévu, calculé, géré, organisé. Au prix d’un contrôle permanent et d’une exploitation massive des données personnelles des habitant-es.

Tout cela n’empêche pas Indigo Weel de présenter son service comme « révolutionnaire ». Du coup, ce serait vraiment dommage que leurs vélos soient vandalisés.

Illustrations tirées de la vidéo de présentation du service sur indigoweel.com

Notes

[1Voir les photos publiées sur le site du Guardian(en anglais).

[2Traduit depuis The Guardian.

[3Voir Mieux vaut des pistes cyclables que des vélos pas chers sur le blog L’interconnexion n’est plus assurée et Le vélo jetable arrive en France sur le site carfree.fr.

[4« Héritiers de l’esprit d’innovation de VINCI Park, nous sommes le pont entre la voiture connectée et la smart city ». Source : parkindigo.com.

[5Voir à la page 10 du rapport De la smart city au territoire d’intelligence(s) - L’avenir de la smart city, rapport au Premier ministre confié à Luc Belot, député de Maine-et-Loire, avril 2017.

[6Source : rapport de Luc Belot précité.