« Le problème, c’est qu’on est dans un état de droit » : la dérive autoritaire de LREM

Dans un entretien à France Bleu Touraine [1], le député LREM de la deuxième circonscription d’Indre-et-Loire, Daniel Labaronne, a dévoilé son goût pour l’arbitraire et la répression, désignant au passage un nouvel ennemi intérieur.

Daniel Labaronne est fâché. Daniel Labaronne est fâché, parce que la manifestation du 16 mars, qui a réuni des milliers de gilets jaunes sur les Champs-Élysées, a « saccagé l’image de notre pays » — en fait, les manifestant-es ont surtout saccagé des commerces de luxe et des enseignes de fringues.

D’après Daniel Labaronne, « y a 67 millions de personnes qui en ont ras-le-bol », de cette situation. En réalité, 53 % des participant-es à un récent sondage disent soutenir ou avoir de la sympathie pour le mouvement [2], malgré les scènes d’émeute de samedi dernier. Apparemment, tout le monde n’était pas aussi attaché aux vitrines du Fouquet’s et à la devanture d’Hugo Boss que semble le penser Daniel Labaronne.

Les coupables, ce sont « des anarchistes », « des révolutionnaires », qui veulent « créer le chaos pour instaurer je-ne-sais quel ordre, mais en tous les cas certainement pas un ordre démocratique », d’après le député. Si détruire ou incendier des lieux symboliques permettait d’instaurer des démocraties, ça se saurait ! [3] D’ailleurs, le 14 juillet est la date anniversaire du grand débat lancé par Louis XVI en 1789, c’est bien connu.

Le journaliste de France Bleu Touraine a une suggestion (rappelons ici que la presse est régulièrement présentée comme un« pilier de la démocratie ») : « On peut pas les arrêter ces gens-là avant qu’ils n’arrivent sur les Champs-Élysées ? On peut pas mener des arrestations préventives ? » Alors, Daniel Labaronne, de sa circonscription, il se dit : « Oui, on devrait pouvoir ». La presse et le pouvoir se mettant d’accord pour faire arrêter préventivement les anarchistes, c’est superbe [4]. Malheureusement, la probable promulgation de la loi dite « anti-casseurs », qui permettra d’interdire à des individus de manifester sans qu’ils aient commis le moindre délit, risque bien de transformer leurs rêves sordides en réalité.

Boutique Repetto, avenue des Champs-Élysées

Daniel Labaronne voudrait bien que ces violences cessent, et fait mine de s’interroger : « Est-ce qu’il faut arrêter les manifestations ou est-ce qu’il faut les interdire ? » L’auditeur ou l’auditrice aura corrigé, comme on l’a vu, ce sont désormais les manifestant-es que le député veut arrêter. Mais pour Daniel Labaronne, il y a un « problème » :

« Le problème, c’est qu’on est dans un état de droit. »

Ah oui, c’est emmerdant. Vivre dans un état autoritaire ou policier, ça serait quand même vachement plus pratique. Bon, on se pince en entendant ça dans la bouche d’un député, chargé de voter les lois et d’en contrôler l’application par le gouvernement ; c’est plutôt le genre de sorties qu’on attendrait d’un éditorialiste de Valeurs Actuelles. Mais ainsi va la politique, et Daniel Labaronne nous rappelle comment la bourgeoisie libérale peut facilement se satisfaire de l’arbitraire quand il sert ses intérêts de classe.

Daniel Labaronne continue de s’agacer : certains utilisent les droits qu’on leur accorde généreusement, comme le droit de manifester, pour critiquer l’Etat ! Ils voudraient même le renverser ! Et ça c’est pas du jeu, parce que, comme l’Histoire nous le rappelle, les régimes sont faits pour durer toujours !

Le journaliste se demande ensuite pourquoi on fait traîner la promulgation de la loi « anti-casseurs » qui doit empêcher ces horreurs (pensez-vous, des kiosques à journaux ont été incendiés !). Le député prend un air affligé : le problème, c’est tous ces sales gauchistes de l’opposition qui sont complaisants (et donc un peu complice), et rechigneraient donc à autoriser à l’arbitraire policier de choisir qui a le droit, ou pas, de manifester (ce que le député qualifie de « mesures extrêmement énergiques »). Et Daniel Labaronne nous révèle sa pensée profonde :

« Nous sommes un peu en état de guerre, là, nous sommes face à un ennemi intérieur. »

Nous en termes de guerre et d’ennemi déclarés on s’était arrêtés aux djihadistes et à la « guerre contre le terrorisme » que nous avaient servie Hollande et Valls. Mais apparemment la doctrine a été revue, et casser quelques vitrines est comparable à l’exécution de civils dans les rues de Paris. C’est rassurant, de voir que les parlementaires gardent la tête froide...

L’entretien se poursuit avec un aveu d’incompétence de la part de Daniel Labaronne (suffisamment rare pour être souligné) : n’étant pas expert en maintien de l’ordre, il n’a pas de propositions concrètes à faire pour mettre fin au désordre. Il va ensuite plus loin : il admet ne pas comprendre la situation... Il n’a pas dû être très attentif. Les applaudissements nourris qui ont salué l’incendie de la devanture du Fouquet’s offraient quelques pistes. Qui auraient probablement été plus dans ses cordes, l’homme faisant profession d’enseigner l’économie. Mais la réaction du pouvoir a été claire : la réponse à la crise sera purement répressive, il n’est pas question d’entendre les revendications de justice sociale qui s’expriment.

Illustrations via La rue ou rien.

Notes

[1L’entretien peut être écouté sur le site de la radio.

[2A lire sur le site de l’agence Elable.

[3A ce sujet, lire cet entretien donné par Michelle Zancarini-Fournel, spécialiste des mouvements sociaux : « On oublie souvent que la Révolution française, socle de notre régime politique, a commencé par des violences dans la rue ».

[4La séquence actuelle (loi visant à prévenir les violences lors des manifestations, déclarations de membres du gouvernement et de la majorité, etc.) n’est pas sans rappeler les « lois scélérates » de 1893-1894. A ce sujet, lire l’analyse de Léon Blum et le discours de Jean Jaurès.