Parmi les articles publiés sur le site de La Nouvelle République, on trouvait les titres suivants : « Algérie : la place Jean-Jaurès assaillie à Tours » et « Algérie : la place Jean-Jaurès envahie ». Le journal a donc décidé d’utiliser un vocabulaire guerrier pour qualifier une fête d’après-match.... On renvoie les journalistes vers les définitions des termes utilisés :
- « assaillir » : Attaquer vivement par surprise.
- « envahir » : Occuper par force, avec violence, en parlant des humains.
Dans le premier article, on peut lire :
« Des hommes d’une quarantaine d’années, les grands frères ou les parents, ont calmé les velléités provocatrices des plus jeunes pour éviter que la fête ne tourne à l’affrontement. »
Pourtant, la provocation semblait plutôt se trouver du côté des autorités. Notamment avec l’arrêt prématuré du tram décidé par Fil Bleu, et le dispositif policier impressionnant mis en place pour bloquer l’entrée de la rue Nationale (CRS, groupes anti-émeutes, et 5 camions de police). Pour justifier l’interruption de la circulation du tram, la direction de Fil Bleu a prétexté des opérations de maintenance. Or, on pouvait lire dans la NR :
« Cette " maintenance" est en fait une mesure préventive prise par Fil Bleu qui redoute de voir la circulation des rames de tramway entravée par des manifestations de joie (ou de déception) à l’issue du match de football Algérie-Russie (...). Il y a quelques jours, des supporters algériens avaient ainsi bloqué le tramway après la victoire de leur équipe contre la Corée du Sud. »
Aucun débordement n’avait donc eu lieu lors du précédent match — si le tram avait été égratigné, le journal en aurait certainement fait des tonnes, comme d’habitude. Mais Fil Bleu a quand même décidé de prendre des mesures exceptionnelles. Rappelons que les manifestations syndicales bloquent souvent la circulation du tram sans pour autant que la suspension du trafic soit annoncée la veille par la régie de transports.
La Nouvelle République consacre même un article entier à la dégradation d’une porte du tribunal, avec le sens de la mesure qui la caractérise : l’article est titré « La porte du tribunal défoncée ». En fait, un seul panneau de bois a été cassé...
En bref, les supporters de l’Algérie ont eu droit à un traitement policier et médiatique exceptionnel et exemplaire de la stigmatisation dont sont victimes les populations des quartiers populaires.
Ce traitement policier et médiatique n’est évidemment pas une spécificité locale : partout en France, les manifestations de joie ont été réprimées durement. Pour ne prendre qu’un exemple, à Lyon, à l’issue de chaque match de l’Algérie, les policiers ont totalement bouclé le quartier populaire de la Guillottière et fait un usage consciencieux de leur arsenal répressif (gaz lacrymogènes, tirs de flash-ball, violences physiques diverses). Évidemment, les médias locaux et nationaux s’en sont donnés à cœur joie pour dénoncer les émeutiers mais se sont montrés très discrets sur les provocations et violences policières.
On pourrait critiquer les raisons qui poussent les supporters de l’équipe d’Algérie à descendre dans la rue : dénoncer les sentiments nationalistes qu’entretiennent les grandes compétitions sportives, le fait que les pauvres d’ici préfèrent se réjouir devant les performances d’une équipe composée de millionnaires plutôt que s’associer aux difficultés des pauvres de là-bas, critiquer le sport lui-même (comme idéologie), etcétéra. Sauf que ces critiques valent aussi pour les supporters de l’équipe de France. Or, quand ces supporters-là jouent du klaxon pour célébrer une victoire, personne ne s’en offusque. Au contraire, les médias participent à la célébration. La répression qui touche les supporters algériens vient nous rappeler que le racisme n’est pas le fait d’individus isolés mais bel et bien une mécanique d’État : quand on est pauvre et d’origine immigrée on n’a pas le droit de manifester sa joie pacifiquement, on se doit de baisser la tête, de fermer sa gueule et d’accepter sa position de dominé.
Les CRS frappent, l’État écrase la joie populaire, le Front National pavoise, tout va bien !
Illustration : Erik Drooker