Souffrance à l’hôpital : les équipes de nuit du centre hospitalier de Chinon interpellent leur directrice

Depuis le 23 septembre 2020, des agents de nuit de l’hôpital de Chinon ont entamé un mouvement de grève. Nous reproduisons ci-dessous le courrier envoyé à la directrice de l’établissement, dénonçant une dégradation des conditions de soin et de travail.

Madame la Directrice,

Nous aurions préféré ne pas avoir à vous adresser ce message. Mais les circonstances nous y poussent. Par cette lettre, les signataires vous font part de leur inquiétude quant à la sécurité des soins et le cas échéant, si cela fait écho auprès de vous, à la qualité des soins. En effet, face à un nombre considérable d’arrêts maladie jamais observé sur les deux équipes de nuit (28 sur une centaine de personnes), lié à ce que nous observons de notre encadrement de nuit, qui semble oppressé par une hiérarchie dont les objectifs sont illisibles, lié à un manque chronique d’embauches, lié à une lacune considérable dans la gérance des plannings, et lié à la crise sanitaire, nos conditions de travail se voient détériorées.

Ainsi, face à la politique que vous menez en équipe de direction, nous tenons par cette présente à vous signaler que nous nous « déchargeons de toute responsabilité » en cas de manquement à la sécurité et à la qualité des soins, et que nous n’acceptons pas de travailler dans les conditions qui sont celles que nous connaissons aujourd’hui. Comment regarder un patient dans les yeux, lui garantir la qualité des soins et lui promettre qu’il est en sécurité dans votre établissement lorsque 3 soignants de nuit sont responsables de presque 40 patients au SSR et au CSG-SAND ? Lorsque 4 soignants sont responsables de deux services de médecine ? Lorsque 4 soignants aux urgences dont 2 infirmières (IDE) doivent assurer les soins du service des urgences (dont deux déchocs), d’HTCD, du SMUR, du bloc opératoire et du laboratoire d’analyses ? Lorsque les 2 aide-soignants (AS) se retrouvent seuls dans le service des urgences, alors qu’un IDE est au bloc et l’autre en SMUR, qui assure les soins des patients présents aux urgences ? L’IDE de médecine bien sûr, qui lui-même laisse 20 patients dans son service.... Comment accompagner dignement la fin de vie à l’USLD et à l’EHPAD avec le nombre de soignants qui s’y trouve la nuit ? Comment accompagner correctement les patients de psychiatrie ou les mamans et leurs bébés à la maternité lorsque ces IDE et AS spécialisés sont envoyés dans les autres étages de l’hôpital pour combler le manque ?

D’autres services sont également quotidiennement touchés face au manque de personnel : la MAS par exemple, où les soignants se sont retrouvés régulièrement à deux . Nous passons toutes les tâches inhérentes au travail de nuit : ménage quotidien, standardistes et secrétaires pour les soignants des urgences, préparatrices en pharmacie pour les infirmiers de médecine et de l’EHPAD. Comment expliquer le nombre de contractuels sur nos équipes ? Pourquoi ces soignants ne sont-ils pas plus rapidement stagiairisés ? Pourquoi paralyser pendant des mois leur profession et leurs projets de vie ?

Comment peut-on être convaincue, Madame, que cette mission qui est la vôtre de « veiller au bien être du personnel et à l’amélioration constante des soins dans le cadre de la démarche qualité et pour le bénéfice des patients » peut être accomplie ? À la veille du mois d’octobre, beaucoup d’entre nous ne savent toujours pas à quoi ressemblera le mois prochain. Nos plannings ne le permettent pas. En effet, depuis quelques temps déjà, nos semaines de travail s’organisent au jour le jour, sans possibilité pour nous d’avoir une quelconque visibilité sur l’avenir proche. Nous avons beau revenir sans cesse vers nos supérieurs hiérarchiques, il semble que nos réclamations restent lettre morte.

« Vous avez largement abusé de notre dévouement »

Ne croyez pourtant pas, Madame, que ces questionnements soient le fruit d’une démotivation de notre part vis à vis de notre profession, qui est avant tout une vocation. Nous aimons notre métier et n’hésitons pas à lui consacrer le plus clair de notre temps. Renoncer à des jours de repos qui nous sont enlevés sans nous prévenir (comme c’est le cas pour beaucoup d’entre nous en octobre), remplacer des collègues au pied levé, adapter nos emplois du temps en fonction de ce qui arrange chacun ou chacune : voilà notre quotidien. Nous l’avons par le passé accepté, en ayant conscience des difficultés que rencontrait notre hôpital. Toutefois, notre disponibilité trouve ses limites là où commence notre vie privée. Nous n’admettons pas qu’à l’approche de cette fin d’année, la plupart d’entre nous ne puisse pas s’organiser en fonction de leur emploi du temps. Nous sommes perpétuellement maintenus dans le flou, dans l’hésitation, dans le non-dit, dans le non-respect de nos droits. Vous dire que nous sommes exaspérés est un euphémisme. En outre, les heures supplémentaires sont bien la preuve de notre engagement et de notre bonne volonté. Nous ne rechignons jamais à la nécessité de travailler plus, et ne nous accordons pas le luxe de négliger nos patients. Or, vous avez largement abusé de notre dévouement pour la profession, et de la solidarité que nous avons tous envers nos collègues.

Nous sommes abîmés et le sentiment de venir au travail avec la boule au ventre ou à reculons est nouveau pour nous et très déstabilisant. Ce sentiment s’ajoute à l’indigence organisationnelle de nos plannings ; vous comprendrez donc notre impatience. Ces quelques revendications ne sont qu’une demande de respect de nos droits du travail et de la dignité de nos patients et de nos équipes. Savoir de quoi sera faite la semaine prochaine ou offrir une qualité de soins aux Chinonais en 2020 est loin de nous paraitre un concept difficilement compréhensible, et cette réalité nous est pourtant aujourd’hui refusée. Enfin, il est quand même insensé de venir quémander des moyens humains auprès de vous et de votre équipe lors d’une réunion, de vous faire part d’autant de détresse de votre personnel, dont le seul but est de bien soigner ! et de se retrouver encore une fois sans réponses, face à un mutisme sans considération apparente à nos interrogations. En espérant que ce message saura trouver écho auprès de vous, et que vous saurez prendre les mesures nécessaires pour soulager nos conditions de travail de nuit. Merci d’avance.

Les 2 équipes de nuit du CHC