Dérapage tragique à Vendôme : le passage de Finkielkraut fait 300 victimes

La venue de Finkielkraut à Vendôme, sur invitation du Comité Vendômois pour la Défense de la Laïcité a réuni un public nombreux. Cette triste mobilisation autour d’un personnage aux propos aussi réactionnaires que moribonds a de quoi inquiéter... Retour sur la soirée.

Inquiet et perplexe quant à la venue de Finkielkraut, après avoir écrit un premier article sur La Rotative, j’ai décidé d’assister à la conférence. Tout commence sur le parking aux abords de la salle du Minotaure à Vendôme : une fourgonnette de police garée face à la salle culturelle retient mon attention. Il est 18h55, j’arrive « pile à l’heure » et, à ma grande surprise, j’observe que les gens se dirigent vers la grande salle de l’étage et non vers les petites salles du rez-de-chaussée qui sont d’habitude prêtées aux associations. Trois policiers municipaux sont postés dans le hall mais semblent désœuvrés. Dans la salle, je remarque que de nombreuses personnes tiennent dans leur main un petit papier imprimé et commentent ce « tract » distribué à l’entrée de la conférence tout en se félicitant de l’affluence du public. Finkielkraut est attablé dans un coin avec le même petit papier qu’il lit et relit nerveusement. Je commence à comprendre ; il s’agit de mon premier article en version papier !

Les organisateurs de la conférence et « chevilles » du Comité Vendômois pour la Défense de la Laïcité introduisent la soirée. Philippe Defresne commence par rappeler la culture commune des invités de ce soir réunis par « les histoires de foulard » ; le ton est donné.

Complicité médiatique et politicienne

Comme je l’avais déjà fait remarquer, le tapis rouge a été déroulé pour Finkielkraut. Philippe Defresne remercie copieusement les médias locaux : Le Petit Vendômois, La Renaissance, « Édith » de La Nouvelle République pour son dernier papier élogieux, les radios RCJ, RTL, RCF etc. Bizarrement, aucune mention n’est faite à La Rotative, ni au tract qui a circulé ce soir...

Les remerciements de M. Defresne sont ouvertement adressés aux élus locaux (le conseil municipal de Vendôme, passé à droite aux dernières élections, est largement représenté). Ils concernent également une figure du paysage politique local : Maurice Leroy, député et président du Conseil Général du département, excusé pour son absence. « Momo » comme il est surnommé ici, est présenté comme un fidèle soutien : « il a été l’un des premiers à déposer une proposition de loi sur le voile à l’école ». Defresne souligne le soutien matériel dont a bénéficié le comité, notamment : les affiches et tracts fournis gracieusement et le local exceptionnel mis à disposition. Parmi les « innombrables amis et aides remerciées » figurent les « représentants de la franc-maçonnerie », « des libres penseurs » venus de Tours, de Paris ou encore des Alpes.

Maryse Haslé, secrétaire du comité vendômois prend ensuite la parole pour présenter l’invité d’honneur et, s’adressant à lui, déclare : « vous êtes le modèle de l’assimilation réussie » ! Puis, elle informe le public de la mise à disposition de numéros de la revue Causeur [1] à laquelle Finkielkraut contribue régulièrement.

Pot-pourri des « meilleures » déclarations Finkielkrautiennes de la soirée

Finkielkraut introduit sa conférence en évoquant « la nouvelle inquisition » dont il serait devenu l’objet voire la victime… Il poursuit en faisant allusion au tract distribué à l’entrée : s’avouant « passablement énervé », il avertit celles et ceux qui l’ont reçu.

« Toutes les citations (du tract) sont fausses. »

Finkielkraut n’en relèvera finalement qu’une : celle de « la France de Barbès et d’Amélie Poulain » que j’avais choisie suite à la lecture de l’article de Frédéric Martel sur le site Slate. Permettez-moi donc, M. Finkielkraut, de rafraîchir votre mémoire malheureuse en vous donnant les références de ladite phrase dans votre dernier ouvrage (p. 124-125).

Une fois sa jérémiade cérémonielle terminée, Finkielkraut, du haut de son estrade, entame sa conférence. Voici un condensé de ses (pires) propos :

En réponse à l’accusation d’« islamophobie », Finkielkraut précise qu’il s’agit d’individus accusés (évidemment) à tort : « ceux qui veulent que l’Islam accepte les lois de la République et non que l’on adapte les lois de la République à l’Islam. »

Sur un ton faussement romantique : « on cède tout à l’étranger, cet être superbe aux yeux profonds. » (Mais ne cédons rien aux méchants barbus !)

Sur un ton millénariste : « La France est mieux armée que d’autres pays pour résister à la vision libérale de la laïcité qui mène au multiculturalisme. Mais jusqu’à quand ? »
« Toutes les identités ont droit de Cité en France sauf l’identité française ! »
« Un esprit de charité règne de plus en plus », « C’est la capitulation charitable : on veut mettre sur un pied d’égalité tous les individus et toutes les cultures. » (Ceci ne l’empêchera nullement de citer par la suite Claude Lévi-Strauss qui s’est probablement retourné dans sa tombe.)

Sur un ton compassionnel : « Il ne faut pas mépriser les jeunes filles qui portent le voile, je les vois un peu comme les suffragettes de l’Islam. » (Sûr que les suffragettes apprécieront !)

Sur un ton d’apprenti-académicien : « La plupart des sociologues sont aujourd’hui héritiers de Bourdieu. », « Le triomphe de la sociologie sur l’histoire est une catastrophe ! » (En l’occurrence, c’est sa culture sociologique qui est une catastrophe…)

Sur un ton délirant : « Le fascisme est mort après la seconde guerre mondiale. Seuls les antifascistes ne se résignent pas et continuent de chercher des dragons qui n’existent plus ! »

Florilèges de questions posées par l’assistance

Le discours de l’académicien aux connotations guerrières (« bataille, combat, capitulation, résistance, effondrement, attaque » etc.) s’est clôt par de vifs applaudissements. Les questions posées par l’assistance n’ont eu d’égale que la bêtise des propos de l’orateur et les tonnerres d’applaudissements qui s’ensuivirent. J’en ai sélectionné quelques-unes pour vous en donner un aperçu :

  • « Pourquoi le voile n’est-il pas encore interdit à l’Université ? »
  • « Qu’avez-vous à nous dire sur le fait que l’Islam est aujourd’hui la deuxième religion de France et que nous vivons dans un pays qui condamne ceux qui déposent des têtes de porcs devant une mosquée et relaxent les femmes qui refusent d’ôter leur voile ? » Finkielkraut ne prendra pas la peine de relever la connotation raciste du dépôt de la tête de porc. Je m’interroge en me rappelant les propos introductifs de M. Defresne sur les tourangeaux présents dans la salle : y aurait-il ce soir des identitaires de Vox Populi ? [2]
  • Témoignage de « Zohra » qui se présente comme « française, immigrée de 1ère génération » et qui dénonce la condescendance dont elle a fait l’objet dans sa scolarité. Elle rejoint notre grand philosophe sur le constat de « ne pas avoir les mêmes exigences pour toutes les populations ». Finkielkraut ajoutera qu’un « coup mortel » a été porté au mérite puisqu’il est aujourd’hui possible de brandir « la carte de l’origine sociale » pour entrer, par exemple, dans une grande école [3]. Détail amusant : Zohra précise venir de Bourg-La-Reine, ville dans laquelle Finkielkraut a longtemps résidé ; sont-ils venus ensemble ? Finkielkraut emmène-t-il avec lui son « bouclier anti-raciste » ? [4]
  • La séance de questions se termine avec l’intervention d’ « Hugo, 16 ans » qui « avoue » à Finkielkraut avoir échangé à son sujet au lycée avec une copine et qui demande pourquoi il est surtout connu pour s’être énervé récemment sur un plateau télé, pourquoi sa nomination à l’académie française est la nomination la plus décriée de l’histoire. Enfin, il demande « est-ce que vous êtes le Zemmour de la philosophie ?  » Finkielkraut après un soupir et un sourire agacé répond en ces termes : « vous êtes bien assuré pour votre jeune âge, je vous conseille de vous débrancher un peu, internet fait des ravages ».

La séance de dédicaces n’aura finalement pas lieu car Finkie souhaite rentrer chez lui « à une heure décente ». Toutefois, son narcissisme l’aidera à trouver quelques minutes pour répondre aux journalistes face à la caméra de France 3.

Finkielkraut : malhonnêteté intellectuelle et magie de la citation

La recette de la conférence était simple : Finkie abuse de l’art de la citation (il citera beaucoup Pascal mais aussi Lévi-Strauss ou Michéa) mais ne prend jamais la peine de contextualiser ses propos ce qui se révèle particulièrement gênant pour cet obsessionnel des « racines » et de « l’Histoire ». Je partage les propos de Frédéric Martel au sujet de « l’identité malheureuse » :

« Le livre de Finkielkraut, disons-le clairement, est un essai contre l’immigration. C’est son véritable thème, même si, enrobé dans la barbe à papa des citations, un lecteur peu vigilant peut passer à côté du sujet.

La thèse de Finkielkraut est simple, terriblement simple : le changement démographique et l’immigration de masse affectent l’identité nationale. »

Finkielkraut fait preuve d’une malhonnêteté intellectuelle qui marche du feu de dieu : il se contente, comme beaucoup d’autres, de surfer sur la vague médiatique de stigmatisation de l’Islam partagée à gauche comme à droite en reprenant une série de clichés. Le problème réside dans le fait qu’il jouit d’une autorité intellectuelle renforcée par sa récente nomination à l’Académie Française.

En quittant la salle, j’ai croisé beaucoup de mes anciens professeurs et je me suis demandé ce qu’ils étaient venu chercher… Même La Nouvelle République écrit, après avoir interviewé quatre principaux et proviseurs de Vendôme que « la laïcité ne fait l’objet d’aucun débat dans leurs établissements ». Un ancien professeur de philosophie me confiera qu’il était venu « pour voir » et qu’il est à présent « convaincu que Finkielkraut est raciste ». Cette déclaration égaiera un peu ma soirée.

Je ne suis pas resté pour le verre de l’amitié.

Albert Ouzouf, un ancien élève du lycée Ronsard qui tenait à remercier les camarades-lecteurs de La Rotative vendômois venus tracter à l’entrée de la conférence.

P.-S.

« C’est ce climat général, et non l’individu Finkielkraut, qui est le véritable problème : c’est la mollesse des réactions à ses propos ; c’est l’espace inouï que lui ont offert les grands médias pour « s’expliquer », sans laisser la parole à toutes celles et ceux que sa diatribe anti-noire et anti-arabe avaient insulté-e-s ; c’est le soutien explicite que lui ont apporté plusieurs journaux (Le Point, Marianne, Le Figaro) et plusieurs intellectuels médiatiques (Alexandre Adler, Alain-Gérard Slama, Pascal Bruckner, Elisabeth Badinter). C’est le fait qu’aucun de ses employeurs, à commencer par l’Ecole polytechnique et une radio de service public, France Culture, ne lui ait demandé de comptes.

Ce qu’il faut combattre, c’est donc, au-delà de l’individu Finkielkraut, tout un climat idéologique, celui qui a rendu possible la déchéance morale de cet individu, sa dérive politique et l’expression décomplexée de ses pensées et pulsions les plus basses. C’est, également, le système social postcolonial qui entretient et perpétue les pires stéréotypes racistes. S’il est heureux que des associations poursuivent Alain Finkielkraut devant les tribunaux, le combat principal est politique : c’est le combat contre la société qui, en produisant des « indigènes », produit aussi des « petits blancs » et donc des Finkielkraut. C’est le combat contre la vallée de larmes dont les élucubrations haineuses d’Alain Finkielkraut ne sont que l’auréole. » Extraits du site Les Mots Sont Importants : Finkielkraut n’est qu’un symptôme

Notes

[1La revue Causeur s’est distinguée récemment par la publication d’un appel intitulé « touche pas à ma pute » et co-signé par des personnalités telles que Nicolas Bedos, Frédéric Beigbeder, Eric Zemmour etc. Notons que le nom de cette revue est une singerie explicite à la revue Causette dont le créneau est « plus féminine du cerveau que du capiton ».

[2Sous la houlette de Pierre-Louis Mériguet, ce groupe a mené des actions contre la construction de la mosquée de Tours.

[3Il s’agit d’une allusion directe aux quotas mis en place notamment pour l’entrée à « Sciences Po » en direction des habitant-e-s des « Zones d’Education Prioritaire ».

[4Finkielkraut comme les membres du comité vendômois semblent en effet confondre anti-racisme et couleur de peau : durant sa conférence, « Finkie » jubile en rappelant que, lors de l’affaire de Creil, les associations anti-racistes auraient eu un moment de stupeur et de flottement en découvrant que le proviseur en question était « un Noir  ». Et Finkie poursuit en affirmant que cela ne les a « pourtant pas empêché de maintenir leur position ». Cette confusion entre couleur de peau et positions anti-racistes apparaît aussi clairement dans les propos de Maryse Haslé qui écrit en 2009 : « Il y a pourtant un adjectif qu’on n’a jamais osé nous lancer à la figure à Vendôme : celui de raciste. Là aussi nous avons eu de la chance. Si d’aucuns bénéficient actuellement d’un bouclier fiscal, nous, nous étions protégés par notre bouclier anti-raciste. Le soutien de mon compagnon d’origine africaine – on dirait dans le jargon actuel un représentant de la diversité – nous a permis d’échapper à l’étiquette raciste mais on n’a pas échappé à celle de réac, archaïque, etc. ». Vive les boucliers anti-racistes « Noirs » et « issus de la diversité » !