Chronique d’une année scolaire : bientôt un champ de ruines ?

Professeur des écoles depuis près de 20 ans, je fais le constat qu’en à peine 20 mois, le nouveau ministre de l’Éducation nationale a réussi à détruire le monde dans lequel je travaille. Le printemps arrive, je me demande ce qui refleurira sous les bombardements incessants de mon patron.

Il lui aura fallu 20 mois pour détruire l’éducation publique. Blanquer, sinistre ministre capitaliste, qui a décidé sous couvert de confiance et d’égalité des chances de faire crever un système entier. Il n’a rien inventé, tout était déjà mis en place par les ancien-nes ministres de l’éducation. Mais son arrivée a été marquée par une série de mesures visant à laisser les portes grandes ouvertes aux dérives marchandes et sécuritaires. Depuis son accession au poste, cet ancien dirigeant d’école de commerce a tout fait pour terminer le détricotage d’un service public d’éducation déjà bien affaibli. La loi du marché est entrée dans les murs de la classe, la hiérarchie s’est installée à mon bureau. Que restera-t-il d’une éducation laïque, publique et gratuite à la rentrée prochaine ? Sans doute des ruines. Que je regarderai en me demandant comment on en est arrivé là.

Morts pour le marché

Les lycées généraux et professionnels seront à jamais bouleversés par la réforme en cours. Retour au cloisonnement des quartiers et des territoires. Fin de l’apprentissage d’un nombre conséquent de domaines scientifiques et culturels. Fin des parcours atypiques, des passerelles possibles. La voie est tracée pour les jeunes de 15 ans : choisir deux spécialités pour obtenir le sésame du Bac, donner un mois de sa vie à la mère-patrie lors de son service national, et cocher les bonnes cases qui permettront à l’algorithme de Parcoursup de se faire envoyer dans la bonne filière.

Les conseiller-es d’orientation disparaissent, leurs centres d’information ferment, c’est le cas de celui de Tours. Les nouveaux enseignant-es du primaire seront une vingtaine à la rentrée prochaine dans notre département, alors qu’on en comptait une centaine chaque année.

Les classes d’accueil spécialisées, qui permettent la scolarisation d’élèves ayant des besoins spécifiques (non-francophones, atteints de handicap...), ferment alors même que leur nombre est déjà insuffisant.

Pourquoi ces suppressions de postes, ces absences d’embauche, ces non-remplacements des départs à la retraite ? Les effectifs sont-ils en chute drastique ? Les remplaçants sont-ils en sur-nombre ? Non, aucune raison objective à cette chute des effectifs. Si ce n’est celle de l’économie de moyens. Et le désir de faire de l’école un vrai marché lucratif en offrant aux familles la possibilité de recourir aux services des entreprises privées. Il n’y a qu’un pas avant que ces services privés se substituant aux institutions publiques attaquées et réduites à peau de chagrin ne deviennent l’unique ressource pour les familles.

Vive le patron

Des créations tout de même, des innovations, c’est le terme à la mode, pour changer le monde sclérosé de l’éducation. Alors, accueillons comme il se doit avec respect et déférence les nouveaux arrivants, grands vainqueurs de la loi du marché.

Des principaux de collège vont devenir les supérieurs hiérarchiques des enseignants du primaire. Fini le poste de directeur-rice dans les écoles qui avait pour rôle de fédérer et d’organiser la communauté éducative. Place à un-e chef-fe omnipotent-e, qui aura à valider l’obéissance et le bon fonctionnement de ses subordonné-es. Comment cela s’organisera au sein des écoles, alors même que les employés des collèges n’y ont aucune présence physique, c’est un mystère.

Et une numérisation à outrance. Des élèves qui passent leur journée à regarder l’écran du tableau numérique interactif. Des livrets scolaires de compétences consultables par les famille en ligne. Des informations via des mails, des inscriptions uniquement via des sites internet... La fracture numérique est déjà là, elle ne va faire que s’accentuer.

Chut

Je ne sais encore combien de temps je pourrai continuer à dire tout haut ce que je pense. Combien de temps encore je pourrai user de mes mots pour tenter de raconter ce qui se vit entre les murs d’une école primaire en France. Le projet de loi « Pour une école de la confiance », voté en première lecture par l’Assemblée nationale le 15 février, inscrit dans son article 1 l’obligation pour le fonctionnaire d’être exemplaire et insiste sur son respect de l’institution :

« Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. »

Pour le moment, je m’engage à tenter de sauver ce qui reste dans les décombres. Je tâcherai d’être exemplaire.

Deca