Vidéosurveillance aux Fontaines : pour les habitants, « les caméras ne serviront à rien »

La mairie de Tours le martèle depuis plusieurs mois : elle compte installer de nouvelles caméras dans la ville. Rencontre avec des habitants des Fontaines, premier quartier ciblé par ce projet.

L’installation de nouvelles caméras de vidéosurveillance sur la voie publique faisait partie du projet de l’équipe de Serge Babary. Un plan sur trois ans est prévu, qui devrait amener la ville à disposer d’une centaine de caméras au total. Et ça devrait commencer dès cette fin d’année, avec le quartier des Fontaines, situé au sud du Cher. D’après le site info-tours, la commission sécurité de la mairie a déjà choisi les lieux d’installations des caméras : « vers la mairie annexe, sur l’Avenue de Milan au niveau du restaurant municipal et à hauteur du centre commercial Stendhal ».

Évidemment, la mairie explique que ces caméras ont pour objectif de lutter contre la délinquance. Alors je suis allé rencontrer les habitants et habitantes du quartier autour du centre commercial et en bas des immeubles à proximité, pour savoir ce qu’ils pensaient de ce projet. Ce qui frappe, dès le départ, c’est de constater qu’aucune des personnes interrogées n’est informée de ce projet qui les concerne pourtant directement. Apparemment, la mairie compte mettre les habitants devant le fait accompli, puisqu’il est prévu que les caméras soient installées dès le mois de décembre.

Lutter contre l’insécurité dans un quartier sûr ?

Ce qui surprend ensuite, c’est que la plupart des personnes rencontrées n’ont pas le sentiment qu’il existe un problème de délinquance dans le quartier. Ils sont plusieurs à évoquer le braquage du bar-tabac situé sur la place, ou celui du point-presse situé en face, mais comme le dit une femme aux cheveux gris fermement opposée à l’installation de caméras : « ça empêchera pas un type cagoulé de les braquer ».

Plusieurs personnes s’accordent pour dire que le quartier est beaucoup plus calme qu’avant. Pour Chetoui, 23 ans :

« Ça s’est beaucoup calmé, les gens font plus de conneries, les caméras ne serviront à rien. Et puis, je veux pas être surveillée partout. »

Même son de cloche du côté d’un couple qui promène son chien. Lui a 86 ans, elle en a 80 :

« Il y a quelques bricoles, mais rien de grave. Ça fait six ans qu’on est là, on a jamais été embêtés. C’est un quartier tranquille, on peut pas dire. »

Un autre homme, plus jeune, râle quand on lui explique le projet de la mairie :

« Les caméras de vidéosurveillance, c’est de la connerie. On est assez surveillés comme ça. Il vaudrait mieux des flics qui font de la prévention. Pour faire des conneries, ils savent utiliser leurs budgets, mais quand il s’agit de faire des choses utiles... Ils feraient mieux d’utiliser leur argent pour adapter les trottoirs du quartier pour les personnes à mobilité réduite. »

Pour Morgane, 23 ans, qui bossait pour une association située dans le quartier,

« Il y a des mecs lourds quand on va au centre commercial, mais pas de délinquance. Il y a de temps en temps une voiture qui brûle, mais c’est pas tous les jours ».

Les habitants sont nombreux à s’inquiéter des conséquences d’un tel projet sur les impôts locaux. Les caméras, ça coûte cher, et TVTours évoquait dans un récent reportage un investissement situé entre 150 000 et 200 000 euros pour l’acquisition de 20 nouvelles caméras. Un montant d’autant plus élevé que l’adjoint à la sécurité, Olivier Lebreton, parle de créer un nouveau centre de supervision.

« Tu repousses le problème avec une caméra, tu résous rien »

Pour les deux types de 20 ans qui sirotent une boisson devant la fontaine, c’est « une perte d’argent et de matériel ». L’un d’eux se marre : « Les caméras, elles seront détruites au bout de deux heures. Ça va agacer les gens, ils vont se sentir surveillés. Et je vois pas l’intérêt, on est dans l’un des quartiers les plus calmes de l’agglo. »

Son pote réagit :

« A choisir, je préfère les keufs aux caméras. Tu repousses le problème avec une caméra, tu résous rien. Ça va énerver beaucoup de gens, mais ça va rien changer. Le deal, il se fera juste loin des caméras. Si t’en mets une devant le PMU, soit y a plus personne au bar et la patronne va gueuler auprès de la mairie, soit la caméra est défoncée au bout de vingt-quatre heures. Et puis, l’économie souterraine elle nourrit le quartier. Le type qui vient acheter du shit dans le quartier, il vient manger au kebab, ou faire les courses pour sa femme. »

Le premier des deux conclut : « Ils feraient mieux de nous trouver du boulot ».

Ces deux jeunes laissent entendre que des actions contre les caméras pourraient être entreprises après leur installation, mais un syndicaliste regrette l’absence d’initiatives en amont : « S’il y avait des manifestations, une pétition, j’y participerais, mais il n’y a rien ». La plupart de ceux et celles qui se déclarent opposés au projet ou n’en voient pas l’intérêt semblent plutôt résignés. Une femme qui pense que ce projet de vidéosurveillance constitue une atteinte à la liberté individuelle déclare :

« C’est ce ******* de Jean Germain qui a commencé à installer des caméras, et c’est pas une mairie de droite qui va arrêter. »

« J’ai la conscience tranquille »

J’ai quand même rencontré quelques personnes qui étaient favorables au projet. Deux jeunes filles, qui m’expliquent que « même si y a pas de délinquance, c’est important la vidéosurveillance, ça rassure ». Et puis Michelle, 65 ans, qui râle contre les jeunes qui vont fumer dans les étages, et qui ajoute :

« Y a trop de délinquant, de casse. Enfin, y en a pas trop, mais quand y en a, y en a. Et ça me dérange pas d’être filmée, j’ai la conscience tranquille ».

Une autre femme, enfin, qui me dit qu’il n’y a pas de problème de sécurité dans le quartier, mais que « quand les Français quittent leurs logements, on sait pourquoi, vous voyez c’que j’veux dire... » Je lui réponds que non, je ne vois pas ce qu’elle veut dire. Elle part en marmonnant : « Je me comprends ».

Surveiller les pauvres, pas les gosses de riches

Évidemment, je n’ai pas interrogé toutes les personnes vivant dans le quartier, mais ces réactions donnent quand même l’impression que la mairie est en train de pondre un projet coûteux et inutile pour faire plaisir à son électorat, sans avoir échangé avec les habitants et habitantes du quartier.

Et il est frappant de noter que les premiers quartiers ciblés par la mairie sont des quartiers populaires — après le quartier des Fontaines, il est prévu d’installer des caméras aux Rives du Cher. De quoi stigmatiser encore plus ces quartiers, alors que dans le même temps, quand ce sont les élèves des collèges privés du centre ville qui jouent les petits délinquants au jardin de Beaune-Semblançay, l’adjoint à la sécurité de la mairie se déclare opposé à la vidéosurveillance, qui devient « une solution qui ne résout pas toujours les problèmes et qui coûte cher ».

Loïc

Illustrations : Frédéric Bisson.

P.-S.

Le site tours.sous-surveillance.net référence une bonne partie des caméras installées sur la voie publique.