Sans Canal Fixe : chronique de la naissance d’une utopie télévisuelle (épisode 4)

Episode 4 : les films en résidence, le premier geste cinématographique

SCF accueille en résidence de nombreux cinéastes, dont un certain nombre font leurs premiers pas dans le cinéma. Ils ne viennent pas à SCF par hasard. Retour sur trois premiers films.

De la rencontre avec un cinéma militant

Les premiers films accueillis en résidence à SCF ne sont jamais le fruit d’un hasard. Les trois films qui sont évoqués dans cette chronique racontent différemment une même histoire. Celle d’individus venus au documentaire et au geste cinématographique par le biais d’une rencontre avec le collectif de réalisateurs qu’est SCF.

Accueillir un film en résidence, pour Sans Canal Fixe, c’est offrir un lieu, des ressources, et un collectif. L’auteur accueilli peut être suivi dans l’intégralité de son projet, de l’écriture à la réalisation, du montage à l’étalonnage, de la production à la diffusion. Le matériel est mis à disposition, les locaux également, et un réalisateur du collectif travaille plus étroitement avec l’auteur en résidence. Dès la création du collectif, cette nécessité d’offrir un cadre pour les premiers gestes est une évidence. Créer ce collectif, c’est aussi se donner les moyens d’offrir une chance aux premiers films, à ces auteurs en devenir. Les réalisateurs qui ont rejoint l’association ont d’ailleurs souvent osé leur premier film personnel au sein du collectif. L’accueil en résidence est une suite logique de cette démarche du premier pas. Le plus souvent, l’accueil en résidence se fait autour d’une rencontre entre une personne, une envie de projet et le collectif. Pour le résident, c’est devenir filmeur quand il a été si souvent spectateur, se laisser la liberté d’écrire, de mettre en image ses propres mots.

Voici l’histoire de trois films nés de résidence

Nous sommes en 2003

Dominique Maugars est cheminot, il participe à Saint-Pierre-des-Corps à un film participatif avec Sans Canal Fixe.  Rue des Ateliers est né de l’envie de raconter la lutte des ateliers Cadoux pour intégrer la SNCF, six ans de lutte pour ses ouvriers de réparation ferroviaire, une victoire au bout. Dans cet atelier, depuis les années 50, l’image cinématographique est présente, un ciné-club existe, les cheminots ont filmés leur lutte. Dominique et d’autres veulent donner à voir cette mémoire, raconter ensemble l’histoire de cet atelier, leur atelier, leur vie de travail, leur mémoire sociale. Le projet se fait avec Sans Canal Fixe, et plus précisément Yvan Petit et Franck Wolff, la ville de Saint-Pierre-des-Corps, et la SNCF. Ce premier geste signe pour Dominique le désir de raconter seul sa propre histoire. Dominique est communiste, Dominique est militant, Dominique aime l’histoire des luttes, les forces vives.

Son entrée en résidence, quelques années après Rue des ateliers sera pour écrire l’histoire d’un journal clandestin tourangeau durant la seconde guerre mondiale. Le film sort en 2009, il s’appelle La lanterne, du nom du journal clandestin dont il narre l’histoire. En Touraine, alors que le Parti Communiste est interdit, Roger Convard et Max Morin polycopient L’Humanité, journal devenu clandestin depuis son interdiction le 26 août 1939. Avec l’occupation vient l’idée de La Lanterne, un journal clandestin dont le titre est repris d’un pamphlet d’Henri Rochefort. Roger Convard et André Foussier en sont les moteurs et les animateurs. Pensé comme un organe de contre-information face à la propagande officielle du régime de Vichy,  La Lanterne sera distribuée à quelques centaines d’exemplaires jusqu’à juin 1942. Des hommes et des femmes vont mourir pour que l’information circule.

Marcel Douzilly, Max Morin, Roger Convard, Jacques D’hondt et Rachel Goldsztajn-Berthet, témoins et acteurs de l’époque racontent. Ils ont été les compagnons d’André Foussier, (fusillé au camp du Ruchard), et d’Elisabeth Le Port (institutrice, décédée à Auschwitz) dans cette résistance par la diffusion des idéaux de liberté.

Nous sommes en 2005

Pepiang Toufdy est un jeune africain originaire du Tchad, immigré, sans papier, mineur isolé, résidant au foyer de jeunes travailleurs, rue Bernard Palissy. Il est mineur quand il rencontre l’association par le biais d’un atelier d’éducation à l’image. SCF propose d’intervenir dans le foyer, auprès de ses résidents, pour les amener à voir des films et à réaliser un film participatif. L’atelier débouche sur la réalisation d’un film qui s’intitule Quand j’arrive à Tours… . Quelques mois plus tard, Pepiang et une réalisatrice du collectif, Maud Martin, se retrouvent pour un nouveau film court. La majorité met en scène Pepiang qui, à l’aube de ses 18 ans, est sous la menace d’une expulsion ; il espère la reconnaissance de son statut de réfugié et donc d’obtention de papiers définitifs.

Maud Martin le suit dans ses démarches, dans ses angoisses, et aussi dans ce passage si délicat qu’est celui de l’enfance à l’âge adulte. L’année suivante, Pepiang décide de passer à la réalisation, pour raconter son histoire de migrant, et aller à la rencontre d’autres jeunes qui comme lui ont fait l’expérience de l’exil et de l’intégration à une société nouvelle. Entre autobiographie et fiction, dans une lettre filmée, le réalisateur nous raconte le parcours d’un jeune Africain arrivé récemment en France. Ce film tente de faire entrevoir ce que veut dire être immigré. Ce film sort en 2008. Trois ans après la première rencontre avec le collectif, Pepiang passe de l’autre côté de la caméra, pour dire ce qui le fonde.

Nous sommes en 2012

Karine Dorne quitte la présidence de l’association Sans Canal Fixe pour passer de l’autre côté. Impliquée dans la vie de l’association depuis une dizaine d’années, Karine a franchi une à une des étapes au sein du collectif. Spectatrice aux premières heures, partie prenante des choix de programmation dans un second temps, administratrice puis présidente, son parcours lui a permis de prendre part aux multiples facettes du collectif. L’idée de passer de l’autre côté, d’écrire puis de réaliser son premier film émerge au fil du temps. Accompagnée de Yvan Petit, elle décide de passer à l’acte. Pas de demi-saison, construit à partir de l’histoire familiale, se veut une réflexion sur la mémoire et la mise en image d’un passé effacé. Comment rendre compte de ce qui fut quand aucune trace n’en subsiste ? Comment donner un caractère universel à l’histoire intime ? Pour narrer le deuil, Karine demande à Yvan de lui fournir des images non utilisées de ses tournages, des rushes abandonnés. L’idée est de faire parler ces images, de les inscrire dans une narration qui ne leur était pas destiné de prime abord, de leur faire raconter l’absence. A ces images recyclées s’adjoindront des images récentes : des plans tournés par la réalisatrice, des plans de Yvan filmant le film en train de se faire.

Trois films, trois récits, trois premiers gestes, et ensuite ?

Ces réalisateurs en devenir ont continué leur chemin, soit dans le domaine du cinéma en faisant d’autres films, soit en y adjoignant d’autres formes d’arts et d’écriture. Ce qui, en définitive, les rassemble, c’est le fait d’avoir pu franchir le pas, oser le geste cinématographique au sein d’un collectif qui a su les accueillir et leur offrir les moyens d’aller au bout du geste.

Tous ont en commun la rencontre avec le collectif. Initiés au regard documentaire en tant que spectateur, initiés au geste du filmeur via des ateliers participatifs, initiés aussi au voir ensemble, au faire ensemble, ils sont allés au bout d’une démarche de découverte et d’expérimentations.

Que leurs premiers gestes cinématographiques se rejoignent dans la volonté de partir de l’intime pour tendre à l’universel, n’est sans doute pas une coïncidence.

KD

P.-S.

Episode 5 (à suivre) : les films d’auteurs, le passage au singulier

Tous les films évoqués dans ce feuilleton sont disponibles à Sans Canal Fixe, 2 place Raspail, à Tours. Vous pouvez également les emprunter à la médiathèque de La Riche.
www.sanscanalfixe.org

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