Sanitas, Rabaterie, Rabière : abstention massive dans les quartiers populaires de l’agglomération

Dans les « quartiers prioritaires » de l’agglomération tourangelle, les chiffres de la participation aux élections régionales des 6 et 13 décembre sont parfois inférieurs de plus de 20 points à la moyenne du département. Cette non-participation s’explique notamment par la ségrégation dont ces quartiers font l’objet.

« Forte abstention » au premier tour de l’élection, « sursaut de la participation » au second tour... Tous les médias nationaux se sont penchés sur ce phénomène, qui revient à chaque scrutin : une forte proportion de la population ne se mobilise pas les jours d’élections.

En Indre-et-Loire, une personne inscrite sur deux ne s’est pas déplacée jusqu’à son bureau de vote au premier tour des élections régionales. Au deuxième tour, la participation a progressé de 10 points, passant à près de 60 %. Des chiffres en ligne avec ceux observés au niveau national.

Mais ces grandes moyennes masquent de fortes disparités en fonction des territoires. Dans l’agglomération tourangelle, l’examen des résultats des bureaux de vote situés dans les « quartiers prioritaires » montre des taux de participation parfois inférieurs de plus de 20 points à la moyenne départementale. Et même si la participation y a progressé au second tour, dans la même proportion qu’à l’échelle nationale, elle reste fortement en retrait.

Sanitas
Bureau de vote Participation au 1er tour Participation au 2e tour
Pasteur-St-Paul 16-41  30,2% 41,3%
Pasteur-St-Paul 16-42  27,9% 37,9 %
Pasteur-St-Paul 16-43 38% 48%
Hôtel de ville 16-25  26,3% 36,6%
Hôtel de ville 16-26  21,2% 35,3%

Dans le bureau 16-26, on a donc un taux d’abstention de 78,8 %, contre 50,65 % au niveau du département.

Rabaterie (Saint-Pierre-des-Corps)
Bureau de vote Participation au 1er tour Participation au 2e tour
Ecole Henri-Wallon 9  37,9% 45,5%
Ecole Henri-Wallon 10  36,1% 48%
Ecole Henri-Wallon 11  30,1% 40,9%

Au premier tour, le taux d’abstention dans les bureaux de vote de La Rabaterie est de 65,5 %, 15 points au-dessus du taux d’abstention dans le canton (51,5 %).

Rabière (Joué-lès-Tours)
Bureau de vote Participation au 1er tour Participation au 2e tour
Rabière 72  25,6% 39,4%
Rabière 73 32,9% 48,6%
Rabière 74 30,15% 42,5%

D’autres bureaux de vote de l’agglomération présentent des taux de participation tout aussi bas : le bureau 17-83 du quartier des Fontaines, où la participation au premier tour s’élève à 28 % ; les bureaux 15-54 et 15-56 du quartier de l’Europe où la participation se situe à 37,7 % et 36,6%, soit dix points de moins que la moyenne du canton (46 %).

Campagne appelant à l’inscription sur les listes éléctorales, quartier du Sanitas, 2013

Des chiffres qui ne doivent rien au hasard

Durement touchés par le chômage et la précarité, ces quartiers connaissent une ségrégation sociale qui se traduit également par une une « ségrégation électorale ». C’est ce que notent Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen dans un article du Monde diplomatique intitulé Ce que s’abstenir veut dire :

« Avec leur population jeune et défavorisée, les quartiers de grands ensembles et d’habitat social connaissent ainsi une non-participation (non-inscription et abstention) qui peut atteindre des proportions impressionnantes. (...) Plus jeunes, moins diplômés, plus affectés que la moyenne par le chômage, les habitants interrogent l’utilité d’un geste qui ne conduit pas à améliorer leurs conditions d’existence. »

« Les territoires où la participation a été la plus faible au premier tour de 2014 (..) dessinent une France des grands ensembles, de l’immigration et de la précarité au sein de laquelle la ségrégation sociale et ethnique produit une ségrégation électorale. Villiers-le-Bel (où l’abstention atteignait 62,2 %), Vaulx-en-Velin (62,1 %), Evry (61,3 %), Stains (61 %), Clichy-sous-Bois (60,2 %) et Bobigny (59,4 %) — cinq banlieues de Paris et une de Lyon — comptent parmi les dix villes les plus abstentionnistes de France. »

Céline Braconnier expliquait par ailleurs dans La gazettes des communes, « L’abstention n’intéresse pas les élus » :

« Comme ce sont toujours les mêmes catégories de la population qui s’abstiennent le plus – les plus jeunes, les moins diplômés, les plus fragiles professionnellement –, l’abstention est systématiquement porteuse de fortes inégalités sociales de représentation. Dit autrement, l’abstention massive des milieux populaires fait que ce sont les fonctionnaires, les cadres, les plus riches ainsi que les personnes âgées qui font le résultats des élections. (...) Les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville – qui rassemblent des populations plus jeunes et plus pauvres que le reste du pays– cumulent les prédispositions sociologiques conduisant nombre de citoyens à s’abstenir. Sans surprises, c’est systématiquement dans ce type d’environnements que l’on enregistre les records du non-vote. »

« Il faut s’interroger sur la coupure entre les milieux populaires et les élites politiques, poser aussi la question du rôle social des partis, qui sont devenus des machines électorales alors qu’ils peuvent assumer d’autres fonctions.

Les quartiers populaires sont devenus des déserts militants où se cumulent les records d’abstention alors qu’ils ont été jusqu’aux années 1970 des espaces d’intégration politique qui explique que les milieux ouvriers aient longtemps beaucoup voté. Les dispositifs de porte à porte partisans effectués la veille des scrutins par des inconnus font figure de pâle substitut aujourd’hui : ils ne peuvent qu’à la marge produire de la participation, sans régler la question pourtant cruciale du sens politique qui fait aujourd’hui défaut. »

Alors que les habitant-es des quartiers populaires sont souvent au cœur des discours politiques (qu’il s’agisse de leur venir en aide ou de les stigmatiser), ces chiffres témoignent de l’éloignement de cette population de la politique partisane et du système électoral qui l’accompagne.

Reste à inventer les conditions d’une ré-émergence de la politique dans les cités, à travers les associations, les syndicats ou les mobilisations d’habitant-es, pour que la voix de ces quartiers ne puisse plus être ignorée.