Salut à Pierre-Alban Thomas : à la fois de la rose... et du réséda

Le résistant Pierre-Alban Thomas — dit « Pat » — est décédé mardi 20 décembre 2016 à La Chaussée-Saint-Victor (41). Hommage à un être humain exceptionnel, qui nous lègue un héritage de courage, d’humanisme, d’amour, d’espoir, de lucidité, de droiture... d’éternelle Résistance...

Il avait 94 ans. Vivait dans un EHPAD près de Blois, Loir-et-Cher. Pat — Pierre-Alban Thomas — a décidé de quitter la vie en ce lugubre mardi 20 décembre 2016. Sa disparition cause un immense chagrin à celles et ceux qui ont la chance de le connaitre et de l’aimer. Mais au moins notre ami aura t-il pu choisir lui même le moment de prendre congé, comme l’homme libre, droit, juste et élégant qu’il a toujours essayé d’être dans ce monde compliqué et violent, mais où rien n’est encore perdu... grâce à des gens comme lui.

Né en 1922, il a quatre ans quand il devient orphelin de père. Sa mère est une modeste institutrice. Très jeune, il sait que son coeur est rouge, et le restera...

Authentique résistant — affilié dès 1940 au Réseau du Musée de l’Homme —, puis, en 1943, guérillero FTP formé dans un maquis des Pyrénées dirigé par des antifascistes allemands, Pat devient militaire de carrière en 1945, et, après la campagne d’Allemagne, participe aux guerres d’Indochine et d’Algérie.

Le résistant devenu occupant

Souvent déchiré entre son serment d’obéissance à l’armée de la République, et ses principes philosophiques, Pat tentera toujours de faire ce qui lui semblait « juste » et « humain ».

Quitte à échouer. Quitte à mal se faire voir de ses pairs et supérieurs. Quitte même à y risquer sa vie, et très certainement sa carrière militaire qui sera entravée à cause de ses courageuses — et souvent inutiles — prises de position.

Car en Indochine, puis en Algérie, l’ex-résistant aura du mal à accepter d’être à son tour devenu un occupant combattant d’autres résistants, luttant eux aussi pour leur liberté.

Dans les années 90, Pat sera l’un des rares militaires à témoigner sur la torture pendant la Guerre d’Algérie. Car la torture, Pat y a assisté...

Un fils du peuple dans une armée de caste

Jusqu’en 1945, dans l’armée française, les hauts grades étaient essentiellement réservés aux nobles et aux bourgeois, classes sociales discréditées par la traitrise et la collaboration pendant l’Occupation. Alors qu’en 39-40, l’armée de métier s’était couverte de honte aux relents de trahison, en 1945, c’est la gloire de la Résistance qui permet à des fils du peuple d’enfin accéder à des postes de commandement, et c’est notamment pour cette raison — et aussi pour tenter de veiller sur les enfants du peuple envoyés sous les drapeaux —, que Pat va être officier pendant près de 30 ans, et participer à des guerres qu’il trouvait pourtant injustes. Essayant toujours de « limiter la casse ».
Souvent en vain.

Car comme tout soldat au combat, Pat va lui aussi se faire happer par la violence, participer à des crimes de guerre, assister à des tortures... pour pouvoir en témoigner plus tard, dans la logique absurde de la folie guerrière dictant qu’il valait mieux que ce soit lui qui accompagne les tortionnaires... plutôt qu’un autre pire que lui...

Enseigner la vie plutôt que la mort

Cet ancien élève de l’École Normale m’a souvent dit que plutôt que de devenir tueur professionnel, il aurait aimé devenir professeur d’agriculture. Enseigner la vie plutôt que la mort. Notre douloureuse Histoire de France l’a amené à en décider autrement.

Quand il était jeune, Pat était sympathisant communiste, sans jamais avoir été encarté au PC. Humaniste, de la vraie gauche, rouge au cœur depuis l’adolescence, il se considérait comme membre du plus grand parti de France :
« le parti des déçus du communisme »… stalinisme oblige.

Dans les années 90, ce grand amoureux de la nature — qui avait depuis longtemps compris que l’authentique écologie était le dernier combat valable pour l’humanité —, participe à l’implantation d’un parti écologiste dans le Loir-et-Cher… avant de prendre ses distances, peut-être déçu par la médiocrité de l’écologie politique à la française.

Les zadistes, des héritiers de la Résistance

Ces derniers temps, Pat était extrêmement intéressé par ce que je lui racontais de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Le regard pétillant et animé d’éclairs, il me bombardait de questions : Comment mangent-ils ? Comment s’abritent-ils ? Comment luttent-ils ? Évidemment, ces histoires de gens qui résistent dans les bois lui rappelaient une autre époque, où lui aussi résistait dans les bois. Comparaison n’est pas raison, la police d’aujourd’hui n’est pas (encore ?) celle de Vichy, mais... Au récit de ce qui se passe sur la ZAD, Pat m’a récemment dit :

« Cela fait des années que je me demande ce qu’est devenu l’esprit de la Résistance. Ces zadistes en sont des héritiers ».

De la rose ET du réséda

Pat n’était pas seulement un « grand homme », un héros, un humaniste, un représentant de ce que notre Histoire a de plus flamboyant... Pat était aussi un homme droit, sensible, délicat, élégant, malicieux, charmant. Toujours classe. Vif, ouvert et curieux...

Un homme bon, fait d’un bois rare. Impression d’un modèle élégant d’un autre temps, dont on a l’impression qu’il ne se fait plus — ce qui, heureusement, est faux, car le monde a toujours été, et reste rempli de gens gentils et formidables. Le père de Pat, militant communiste, assiste au Congrès de Tours de 1920, mais il meurt jeune. Puis Pat — qui est pourtant athée — est éduqué par un instituteur catholique qui lui apprend notamment l’amour de la nature. Une éducation entre valeurs socialistes et chrétiennes : Pat tenait à la fois de la rose et du réséda [1].

Je lui ai un jour dit cette chose-là : « Pat, tu tiens à la fois de la rose et du réséda ». Et comme à chaque fois que je lui faisais un compliment, ou que je lui faisais part de mon admiration, il se mettait alors à rougir, se dandinait un peu en faisant des « rhôôôôlàlàlàt’exagères » outrés. Ou alors il me réprimandait doucement, car la pommade le mettait assez mal à l’aise : il n’en fallait pas beaucoup pour faire souffrir sa modestie. Mais moi... Hé, hé !... Je dois vous avouer que cela m’amusait infiniment que de le voir ainsi se piquer des fards... Mais je ne le faisais pas trop quand même... ces choses là se savourent. Hi, hi...

Car Pat était homme humble. Constamment taraudé par sa conscience. Tout le contraire d’un fanfaron. Quand Pat raconte son histoire, il le fait sans gloriole, en énumérant au contraire tous ses échecs, contradictions, dilemmes, désarrois qu’il a affrontés pendant toute une vie de combats courageux, à notre service, pour nous, pour les enfants, pour celles et ceux qui ne sont pas encore là...

A l’écouter, Pat n’a fait que se planter, faire les mauvais choix, rester impuissant, inutile, peut-être même lâche face à d’implacables machines d’horreur… Il a pourtant courageusement remporté bien des petites victoires. Et surtout, il ne s’est jamais résigné, même quand tout semblait perdu. Et c’est justement bien là qu’est la première des victoires. En héritage, cet homme juste et courageux nous invite à l’éternel esprit de la Résistance contre la barbarie et l’injustice sociale.

En gardant en tête qu’il n’est ni parti, ni sauveur suprême, ni baguette magique, et que dans un monde difficile, rien n’est jamais parfait… à commencer par soi même. Que face à l’abîme, nous sommes tous responsables, et qu’il vaut toujours mieux choisir de résister — même maladroitement — plutôt que de ne rien faire.

Cher Pat, l’exemple de ton courage, de ton humanisme, de ton amour des autres sont des lumières propres à faire reculer l’obscurité qui semble nous tomber dessus, plus de 70 ans après la longue nuit qui a englouti quatre années de ta jeunesse. Terribles années de combat, mais qui ont peut-être aussi été tes plus belles ? Car entre 40 et 44, il n’y avait pas photo ; là, c’était « simple » : tu étais clairement dans le bon camp : celui des résistants contre les fascistes. C’est plus tard, avec l’Indo et l’Algérie que c’est devenu plus compliqué...

Esprit de la Résistance. Esprit de Résistance

Pat, ton histoire nous rappelle que même lorsque tout semble perdu, on peut toujours — comme tu l’as fait dès 1940 — dire « non », et gagner le combat contre ce qui semblait pourtant inéluctable… avant de reprendre le combat suivant.

Cette nuit, je pleure le héros qui a fait le choix de se battre pour tenter de nous laisser un monde meilleur... ou moins pire.
Tous les gens libres sont orphelins de toi.
Je pleure aussi l’homme bon et confiant qui m’a honoré de son amitié, en toute simplicité.
Salut ami, tu vas enfin pouvoir te reposer : tu ne l’as pas volé.
Et merci à toi pour avoir été l’être humain que tu as été.

Jibédé

Notes

[1Voir le poème de Louis Aragon, La Rose et le Réséda.