Retour sur la journée d’action du 18 mars avec le délégué départemental de Solidaires

Au soir de la journée d’action du 18 mars, on a rencontré Eric Sionneau, délégué départemental de l’union syndicale SUD/Solidaires en Indre-et-Loire pour discuter de la mobilisation, de ses enjeux, et du combat syndical. A Tours, 1 300 personnes avaient manifesté contre le pacte de responsabilité.

Pourquoi avoir appelé à la grève le 18 mars ?

Par rapport au « pacte de responsabilité », signé par trois organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC et CFTC) [1]. C’est un « pacte de compétitivité » qui permet aux patrons d’avoir encore plus de moyens financiers, sans créer d’emplois à l’arrivée. C’est un chèque en blanc de plus signé au patronat.

Pour ce qui concerne Solidaires, la principale revendication était le retrait de ce texte. Il y avait également des revendications plus traditionnelles : l’augmentation des salaires, la question du chômage et de l’emploi – que les destructions d’emplois dans les grosses entreprises cessent. Ce sont des questions assez traditionnelles qu’on pose depuis pas mal de temps. Il y avait aussi la question du pouvoir d’achat.

Comment avez-vous mobilisé pour cette journée ?

Avec les moyens traditionnels. On fait essentiellement des distributions de tracts dans les entreprises où on est implantés. On a aussi un site internet, mais c’est pas ça qui mobilise. Même si, en amont des journées de mobilisation, on a remarqué qu’il y avait beaucoup de visiteurs sur le site. Un certain nombre de personnes viennent aussi voir ensuite ce qui s’est passé, et on publie des photos des manifestations. Parfois, on mobilise aussi grâce à l’organisation d’assemblées générales dans les boîtes, mais ce n’est plus vraiment la saison.

Quelles sont les conséquences de la signature d’un accord interprofessionnel comme celui du 11 janvier 2013 sur les acquis sociaux – les conventions collectives, par exemple ?

Le dernier accord national interprofessionnel (transposé dans la loi le 14 mai 2013) a remis en cause un tas de points du Code du travail. Ça joue sur les conventions collectives, mais aussi sur le quotidien au travail. L’ANI de janvier 2013 a notamment revu à la baisse le pouvoir des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il instaure également la flexibilité pour tous, conformément aux souhaits du patronat.

Cet accord, comme le pacte de compétitivité, constitue un chèque en blanc offert au patronat. Le patronat obtient ce qu’il veut (du pognon, des moyens), sans contrepartie ou presque. Le pacte de compétitivité ne fixe aucune contrepartie : il n’y aura que des relevés de conclusions à l’issue de négociations dans les branches professionnelles, et ces relevés de conclusion n’engagent à rien.

En ce qui concerne le pacte de compétitivité, les négociations sur les contreparties des concessions faites au patronat sont renvoyées dans les branches. Quelles en sont les conséquences ?

On accorde au patronat ce qu’il réclame depuis 60 ans, c’est-à-dire la suppression des cotisations familiales. On annonce même que le gouvernement souhaite poursuivre dans cette voie, notamment dans le cadre des négociations sur le financement de la Sécurité sociale, qui se dérouleront dans les mois à venir. Ce sont des signaux très forts envoyés au patronat pour casser les acquis sociaux. En contrepartie, il n’y aura donc que ces relevés de conclusions, qui ne sont pas contractuels. Les syndicats qui prétendent le contraire mentent.

L’Union syndicale Solidaires n’est pas présente dans les négociations au niveau national. Toutefois, elle sera présente dans certaines négociations de branche.

Nous sommes présents dans environ 10 % des branches. Néanmoins, nos syndicats ne devraient pas participer à ces négociations. Ce que nous réclamons, c’est le retrait du texte. Pour nous, il n’y a pas de négociation possible. C’est dans cette même logique que, chez Renault, où nous sommes représentatifs, le syndicat SUD n’a pas signé l’accord de flexibilité [2].

Quelles seront les suites de la journée d’action du 18 mars ?

Ce qui était souhaitable, c’est que de nombreuses personnes se mobilisent. La mobilisation du 18 mars n’était pas négligeable, ce qui n’était pas forcément facile en pleine période électorale. Néanmoins, l’unité syndicale a explosé depuis plusieurs mois : aujourd’hui, on a quatre organisations syndicales d’un côté (CFDT, CFTC, CFE-CGC, UNSA), et quatre de l’autre (CGT, SUD/Solidaires, FO, FSU). Nous, ça ne nous dérange pas, mais il faudra reconstruire une dynamique de luttes en conséquence, ce qui ne peut se mettre en place en cinq minutes. Les suites du mouvement ne dépendent pas que de nous, mais aussi de la volonté des autres organisations. Aujourd’hui, les mobilisations ne sont pas à la hauteur des enjeux, et plus ça ira, plus nous verrons nos droits nous être retirés.

Comment dépasser ces luttes purement défensives qui nous sont imposées par le patronat ?

Il faut cesser de croire que des organisations ou des individus s’occuperont de notre avenir à notre place. Il ne faut pas contenter d’aller voter, mais prendre en charge notre destin. Il faut aussi se donner les moyens de réussir des mobilisations. Cela passe peut-être par le fait de les préparer unitairement à la base, dans les entreprises, avec des assemblées générales unitaires.

Le syndicalisme doit porter le changement social, comme c’était le cas il y a longtemps. Le syndicalisme ne peut se contenter de gérer ses prébendes. On ne peut avoir d’un côté le monde du travail, et de l’autre côté des politiciens qui nous vendent le Grand soir. Le syndicalisme doit désormais renouer avec sa tradition révolutionnaire.

Comment peut se développer le syndicalisme parmi les salariés en CDD ou en intérim ? Quels sont les moyens à mettre en place pour organiser ces salariés et leur permettre d’avoir une vie syndicale ? Ces salariés ne peuvent pas vraiment s’exposer, compte tenu de la précarité de leur contrat de travail.

Le syndicalisme doit s’adapter au régime de travail de ces salariés. Il doit sortir de ses locaux pour aller les rencontrer. Les syndicalistes ne peuvent se contenter de militer entre 9 heures et 16 heures. Le syndicalisme, ce n’est pas un truc de bureaucrates ou de carriéristes. Le mouvement syndical doit aussi renouer avec sa tradition militante. Or, certaines organisations syndicales sont extrêmement institutionnalisées, siégeant dans tout un tas d’organismes. C’est pour cela que les patrons et le gouvernement peuvent les qualifier de « partenaires sociaux ». Nous, on ne veut pas être des partenaires sociaux.

Pourquoi est-il si difficile de remettre en cause le système capitaliste, y compris dans le mouvement syndical ? On accuse souvent la finance, on demande aux politiques de « prendre leurs responsabilités », on cherche à mettre en valeur un « autre commerce », on fait la promotion du gentil artisanat face au méchant patron... On ne s’attaque plus au capitalisme ou au travail.

Même chez Solidaires... A une époque, la mode consistait à être « anti-libéral », et non « anti-capitaliste ». Seule une minorité se revendiquait de l’anticapitalisme. Cela s’explique par le fait qu’on se trouve aujourd’hui dans un cycle réactionnaire. La période n’est pas porteuse pour les idéaux de transformation sociale. Les groupes qui s’y réfèrent sont extrêmement minoritaires, et la société de consommation a complètement triomphé. Aujourd’hui, la pauvreté n’est pas une question de fric, mais une question d’accès à la consommation. Dans ce contexte, les idéaux de transformation sociale ne parlent pas à la population.

Cependant, on peut au moins remettre ces idéaux en haut des banderoles et dans nos textes. D’ailleurs, Solidaires se réfère clairement au syndicalisme révolutionnaire et à la Charte d’Amiens [3] : il s’agit à la fois de défendre au quotidien les salariés et de faire la révolution sociale. Il faut travailler pour que ce message soit partagé par tous nos adhérents, et que cette force se propage pour constituer une alternative.

Photos de la manifestation du 18 mars tirées du site de Solidaires 37 : Tours, 18 mars 2014 : 1300 manifestant-e-s contre le pacte de responsabilité.

Notes

[1Le 26 mars, la CFE-CGC a finalement déclaré qu’elle ne signerait pas, estimant que "la négociation chômage a montré que la confiance n’était pas au rendez-vous (…) le patronat a trahi les signataires potentiels du pacte de responsabilité"

[3Texte adopté lors du 9ème congrès de la CGT, en 1906, qui fixe notamment pour objectif la disparition du salariat et du patronat. A lire ici http://www.ihs.cgt.fr/IMG/pdf_Charte_d_amiens.pdf.