Retour sur la journée d’action du 18 mars avec le secrétaire général de l’UD CGT

Il y a quelques jours, on vous proposait un entretien avec le délégué départemental de l’union syndicale SUD/Solidaires en Indre-et-Loire, pour discuter de la mobilisation du 18 mars, de ses enjeux, et du combat syndical. On a posé les mêmes questions à Stéphane Deplobin, secrétaire général de l’Union départementale CGT.

Pourquoi avoir appelé à la grève le 18 mars ?

Les sujets de mobilisation étaient nombreux. Mais en premier lieu, il y avait la question du pacte de responsabilité, qu’on peut qualifier d’escroquerie. Suite aux exigences du MEDEF, le Président de la République a annoncé en début d’année une baisse des cotisations des employeurs qui représente un nouveau cadeau de 30 milliards d’euros. Une discussion a eu lieu avec le patronat au sujet des contreparties.

Sans surprise, le patronat a annoncé qu’il ne pouvait s’engager sur un nombre d’emplois créés. Et de ce point de vue, il a raison : on n’a jamais vu un gouvernement inscrire dans la loi une obligation de résultat sur les embauches, et on ne peut pas contraindre les employeurs à embaucher. Le problème, c’est que certaines organisations syndicales ont signé un relevé de conclusions avec les organisations patronales en annonçant des négociations dans les branches qui se termineront avec pas grand chose... Au niveau des branches professionnelles, il faut savoir que sur 600 conventions collectives, il y en a 60 seulement qui sont en capacité de se réunir et de négocier.

L’intersyndicale CGT-SUD-FO-FSU demandait donc le retrait du texte. Mais on posait aussi la question de l’emploi, des salaires et de la protection sociale, qu’on pose depuis des dizaines d’années. Ces sujets sont toujours au cœur de nos revendications, en particulier dans un contexte de poursuite des politiques d’austérité – outre le pacte, on nous parle aussi de 50 milliards d’euros de réduction de la dépense publique. Les organisations qui appelaient à la grève le 18 mars considèrent que, pour sortir de la crise, il faut augmenter les salaires, reconnaître les qualifications des salariés, redonner des moyens aux services publics et à la Sécurité sociale...

Comment avez-vous mobilisé pour cette journée ?

On a déployé le dispositif habituel : on a tracté dans les entreprises, discuté avec les salariés... Dans certains endroits, des assemblées générales de salariés ont été organisées. Mais il y a des disparités en fonction des entreprises et de leur organisation.

Quelles sont les conséquences de la signature d’un accord interprofessionel comme celui du 11 janvier 2013 sur les acquis sociaux – les conventions collectives, par exemple ?

Tout dépend du contenu de ces accords. Normalement, ces accords fixent un cadre pour des améliorations dans les branches. Mais la « loi sur la sécurisation de l’emploi » issue de l’accord national interprofessionel (ANI) du 11 janvier 2013 a par exemple multiplié les dérogations pour les contrats courts et les temps partiels. Sur le temps partiel, le gouvernement a encore laissé du temps supplémentaire à la négociation, et le patronat campe sur ses positions. Il n’y a donc pas moyen d’arracher un accord favorable aux salariés. Sur d’autres sujets, c’est l’accord d’entreprise qui fixera les règles applicables, même si ces règles sont moins favorables que la convention collective. L’ANI permet aussi à l’entreprise de licencier plus rapidement, et réduit les capacités d’intervention des comités d’entreprise.

En ce qui concerne le pacte de compétitivité, les négociations sur les contreparties des concessions faites au patronat sont renvoyées dans les branches. Quelles en sont les conséquences ?

L’idée est que la négociation au niveau des branches débouche sur des « relevés de conclusions ». C’est une nouveauté, on ne sait pas d’où ça sort. Et je ne vois pas comment on peut imposer, dans une branche, l’embauche d’un nombre donné de salariés. Dans le cadre de la mise en place des 35 heures, les employeurs s’étaient engagés à créer des emplois, mais personne n’est allé vérifier le respect de ces accords d’entreprise. J’ai peur que l’on n’obtienne rien d’autre que de grandes déclarations de principes. Je suis très sceptique.

Quelles seront les suites de la journée d’action du 18 mars ?

Dans toutes les entreprises, il faut discuter des suites à donner à cette journée, et essayer de faire monter la mobilisation. C’est dans les entreprises que ça se décide, avec les salariés. Par ailleurs, une action européenne est prévue le 4 avril. Pour l’instant, on se sait pas encore ce qu’on fera, ni avec qui. Il y aura une manifestation à Bruxelles, mais on pourrait s’organiser localement. On espère qu’il y aura d’autres initiatives d’ici le 1er mai.

Comment dépasser ces luttes purement défensives qui nous sont imposées par le patronat ?

La question qui me semble fondamentale, c’est : comment on s’organise avec les salariés pour définir des revendications ? Aujourd’hui, dans l’entreprise comme au niveau national, on ne discute que des revendications des patrons. On n’est pas capables d’arriver à la table des négociations avec un projet. Au lieu d’aller à des tas de réunions dans lesquelles les sujets tournent en rond, et qui aboutissent sur des régressions, il faut encourager les salariés à discuter ensemble de leurs propres revendications. Cela nécessite de dépasser les querelles de boutiques entre organisations syndicales. Si la discussion a réellement eu lieu entre les salariés, il est plus facile de construire un rapport de force et de l’imposer au patronat.

Comment peut se développer le syndicalisme parmi les salariés en CDD, en intérim, ou sous-traitants ? Quels sont les moyens à mettre en place pour organiser ces salariés et leur permettre d’avoir une vie syndicale ? Ces salariés ne peuvent pas vraiment s’exposer, compte tenu de la précarité de leur contrat de travail.

Je crois qu’il faut qu’on reparte de nos syndicats d’entreprises, qui sont au cœur de ces sujets-là. Les syndicats des entreprises donneuses d’ordres sont en contact permanent avec les salariés des entreprises sous-traitantes. Ce n’est pas un réflexe naturel, mais il faut qu’on arrive à ça. Récemment, on a eu des exemples intéressants. Il ne faut pas que les syndicalistes restent cloisonnés dans leurs entreprises, et il faut qu’on s’intéresse aux situations des travailleurs qui sont à proximité : dans le nettoyage, dans la sécurité, de la maintenance... Aujourd’hui, il y a plein de sous-traitants dans les entreprises.

On ne peut pas attendre que ces salariés viennent nous voir. Ces salariés ne vont pas instinctivement aller voir le délégué syndical. C’est à nous de faire le premier pas. Ensuite, pour organiser ces salariés, c’est plus complexe. Mais il y a quand même des solutions, même dans les très petites entreprises (TPE) : le syndicat peut intervenir auprès de son employeur quand celui-ci est donneur d’ordre, mais aussi auprès de la direction d’une entreprise sous-traitante. On porte aussi des revendications sur ces sujets, comme la mise en place de représentants pour les salariés des TPE.

Pour les intérimaires, il faut s’appuyer sur les syndicats des boîtes d’intérim, quand ces syndicats existent.

Pourquoi est-il si difficile de remettre en cause le système capitaliste, y compris dans le mouvement syndical ? On accuse souvent la finance, on demande aux politiques de « prendre leurs responsabilités », on cherche à mettre en valeur un « autre commerce », on fait la promotion du gentil artisanat face au méchant grand patron...

Je ne crois pas que la CGT cache le fait qu’elle lutte contre le capitalisme. D’ailleurs, si on engage la bataille sur le coût du capital, c’est bien pour le combattre. L’essence même du capitalisme, c’est la mise en concurrence des salariés, et on se bat contre ça.

Après, on peut crier « anticapitaliste » à chaque bout de phrase, mais je ne crois pas que ça fasse avancer le débat. Ce qui fait avancer les choses, c’est la manière dont les salariés revendiquent et font évoluer la situation, dans l’entreprise et dans la société.

Ensuite, pour ce qui est du gentil patron... Je considère que dans la lutte des classes actuelle, il n’y a pas que des patrons et des salariés. Il faut tenir compte des indépendants et de tous ceux qui appartiennent au camp progressiste.

Les salariés, les retraités ou les privés d’emploi ont besoin de réponses concrètes, comme l’augmentation des pensions de retraite. Pour s’adresser au monde du travail, il ne suffit pas de déclarer qu’on lutte contre le capitalisme, mais proposer des solutions. En particulier dans cette période, où il n’y a pas d’alternative sur le terrain politique. Nos solutions, nous devons les faire partager aux salariés. Et ce sont des solutions qui remettent fortement en cause le système capitaliste.

Cela dit, comme l’ont montré des camarades qui ont travaillé sur cette question, il est vrai que le langage syndical a changé. Certains mots qu’on n’utilisaient plus reviennent dans les discours, comme le mot « travailleur ».

Photo d’illustration : image de la manifestation parisienne du 18 mars, piquée sur le site de l’UGICT