Radio Fréquence Luynes : de la misère en milieu associatif

Depuis que le chômage de masse est devenu la norme, pour les jeunes en particulier, les gouvernements qui se succèdent affichent leur volonté de lutter contre ce qu’ils aiment appeler un fléau. La réalité est moins lyrique : ces politiques d’insertion des jeunes dans le monde du travail aboutissent à la généralisation des emplois précaires et mal payés qui s’accumulent et se succèdent souvent en début de carrière. Les associations deviennent dès lors un cadre privilégié pour tous ces sous-contrats, habillés de la légitimité conférée par la noblesse de l’engagement associatif. L’Etat se déleste ainsi sur les associations d’une partie de la formation, de l’accompagnement et du contrôle qui lui incombent dans le droit du travail.

Depuis la fin des années 1970 et avec le renouveau des théories libérales dans le champ politique, on assiste à une dégradation progressive du statut du salariat : stagnation des salaires, augmentation du chômage, culpabilisation des chômeurs, recul du droit social et syndical, intensification du travail, multiplication des contrats précaires (CDD, stages, temps partiel subi…). Ce sont bien entendu les fractions les plus fragiles de la population, femmes, jeunes et sans diplômes, qui prennent de plein fouet ces évolutions.

Si l’on s’intéresse plus spécifiquement aux jeunes, c’est surtout à partir des années 1990 qu’ils commencent à tâter la férule néolibérale, d’abord dans sa version soft, PS-compatible, avec les Emplois Jeunes de M. Lionel Jospin puis dans sa version plus virile avec les Contrats Première Embauche (CPE), de M. Galouzeau de Villepin en 2003. Une foultitude de contrats aux sigles abscons suivront, toujours basés sur la recette éprouvée des dérogations au CDI et au salaire minimum, avec des aides de l’Etat aux entreprise, du reste jamais satisfaites.

Enième tentative pour « fluidifier » le marché du travail, la récente proposition de loi dite El Khomri, tente de déconstruire encore davantage le droit du travail, sur fond de compétitivité et flexisécurité, sauce mondialisation-inévitable-ma-pauv’-dame.

Le monde merveilleux de l’engagement associatif

Parmi les formes de précarité qui apparaissent depuis une vingtaine d’années, il y en a qui suscitent bien peu de critiques, voire qui produisent un touchant unanimisme dans la classe politique : ce sont celles qui concernent les travailleurs du secteur associatif [1]. A noter, d’ailleurs, que la généalogie de ce type spécifique de précarité s’enracine plus anciennement dans la problématique de la gestion par l’Etat des objecteurs de conscience et leur intégration dans le monde des associations et s’étend avec les Emplois-Jeunes plus tard.

En tout cas, ces dernières années, peu de gens semblent s’émouvoir du brouillage des frontières entre le milieu associatif et la sphère de l’économie et de l’emploi. Il y a là une drôle de contradiction, cependant. D’un côté, les associations à proprement parler où subsiste le principe et le fonctionnement théorique basés sur la libre association de personnes qui se donnent des objectifs et des règles communes sur la base du bénévolat et du caractère non-lucratif. En face, de plus en plus nombreux, des individus qui sont dans la logique classique de la survie, de l’obtention d’un revenu ou de lignes sur leur CV qui leur permettront d’obtenir enfin un réel poste. Ainsi naît une nouvelle catégorie de travailleurs salariés précaires dans les associations et le secteur non-marchand (collectivités, délégataires de service public...) : les Services Civiques [2] et les Contrats d’Accompagnement dans l’Emploi (CAE) [3].

Bien sûr, la rhétorique gouvernementale pour légitimer le dispositif du Service Civique joue la carte de la noblesse de l’engagement associatif et de son caractère formateur pour une jeunesse en manque d’idéaux. A ce sujet, le site institutionnel du Service Civique est d’ailleurs une pépite de com’ 2.0 : coloris vifs, concours instagram « je fais un saut », débauche de hashtags, mots-clés clinquants (diversité, mixité, lien social, tremplin, épanouissement, respect, écoute, partage, initiative, citoyenneté, fierté, sens, réciprocité, confiance…), des photos reprenant les grands standards du jeune cool, souriant, cheveux violets et casquette à l’envers, issu de la diversité mais clean, aimant la fête et les moments de partage avec les handicapés et vieux, enfin pardon, « anciens ».

Du reste, nos jeunes amis qui portent le pantalon un peu trop bas, sortent des statistiques du chômage pendant quelques mois, offrant une victoire politique à peu de frais aux gouvernements successifs.

Plus étonnant, l’Agence du Service Civique communique sur sa présence à la Journée des Jobs d’été [4]... Tiens, on finit par se demander si c’est un job ou un engagement citoyen, du coup. C’est peut-être cet idéal citoyen qui a poussé l’Agence du Service Civique à organiser un concours autour de la place offerte par IBM pour assister à Roland Garros [5]. L’analyse des témoignages mis en avant sur le site laisse pourtant peu de doutes sur ce que Le Jeune est venu chercher dans cette expérience : « Bien que ma mission ne soit pas en rapport avec mon parcours professionnel, le service civique m’aura été utile pour la recherche de stages en entreprise. C’est une expérience que je mets en avant et qui compte auprès des recruteurs. Cela m’aide à être pris au sérieux [6] ». Ce même jeune bien sous tous rapports assure même : « ça m’a aidé à prendre davantage confiance en moi, à m’assagir un peu plus, j’ai mûri. ». On apprend donc les valeurs républicaines, mais aussi à adopter une posture d’employabilité et à accepter le système des stages sous-payés qui deviennent depuis quelques années la norme pour les débuts de la vie professionnelle.

La question de l’emploi des jeunes est donc renvoyée au domaine des principes, du sacro-saint vivre ensemble, de la magie de l’intérêt général, de la-politique-au-sens-noble-du-terme et autres facilités de langage qui anesthésient ce qui se joue ici, à savoir, un bon vieux rapport salarial de subordination qui ne porte pas son nom.

En effet, Services Civiques et CAE sortent du périmètre du code du travail et des conventions collectives, constituant une sorte de sous-prolétariat généralement surdiplômé et en réalité à la marge du droit et de la dignité [7]. Un Service Civique, limité à un an, est indemnisé à hauteur de 573 euros par mois (400 lui sont versés par l’Etat et ce même Etat verse une centaine d’euros à l’association, à charge pour elle de rajouter quelques euros pour compléter les revenus de son p’tit jeune). Le CAE, lui, « gagne » environ 767 euros brut et il est limité à 24 mois. 60% du brut est versé par l’Etat et il peut y avoir un complément octroyé par un Conseil Départemental. L’inspection du travail, noyée dans les Direccte (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) depuis quelques mois et avec des capacités d’action et de sanction revues à la baisse avec des lois successives de MM Sarkozy et Hollande n’a pas les compétences pour vérifier les conditions de travail des Services Civiques. Les problèmes et litiges sont renvoyés aux fonctionnaires territoriaux de la jeunesse et des sports voire à des associations qui obtiennent une délégation de service public, la FOL37, pour ce qui est de l’Indre et Loire. Ces services sont débordés et certainement pas formés pour gérer des problématiques de milieu laboral.

L’idée n’est évidemment pas de critiquer les tâches, le plus souvent d’utilité sociale, que remplissent les individus en Service Civique ou en CAE mais d’examiner en quoi ce cadre légal en marge du code du travail crée les conditions d’un sous-salariat, d’une pauvreté relative et de fortes tensions au travail.

Un cas symbolise et synthétise particulièrement bien ces dérives à l’échelle locale, l’association ARIAL et sa radio, RFL 101.

RFL 101, la radio des initiatives citoyennes…

L’association loi 1901 ARIAL, présidée par Mme Lydie Oger existe depuis une trentaine d’années et s’occupe essentiellement de faire vivre un média local, Radio Fréquence Luynes qui n’a pas de finalité commerciale d’où l’absence de publicités à l’antenne. La radio vit donc de l’engagement associatif bénévole d’une quinzaine de membres, d’une subvention d’un organe du ministère de la Culture, le FSER (Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique) qui est de l’ordre de 20.000 euros par an, et de la présence de plusieurs personnes en Service Civique et en CAE depuis des années, leur nombre étant variable. La ville de Luynes est également partie prenante en mettant à disposition des locaux, elle n’a cependant pas voulu répondre à nos questions à ce sujet.

La radio est très bien insérée dans le tissu culturel local comme le prouvent ses multiples partenariats affichés sur Internet avec des salles de spectacle institutionnelles (Petit faucheux, Temps Machine, Centre Dramatique Régional…), des acteurs subventionnés (Terres du Son, les Studios, Fraca-ma…), et, plus troublant, avec des acteurs privés comme la librairie La Boîte à Livres — RFL couvre presque toutes les rencontres avec des auteurs qui y sont organisées. La Boîte à Livres n’a d’ailleurs pas voulu répondre sur la nature précise du lien qui l’unit à la radio… De très nombreux artistes locaux ont été invités aux diverses émissions et ont pu faire leur promotion sans avoir l’impression de trop se salir dans un vil media commercial. Du reste, de nombreux témoins connaissant bien RFL mettent en avant l’importance de cette petite notoriété, du plaisir de l’entre-soi et de la présence aux côtés des personnalités locales culturelles et politiques pour la direction de la station.

Un ancien membre du Conseil d’Administration nous a d’ailleurs confié que la santé financière de la radio a été tout à fait florissante à une époque, avec quatre comptes assez bien garnis (deux à la Caisse d’Epargne à Tours, un au Crédit Coopératif des Tanneurs et un dernier au Crédit Agricole de Luynes).

Il est vrai, cependant, que la tête de l’association a connu des tensions internes très fortes il y a quelques années qui se sont conclues par un procès dans lequel l’ancien président, Bruno Delor, était accusé par des membres du Conseil d’Administration d’avoir manipulé les élections internes avec des adhésions suspectes. Après la procédure et le départ de l’ancien président, c’est une équipe composée essentiellement d’anciens membres du CA qui a pris les commandes de l’association.

Ce climat très conflictuel a eu des effets néfastes sur les conditions de travail des salariés et a fait fuir de nombreux bénévoles, laissant la station entre les mains d’un tout petit nombre de personnes qui portent son fonctionnement quotidien.

Même si l’investissement personnel des Services Civiques et des chroniqueurs, couplé aux nombreux contacts noués au fil des années, a permis de maintenir la qualité des émissions, la gestion administrative de la station a bien évidemment pâti de la crise du CA. Le suivi des dossiers de subventions s’est tellement dégradé que le FSER n’a pas versé son aide en 2015, le CA de RFL n’ayant pas été en mesure de fournir les documents bancaires et financiers demandés. Cette situation a mis en péril la radio elle-même : les travaux de réparation de l’antenne située à Luynes et qui n’émettait plus correctement jusqu’à Tours ont été retardés, le versement d’une partie des indemnités des Services Civiques s’est compliqué et les locaux de la rue Lamartine à Tours ont du être abandonnés faute d’argent pour le loyer...

Il y a quelque chose de pourri au royaume des ondes

En réalité, après avoir collecté une quinzaine de témoignages directs qui s’étendent sur la période 2009-2015, c’est l’organisation du travail à RFL 101 qui attire surtout l’attention.

De fait, après la crise au Conseil d’Administration, on se rend compte que
c’est M. Abdelkader Naji qui mène seul, en autocrate, la barque RFL. Il
n’est pourtant que bénévole de l’association ARIAL avec le titre de
responsable de la programmation ou de directeur d’antenne, il n’est pas
membre du Conseil d’Administration de la radio mais il y bénéficie d’appuis
très puissants à l’époque : sa compagne, Mme Aline Dumery en est la
présidente et son frère, M. Ahmed Naji, en est vice-trésorier. Très
régulièrement, il se présente à ses interlocuteurs comme l’homme qui fait
tourner la radio, celui qui travaille sans compter ses heures et sans qui
la station fermerait, se considérant et agissant comme supérieur
hiérarchique des salariés, investi d’une mission d’encadrement du personnel
par le CA.

Fort de ce soutien, gonflé d’auto-satisfaction et sans aucun contrôle d’un Conseil d’Administration aux abonnés absents en cas de problème et qui ne s’intéresse que très peu à la gestion quotidienne de RFL, M. Naji a les coudées franches pour imposer un management qui rappelle les plus riches heures du XIXème siècle.

Quelques rares anciens membres du Conseil d’Administration se sont bien émus de la situation, mais ils ont quitté l’association dégoûtés et refusent désormais d’évoquer cette période, je cite, « douloureuse ».

Tout y passe et est recoupé de manière confondante par les témoignages. Inventaire à la Prévert, façon cauchemar au travail :

  • Le rapport hiérarchique instaure un ton paternaliste qui joue sur l’affectif, le machisme, la différence d’âge et d’expérience. Il y a déjà quelques années, l’ancien président, M. Delor, abusait des "engueulades" dans l’intimité de son bureau comme méthode de management. Par la suite, ce sera M. Naji qui se forgera une solide réputation de colérique.
  • Le travail des salariés est régulièrement rabaissé, tout comme leur personne elle-même. Le terme d’humiliation revient souvent dans les témoignages (« t’as un problème dans ta tête » ; « t’as un problème avec les mecs »). Très régulièrement, M. Naji s’appesantit sur son mérite propre à être bénévole et à donner autant à la radio sans contreparties, renvoyant les Services Civiques et les salariés à leur supposée mesquinerie. Cependant, certaines sources ont eu accès à des documents prouvant que M. Naji a été salarié de la station au moins en 2014, et certainement avant aussi. Il ne redevient bénévole qu’en 2015 à la suite de l’arrêt du versement de la subvention du FSER.
  • Les conditions matérielles, pour une association pourtant subventionnée sont mauvaises : ordinateurs vieux, éclairage blafard, froideur des locaux en hiver, hygiène douteuse des WC, aucun bureau attitré... L’inspection du travail avait d’ailleurs été saisie il y quelques années de cette question.
  • La management punitif est récurrent : M. Naji demande que les salariés réalisent des émissions, puis décide de ne pas les diffuser au dernier moment, sans aucune explication, il ordonne des tâches rébarbatives ou dégradantes comme l’encodage de centaines de CD’s, il retire l’accès aux ordinateurs, aux documents de travail voire aux stylos, à la boîte aux lettres et au téléphone, parfois il interdit le contact avec le public, la présence à une réunion, ou il impose à un salarié qui habite à Tours d’aller travailler à Luynes alors qu’il y a des studios rue Lamartine en plein centre-ville.
  • L’organisation des emplois du temps vise à favoriser le travail solitaire, en isolant les salariés les uns des autres ; souvent, les Services Civiques ne rencontrent pas les animateurs. Des propos haineux sur des anciens ou sur des salariés non-présents sont proférés par M. Naji de manière régulière. Parfois, ces propos sont réalisés devant des partenaires ou des acteurs importants de la vie culturelle locale, nuisant à la réputation des travailleurs incriminés ou à la réputation de la radio à cause de l’ambiance qui transparaît.
  • Lors des embauches, les fiches de poste proposées par Pôle Emploi et l’Agence du Service Civique qui permettent au postulant de se faire une idée des tâches à accomplir sont fausses : certaines missions annoncées ne sont pas demandées par la suite alors que d’autres activités sortent du chapeau.
  • Le suivi des Services Civiques, leur formation, leur information et leur accompagnement est presque inexistant dans la structure : ils se forment seuls sur le tas et n’ont pas de visibilité sur leurs actions. Parfois l’accueil se fait dans des conditions pour le moins étonnantes, comme fin 2014, lorsqu’un ordinateur en veille sur le bureau est resté connecté à un site pornographique. Le phénomène empire début 2015, les deux salariés qui devaient se charger de cet encadrement n’étant plus là. L’un a mis fin à sa période d’essai, l’autre était en arrêt maladie à cause... du travail. Aucun salarié en CAE n’a été embauché par la suite, d’ailleurs.
  • Parallèlement, RFL a accueilli de plus en plus de simples stagiaires à partir de 2015, toujours avec un encadrement aussi léger et inorganisé, probablement pour cadrer au mieux avec les attentes du FSER et récupérer le soutien perdu pour l’année suivante, chose faite désormais.
  • M. Naji a la main sur la mémoire de la station. En effet, les anciens salariés partis en délicatesse subissent un sort dans le plus pure style du KGB : photos supprimées sur Facebook, émissions effacées ou alors montées de nouveau de manière à ce que la voix du salarié disparaisse…
  • La vie privée des salariés n’est pas respectée, les courriels, agendas papier et messages Facebook sont lus puis sont sources de reproches. Une main courante a d’ailleurs été déposée à Tours pour signaler ces agissements.
  • Un flou au sujet de la propriété intellectuelle des émissions est entretenu. Parfois, M. Naji décide d’émettre sans autorisation expresse de l’auteur ou alors il omet de fournir les attestations de diffusion pour que les auteurs soient rémunérés par la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédia). D’autres fois il avance que c’est RFL la détentrice des droits ou se prétend co-auteur alors que, saisie sur cette question, la SCAM a reconnu que les droits revenaient au salarié qui a préparé, interviewé et monté l’émission. Etonnant, pour une radio à but non lucratif…
  • Le temps de travail est élastique alors que les contrats stipulent 21h
    hebdomadaires. Les amplitudes sont très fortes, on travaille les jours
    fériés et les samedis, certains salariés font plus de 30h/semaine, les RTT
    promises pour compenser des semaines lourdes ne sont ni payées ni
    réalisées, des salariés réalisent des émissions pendant leurs vacances, en
    s’étant déplacés à leurs frais. Suspicieux malgré tout, M. Naji impose que
    les salariés le bipent sur son téléphone personnel lors qu’ils arrivent et
    quittent le travail. A d’autres moments, ce sont des membres de la
    direction qui passent contrôler quotidiennement le travail des Services
    Civiques.
  • Les salaires sont souvent payés autour du 20 du mois suivant, parfois pas du tout (au moins trois mois non payés sont attestés). Il faut quémander et attendre plusieurs mois sa fiche de paye, parfois c’est M. Naji lui-même qui fournit le chèque en main propre.
  • Les arrêts maladie et les déclarations à la CPAM mettent beaucoup de temps à être traités par RFL, ce qui cause de lourds retards dans les paiements des salariés. Tout comme pour les salaires, c’est toujours l’absence du trésorier, M. Tadhak, qui est mise en avant pour justifier les retards.
  • Certains de ces arrêts maladie sont d’ailleurs délivrés par des psychiatres, notamment pour une situation de trouble anxio-dépressif majeur lié au travail et ayant entraîné un arrêt de trois mois… Malgré cela, M. Naji a continué à mettre la pression par des coups de fil, des sms, des courriers recommandés et des mails, minimisant sans cesse le mal-être des salariés. Le CA n’est pas en reste : il convoque également pour des séances explicatives les travailleurs concernés et multiplie les courriers, suivant systématiquement les avis de M. Naji et ne se remettant jamais en question malgré la fréquences des conflits entre ce dernier et le personnel.

Parallèlement, le dispositif institutionnel censé encadrer le travail, associatif en particulier, se montre assez bienveillant envers M. Naji. En effet, l’Agence du Service Civique d’Indre-et-Loire et la Fédération des Œuvres Laïques du 37, qui sont les deux structures habilitées dans le département à nommer, former et suivre officiellement les jeunes en Service Civique dans une association, étaient au courant du mal-être récurrent à RFL grâce à des témoignages directs.

Cependant, M. Naji a su se débrouiller pour être le premier à donner ses versions des faits aux responsables du Service Civique, notamment en se présentant seul aux rendez-vous de médiation lorsque des problèmes étaient signalés.

Finalement, en 2014, la FOL37, à la suite du témoignage accablant d’un de leurs Services Civiques, a mis un terme à l’envoi de travailleurs à RFL, qui s’est alors tournée vers l’Agence du Service Civique pour obtenir des jeunes en mission. L’Agence, pourtant au courant de la situation antérieure et en contact avec l’Inspection du Travail, a validé la demande de RFL et a envoyé depuis quatre personnes travailler là-bas. Elle se dit particulièrement vigilante et assure n’avoir eu aucun signalement négatif depuis lors.

Pour ce qui est des CAE travaillant à RFL, l’Inspection du Travail a été saisie deux fois et s’est rendue sur place mais, ne constatant rien sur le moment, elle est repartie au bout de quelques minutes sans donner suite, pas plus qu’à nos questions à ce sujet. Pour ce qui est des conditions de travail des Services Civiques, ni l’URSAFF ni l’Inspection du Travail ne sont compétentes…circulez, il n’y a rien à voir.

L’Agence de Pôle Emploi qui proposait les postes en CAE était également prévenue des retards importants de paiement et de l’ambiance délétère qui régnait dans la radio… sans plus de réaction de leur part. Les témoins interrogés pour la période qui va de fin 2015 à nos jours nous ont certifié que toutes ces pratiques avaient pris fin néanmoins...

Cas extrême qui ne représente pas le milieu associatif, direz-vous ? Oui, sans aucun doute. Cependant, cet exemple démontre que sans encadrement institutionnel et légal clair et en l’absence des conditions normales de l’exercice de l’activité syndicale, ce genre de dérive peut durer longtemps et broyer des individus pourtant venus travailler avec la meilleure volonté du monde.

Que faire ?

Alors bien sûr, que faire à notre échelle contre cela ? On pourrait attendre du Conseil d’Administration de RFL qu’il mette fin à ces pratiques et qu’il regarde enfin la vérité en face, on pourrait souhaiter que M. Naji quitte la station, que l’Inspection du Travail, l’agence du Service Civique prennent leurs responsabilités et arrêtent d’envoyer des Services Civiques là-bas tant que les problèmes ne seront pas réglés, que tous les chroniqueurs et invités qui sont conscients de l’ambiance qui règne dans cette radio sortent du silence… Mais la problématique est plus profonde et structurelle : comment réussir à faire valoir ses droits et sa dignité alors même que la configuration extrêmement précaire et isolée du travail en milieu associatif ne permet pas de réel syndicalisme ?

En tout cas, cet exemple extrême nous donne peut-être un avant-goût du salariat de demain si on y additionne l’expérience Uber et le micro-entreprenariat plus récents : des travailleurs isolés, un temps de travail éclaté, des rapports hiérarchiques inter-individuels potentiellement malsains, un droit du travail éliminé au profit de simples contrats entre parties, une extrême mobilité, une polyvalence à outrance, des engagements de très courte durée… Le rêve du patron devenu réalité, en somme.

Depuis 1945, jamais le besoin de s’organiser entre travailleurs, de s’informer via des médias libres, de se parler pour sortir de l’isolement et de se mobiliser socialement n’a été aussi fort. Le code du travail, l’encadrement étatique du salariat, les conventions collectives, les syndicats [8] et l’unité dans le traitement des travailleurs ne sont pas des « pesanteurs d’un autre siècle » ou des « freins à la croissance » mais bel et bien des garde-fous aux dérives individuelles. Espérons que le paragraphe précédent ne restera qu’à l’état de cauchemar.

P.-S.

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Pour aller plus loin, quelques liens qui mettent en avant les travaux de Matthieu Hély, sociologue spécialiste de la question associative :

Notes

[2(Le service civique est un dispositif français d’encouragement à l’engagement citoyen et de soutien public à celui-ci, créé en 2010 par Martin Hirsch. Il a pour objectif de renforcer la cohésion nationale et de favoriser la mixité sociale et offre la possibilité aux jeunes de 16 à 25 ans de s’engager pour une durée de 6 à 12 mois dans une mission d’intérêt général dans 9 domaines différents, reconnus prioritaires pour la Nation : éducation, solidarité, santé, culture et loisirs, environnement, développement international et humanitaire, mémoire et citoyenneté, sports, intervention d’urgence en cas de crise)

[3(Le CAE porte sur des emplois visant à répondre à des besoins collectifs non satisfaits. Il a pour but de faciliter l’insertion professionnelle des personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières d’accès à l’emploi. Il porte sur les emplois du secteur non marchand.)

[8(Un seul syndicat a été constitué pour la défense des travailleurs du secteur associatif, l’ASSO : https://www.syndicat-asso.fr/)