Que sait-on au sujet de l’Ukraine ?

Sur son blog, Christine Delphy propose un regard critique sur la situation en Ukraine et de son traitement médiatique. A force de nous entendre marteler dans les journaux, à la télé et à la radio que "la Russie est coupable", nous oublions de nous questionner à propos des intérêts de l’Union Européenne et des États-Unis en Ukraine...

« J’ai parlé dans les derniers jours avec deux amies. Plutôt politisées, plutôt à gauche, et qui se tiennent raisonnablement informées. Je leur ai demandé ce qu’elles pensaient de la situation en Ukraine. L’une m’a dit, avec assurance : « C’est Poutine qui envahit l’Ukraine ». L’autre m’a dit que c’était en effet l’idée que l’on pouvait se faire quand, surchargée de travail comme elle en ce moment, on n’attrapait que des bribes d’info à la radio. Et c’est en effet le sentiment que donne la presse écrite et télévisée : « « on va voter des sanctions contre la Russie », puis, une semaine après, « on va voter encore plus de sanctions » ; si on vote des sanctions contre la Russie, c’est bien que celle-ci est coupable ? Depuis des mois, Le Monde présente un article, le même, dont le titre est « Que veut Poutine en Ukraine ? ». Et pourtant, ce que montrent les reportages, ce sont des affrontements entre Ukrainiens : entre l’armée ukrainienne, dépendant du gouvernement installé à Kiev, et les milices du Donbass. »

the weight of the Maidan - streetwrk.com

Jamais d’article ayant pour titre : « Que veulent les USA en Ukraine ? » ou « Que veut l’Union européenne en Ukraine ? ». Très tôt on a appris, à propos des manifestants de la place MaÏdan de Kiev, qu’ils protestaient contre la décision de leur gouvernement, mené alors par Iakounovitch, de cesser de demander un accord d’association avec l’UE. Mais on ne savait pas qu’ils l’avaient demandé, avant de cesser de le faire. Et est-ce qu’un pays décide de demander un accord d’association -– première étape de l’intégration dans l’UE— contre l’avis de la commission européenne ? Non. Alors, que veut l’Union européenne en Ukraine ? Voici une question qui n’est jamais posée dans nos journaux-papier, dans nos journaux télévisés, par nos radios. De même qu’elle n’a pas été posée à propos des 10 pays les plus récemment intégrés dans l’Union, tous des pays d’Europe de l’Est, plus Malte et Chypre. Les intégrations des derniers pays, qui ont fait passer l’Europe des 12 à l’Europe des 28 en quelques années, ont été votées par les peuples des pays demandeurs, mais pas par ceux des pays déjà membres. Ce qui en soi est un déni de démocratie énorme. On ne leur a pas demandé car nos rois savaient très bien que personne ne se soucie en France, en Suède, en Espagne, de rallier à elle la Lettonie ou la Croatie. Mais la commission s’y intéresse : ces pays minuscules, plus petits que Paris intra-muros, ne comptent pas dans la Commission–qui les écoute ?–, mais au bout du compte, font du monde : du monde qui ne compte pas, le meilleur.

maidan funeral - streetwrk.com

« Dans le cas de l’Ukraine, ça ne se passe pas bien. Une partie de l’Ukraine ne veut pas. Mais c’est l’Europe, et bientôt les USA, qui soutiennent la partie qui veut. Pourquoi ? Là non plus on ne nous dit pas pourquoi c’est si important pour l’Europe que l’Ukraine en fasse partie.

Le sous-texte de la presse écrite et parlée, c’est qu’on ne peut que les soutenir, car ce sont des gens qui NOUS ont choisis : donc des gens de goût. Ce qu’on ne nous dit pas c’est que Bruxelles a déjà accepté l’Ukraine, avant que Kiev ne postule. (...) »

protect the barricade - streetwrk.com

« (...) La question majeure demeure, cependant : pourquoi supportons-nous que nos médias nous mentent de façon éhontée, que quand le Monde veut dire quelque chose de vrai, il doit traduire un article de l’anglais…parce qu’à force de répéter la ligne de leur gouvernement, les journalistes sont devenus incapables d’avoir une vision objective ?

Nous n’avons pas à prendre parti dans tous les affrontements politiques, surtout quand ceux-ci se passent entre des grands pouvoirs qui se disputent les ressources énergétiques, agricoles, minières, du monde, au détriment de tous et de toutes. Mais nous n’achetons pas non plus le journal pour qu’on nous raconte des histoires où "notre" côté est toujours celui du "bien". »

L’intégralité de cet article est disponible sur le blog de Christine Delphy.

Illustration : Michael Kötter - « Maidan Nezalezhnosti at Dusk » sur Flickr