Monique, au service de Dieu et de la classe ouvrière

On a rencontré Monique à la CGT. Quand on a appris qu’elle était sœur ouvrière, on a voulu en savoir plus, et elle nous a accueillis dans son petit HLM de Tours Nord. Son appartement reflète son double engagement : dans la bibliothèque, Arlette Laguillier côtoie Jean-Paul II et Steinbeck est rangé à côté de vieux numéros d’une revue théologique ; au mur, une horloge marquée « Travailler moins pour profiter plus » et des icônes religieuses ; sur le buffet, la photo d’une manifestation et celle d’une religieuse malgache ; pas loin, des médailles du travail, un crucifix. Récit d’un parcours qui va de la salle de classe à l’usine, en passant par le couvent.

Monique est née en 1942, d’un père cantonnier municipal et d’une mère au foyer qui se mettra à faire des heures de ménage lorsque ses filles auront atteint l’âge d’aller à l’école. Quand Monique et ses sœurs allaient chercher leur père dans l’un des nombreux bars qui entouraient leur appartement de Rennes, il était fier de présenter ses trois filles aux copains. Et à voir les photographies en noir et blanc qui occupent les premières pages de l’album qu’elle nous montre, on comprend pourquoi. Au fil des pages, on découvre Monique enfant, puis institutrice dans un établissement privé mixte, en habit de religieuse peu après.

Au couvent

Elle décide de rejoindre le couvent après quelques années d’enseignement dans le primaire. Après deux ans de noviciat, elle sera envoyée au Mans pour enseigner en classe maternelle ; c’est là-bas qu’elle assistera à « la révolution » de 1968. Envoyée à La Catho, à Paris, pour une licence d’enseignement religieux, elle y fera une thèse d’Histoire de l’Église sur les premiers prêtres ouvriers ; pour elle dont le père était cégétiste et « incroyant », ces hommes à la fois prêtres et ouvriers, c’était « le summum ».

En 1971, Monique est envoyée à Neuillé-Pont-Pierre où elle travaille pour le diocèse et fait le catéchisme en paroisse : elle est alors « responsable avec l’équipe des prêtres de la Pastorale sur 18 communes ». Mais son activité de catéchisme la conduit à rencontrer de nombreux parents qui se sont détournés de la religion. Alors, Monique décide d’aller à leur rencontre, sur leurs lieux de travail. Après un passage d’un an à la Mission de France, qui forme les prêtres, religieuses et laïcs désireux de s’engager dans le monde du travail, elle entre en 1978 dans l’entreprise de nettoyage Otenetto, où elle travaille de 18 heures à 22 heures. Rapidement, elle décide d’abandonner son activité de catéchisme pour se consacrer pleinement à cette activité salariée et, avec le soutien financier de sa congrégation, quitte la communauté où elle vivait avec trois autres religieuses pour s’installer seule à Tours.

A l’usine

Dans l’usine Chiminter où elle travaille comme femme de ménage, elle n’est pas la seule établie : le secrétaire du CE est alors un prêtre ouvrier, « Jeannot », décédé en 2012. La religieuse rejoint rapidement la CGT et, soutenue par le syndicat de l’usine, demande l’ouverture d’élections professionnelles dans son entreprise de nettoyage. Elle devient déléguée syndicale, mais son entreprise perd quelques mois plus tard le contrat de nettoyage de l’usine. Son contrat de travail, comme celui de ses collègues, est alors transféré à GSF, l’entreprise qui a gagné l’appel d’offres. Tout le travail est à refaire. Quand son nouveau responsable fait aligner les salariés et demande à son ami Bébert de retirer sa casquette, Monique fait remarquer au chef : « On n’est pas dans une église ! » En 1982, quand l’élection des délégués du personnel donne plusieurs sièges à la CGT, ce chef préfèrera partir...

Par la suite, Monique sera de tous les combats et s’essayera à tous les postes de représentation ou de défense du personnel : élue CE, élue CHSCT, déléguée du personnel, conseillère prud’hommes, conseillère du salarié... Elle participera à la constitution de l’Union CGT du Nettoyage en Indre-et-Loire, au sein de laquelle elle est toujours active, et se battra pour la création, au sein de GSF, d’un comité d’entreprise, puis d’un comité central d’entreprise, et enfin d’un comité de groupe. Quand vient l’élection du secrétaire du comité de groupe, les délégués portent leur choix sur Monique, mais celle-ci refuse le poste et demande que soit élu un camarade musulman (qui est toujours secrétaire du comité de groupe à l’heure actuelle).

Généralement, ses collègues ignorent d’abord qu’elle est religieuse. C’est quand on lui demande si elle a des enfants qu’elle révèle son statut. Un jour, un copain se mettra à crier dans l’usine en apprenant que Monique est bonne sœur – « Peut-être était-il un peu amoureux de moi », nous dit-elle timidement. Et quand un patron l’appellera « ma sœur », elle lui répondra par un « mon frère » qui le laisse sans voix, histoire de bien marquer à quel point son statut de travailleuse est distinct de son statut de religieuse.

"La justice d’abord"

Monique n’a pas rejoint le monde du travail pour faire de l’évangélisation. Elle n’a pas non plus voulu être seulement « une femme de ménage de plus ». Elle a souhaité prendre part au combat à mener pour améliorer le sort des travailleurs, « aider les gens qui n’ont pas de moyens à s’organiser ». Proche en cela de la théologie de la libération, qui s’est développée en Amérique du Sud dans les années 60 [1], elle estime qu’aller au contact des populations défavorisées et les accompagner dans leurs luttes constitue une mission primordiale pour les religieux. Ce qu’il faut, c’est lutter pour le changement social, plutôt que gérer la misère générée par le système capitaliste : « la justice d’abord ».

Monique nous parlera aussi d’un camarade maghrébin, D., dont elle garde une photo dans son bureau. Ensemble, ils ont mené de nombreuses luttes syndicales et judiciaires, et il lui fera toucher du doigt le racisme qui sévit parfois tant du côté syndical que patronal. Elle nous racontera les repas interreligieux auxquels elle participe, l’intérêt qu’elle trouve à échanger avec les musulmanes voilées de Bouzignac, la ferveur avec laquelle prie un autre ami musulman...

Aujourd’hui, les religieuses ouvrières sont rares. A propos de celles qui sont infirmières, assistantes sociales ou aides ménagères, on parle plutôt de « sœurs salariées » ; n’ayant pas le même lien avec la classe ouvrière que celles qui les ont précédées, elles sont moins mobilisées sur le front syndical. Et puis, d’après Monique, le syndicat fait l’objet d’un rejet « effarant » dans le monde religieux : « hors de l’Église, point de salut ». Elle note tout de même que ce rejet n’est pas universel et nous parle d’une amie chilienne, ancienne déléguée du personnel dans son entreprise, à la fois chrétienne et communiste.

À ceux et celles qui interrogent Monique sur ses choix, parfois au sein même de sa congrégation, elle répond en évoquant les cas des salariés auxquels elle vient en aide, comme cette femme de ménage qu’elle a accompagnée récemment dans une procédure contre son employeur et qui lui a promis de faire venir quatre collègues au syndicat. Cette femme n’a pas souhaité se syndiquer, arguant qu’elle était proche de la retraite ; Monique, qui est retraitée depuis 2009, nous a assuré qu’il s’agissait pour elle d’un engagement « jusqu’à la mort ».

carmen et tom

Notes

[1A ce sujet, lire l’entretien d’Article11 avec Michael Löwy http://www.article11.info/?Guerre-au-Moloch-Entretien-avec