Mobilisation paysanne à Blois : « Nous ne voulons pas être la variable d’ajustement de l’agroalimentaire »

Le 2 septembre dernier, 20 ministres européens de l’agriculture se sont retrouvés dans le faste du château de Chambord sur invitation de M. Le Foll, pour discuter de la politique agricole commune (PAC) 2020. En réaction, et pour marquer la rentrée syndicale de la Confédération Paysanne, une mobilisation s’est organisée à Blois le même jour, rassemblant des paysans de tout le territoire et de pays voisins, tous touchés par la crise agricole.

Les paysans rassemblés s’accordaient sur l’urgence d’une réponse globale à la crise actuelle qui touche, les uns après les autres, tous les secteurs de l’agriculture et met gravement en péril l’agriculture paysanne et l’environnement, au profit de l’industrie agroalimentaire mondiale et des spéculateurs. Retour sur diverses prises de paroles, qui ont porté sur la crise du lait, l’impact de la mondialisation du marché agricole, et la situation en région Centre.

Le système agricole européen et mondialisé, premier responsable de la crise

Après les inondations du printemps est venue la sécheresse en cours, mettant toujours plus à mal tous les secteurs de l’agriculture française. Mais face à ces aléas climatiques, des outils existent tels que les plans dits de catastrophe naturelle ou de calamité agricole, qui s’avèrent d’ailleurs bien plus efficaces que les assurances privées, véritables charognards du capital.

A l’inverse, les politiques agricoles européennes successives ont fait bien davantage de dégâts, étranglant le monde paysan au profit de l’industrie agroalimentaire. La situation est d’une gravité jamais vue et les conséquences dépassent le milieu agricole pour inquiéter notre alimentation à tous et impacter lourdement l’environnement et les populations (vous savez, ceux que l’on appelle communément consommateurs…).

L’impact de l’arrêt des régulations : l’exemple du lait

La crise du lait illustre le résultat désastreux d’un système de surproduction à grande échelle. Depuis la fin des quotas, l’Irlande, pour ne citer qu’elle, a augmenté sa production laitière de 20%. Pour autant, la surexploitation des hommes et des animaux n’a pas dégagé de revenus supplémentaires, augmentant la charge de travail pour un résultat financier identique voire amoindri, et entrainant des répercussions graves sur le plan européen.

Des syndicats et regroupements de producteurs des pays voisins ont envoyé des courriers de soutien lus au cours de la mobilisation. Tous y font mention de l’effet destructeur de la fin des quotas et demandent le retour à une véritable régulation des productions appliquée sur toute l’Europe.

Ainsi, « l’association des exploitation familiales croates » pointe du doigt la responsabilité du géant mondial français LACTALIS [1]. Début 2016, ce dernier a baissé le prix du lait de 8 à 10% alors qu’une baisse d’environ 20% avait déjà eu lieu au premier semestre 2015. Cela a été un grand choc pour la production laitière de Croatie, affectant gravement la vie dans les zones rurales où l’élevage joue un rôle clé dans le maintien de l’économie et de l’équilibre naturel. L’État Croate importe donc à ce jour plus de 2/5 de la consommation de lait.

Aux Pays-Bas, en Belgique, Espagne, Croatie, Italie ou encore au Portugal, les producteurs se mobilisent pour un retour à des prix décents et à la régulation des volumes et des prix, défendant la souveraineté alimentaire de leurs pays face au marché mondial. Ils refusent de concert l’Europe de la PAC (Politique Agricole Commune mise en place par l’Union Européenne) et s’opposent aux accords ultra-libéraux comme le TAFTA [2] et le CETA [3] qui mettraient définitivement à terre le monde agricole en Europe.

Tordre le cou aux idées reçues et aux faux arguments : l’argument de la compétitivité

« La compétitivité ne se calcule pas à la taille de l’exploitation ! »

Tout le système de primes et d’aides de la PAC poussent les exploitations à grossir, étouffant les petits producteurs et favorisant les gros. Une récente étude sur le système danois [4], qui favorise les grosses exploitations (comme les fermes de 1 000 vaches dans le nord de l’Allemagne, fermes qui se développent aussi en France, Cf. en Vienne à Coussay-Les-Bois où la résistance s’organise) montre que malgré de très gros volumes par actifs, les revenus ne sont, là encore, pas supérieurs voire moins importants que ceux des fermes françaises il y a quelques années.

Les investissements nécessaires à la robotisation et à l’évolution de la taille des troupeaux rendent les paysans toujours plus dépendants : suppressions d’emplois pour des volumes démesurés et très peu de personnel (2 pour 1000), surinvestissements à crédit au profit des banques et maltraitance animale en sont les premiers résultats, le tout au détriment d’une autre façon de produire. Pour la blague, autre lubie caricaturale d’actualité : l’agriculture assistée par les drones… risibilité, inutilité, dépendance accrue là encore.

Cette course à la compétitivité, orchestrée par la PAC et l’Europe sous l’égide des marchés et des industriels de l’agroalimentaire est aussi relayée plus localement par des acteurs politiques nauséabonds aux intérêts croisés comme Xavier Beulin (qualifié de « véritable ministre de l’agriculture » et d’« agrobuisnessman », tout puissant patron de la FNSEA, premier syndicat agricole français, et Président du Conseil Économique, Social et Environnemental Régional du Centre-Val de Loire mais aussi... [5]), clairement et activement en faveur d’une agriculture industrielle au détriment de l’agriculture paysanne.

Le système des primes (à l’hectare, au nombre de bêtes etc.) ne bénéficie en effet qu’aux plus gros pour en finir avec les exploitations familiales (pas de prime par exemple pour les exploitations de 125 hectares et 25 vaches), excluant aussi des pratiques comme la polyculture-élevage, alternative raisonnée aux grandes cultures. Les petits doivent ainsi se spécialiser ou disparaître et si il veulent grossir, la spéculation foncière, fruit de tout ce système, les en empêche bien souvent (lire « Spéculation foncière : quand la Touraine flambe... » et « Spéculation foncière : appel à mobilisation jeudi 7 juillet »).

Le Paysan sacrifié sur l’autel du Marché Mondial

Lait, porc, viande bovine, céréales, maraichage… le dénominateur commun de tous ces secteurs en crise est le fait de se confronter au marché mondial. Une denrée en production excédentaire entraine irrémédiablement la chute des prix au niveau mondial. En France, couplé aux bas rendements liés au climat, le prix des céréales est un bon exemple des effets du marché, comme l’était celui du prix du porc l’an passé. L’ironie veut que le marché mondial soit à la fois responsable de la chute puis de la reprise des cours.

Notre cher ministre de l’agriculture M. Le Foll a déclaré que les Chinois ont beaucoup acheté en 2014, moins en 2015, qu’ils se remettent à beaucoup acheter et que c’est une bonne chose. Le monde agricole est bien sous la coupe d’un marché global dérégulé et en paie lourdement le prix, les États impuissants tentant tant bien que mal de panser dans l’urgence une plaie largement ouverte. Plus localement on entendra Xavier Beulin déclarer : « Pour aller sur le marché mondial et y être compétitifs, il faut baisser les coûts sans quoi nous allons perdre des parts de marché ». Ce sont bien là les paroles d’un agroalimentaire aux responsabilités politiques qui se nourrit du prix bas des paysans pour augmenter ses profits et ceux de ses amis.

« Nous paysans, ne voulons pas être la variable d’ajustement des prix de l’agroalimentaire. »
Porte-parole national de Confédération Paysanne à Blois vendredi 2 septembre

« On s’en sortira parce que certains vont arrêter... » Voilà une autre idée reçue née de la mise en concurrence des producteurs, d’abord sur le plan européen et mondial puis aujourd’hui, apparaissant face à la crise sur le plan local.

Un exemple local, la Région Centre

La Région Centre n’a pas toujours été une région céréalière, la majorité de ses sols n’étant pas favorables aux grandes cultures de céréales. Autrefois, on y voyait beaucoup de polyculture et d’élevage notamment au sud de la Région, pratique plus résiliente en cas de crise, plus autonome, plus économe et favorable à l’environnement. En effet, il n’est plus à démontrer qu’à travers l’exploitation intensive des grandes cultures (et monocultures comme la vigne également) les sols perdent au fil des ans leurs composés organiques et se rapprochent petit à petit de la roche ou du moins de leur stérilité.

Aussi, la Région Centre est aujourd’hui parmi les premières régions productrices de céréales [6] et cela va de paire avec la première place en utilisation de pesticides. Les dégâts sont colossaux à long terme sur l’environnement, bien au-delà des cultures. Les abeilles meurent [7] et les eaux se saturent en pollution qu’on ne peut ni ne sait traiter. En ces temps estivaux de sècheresse, la Loire, à ses plus bas niveaux, est d’avantage concentrée en nitrates et autres agents polluants issus entre autres de l’agriculture conventionnelle. Des algues, auparavant absentes et aux lourdes répercussions sur tout l’écosystème, poussent dans nos cours d’eau [8].

Par ailleurs, le nombre d’exploitations laitières en Région Centre a été divisé par 10 [9]. La région est parmi celles qui ont le plus restructuré avec le renfort des chambres d’agriculture. La production moyenne par exploitation explose, mais ces dernières ne dégagent là encore pas plus de revenus, avec toujours plus d’endettement et de fragilité. Tous ces aspects découlent directement du fonctionnement du système agricole global. La Région Centre est ainsi un bon symbole du fiasco de ce système, et en démontre l’absurdité.

Que faire face à tout cela ?...
Sortir de l’isolement le monde agricole en participant aux mobilisations des paysans, refuser la grande distribution en privilégiant les circuits courts (marchés, AMAP, vente chez les producteurs etc.), discuter de ces problématiques sur les marchés et lieux de vie qui se font si rares, prendre position et débattre... la liste est ouverte.

Toutes ces questions nous appartiennent à tous et ne sont pas seulement entre les mains des politiques et des puissants, à nous de nous en emparer au quotidien et de nous les réapproprier, tant ces pratiques impactent directement nos vies et notre environnement.

Notes

[1Au sujet de Lactalis, il est bon de rappeler que la Confédération Paysanne a mené des actions en février, avant que ce sujet soit sous le feu des médias. Les producteurs de la Confédération paysanne d’Aveyron et d’Occitanie se sont rendus chez Lactalis pour récupérer directement des produits laitiers et les redistribuer, estimant ne pas avoir été payés au juste prix. Lactalis a déposé une plainte actuellement en instruction et la Conf. Paysanne d’Aveyron a également porté plainte contre Lactalis pour une rémunération correcte des producteurs. Ce genre de recours aurait, selon la confédération, de réels impacts en terme de pression faite sur les laiteries, afin également de sensibiliser l’opinion publique sur ces pratiques abusives.
De plus, la Conf. Paysanne réclame une réduction obligatoire de la production laitière au niveau européen par l’activation de l’article 221 du règlement européen.

[2Trans-Atlantic Free Trade Agreement, en français accord de libre-échange commercial trans-atlantique, appelé aussi TTIP. C’est un projet d’accord commercial entre les Etats-Unis et l’Europe dont le 2ème cycle de négociation a commencé en octobre 2013 et qui est toujours en cours.

[3Accord Économique et Commercial Global (AECG) ou en anglais Canada-EU Trade Agreement (CETA), est un vaste accord commercial de libre-échange négocié depuis 2009 entre le Canada et l’Union européenne. Jean-Claude Juncker, président de la commission européenne, a tenté cet été de l’imposer par la force en contournant les parlements nationaux. L’exécutif européen à annoncé que le CETA, conclu à l’automne 2014 avec le Canada, devrait être considéré comme un accord mixte et non pas de la compétence exclusive de l’Union européenne (UE). Une différence qui n’est pas seulement sémantique : un accord non mixte nécessite seulement l’aval du Parlement européen et des États membres.

[4Cf études ’Arvalis’, ’Agriculture et Environnement’ et sources Conf. Paysanne

[5Président du conseil d’administration du groupe agro-industriel international Avril (anciennement Sofiprotéol), vice-président du CETIOM (Centre technique interprofessionnel des oléagineux métropolitains) après en avoir été le président de 2000 à 2009, président du grand port maritime de La Rochelle depuis décembre 2008, président de l’EOA (Alliance européenne des oléo-protéagineux) depuis 2002, président du conseil d’administration de FranceAgriMer depuis novembre 2009, Officier de l’ordre du Mérite agricole, Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur, Chevalier de l’ordre national du Mérite

[6Voir entre autres le site du ministère, riche en chiffres et en conjonctures.

[7En apiculture, l’augmentation des coûts de production qu’engendre le respect des normes sanitaires européennes indispensables pour produire un miel de qualité, mais surtout l’entrée sur le marché de miels importés des pays de l’Est à des prix relativement bas ont engendré une crise grave de cette profession. Les abeilles meurent sous l’effet des pesticides et les producteurs sont fortement touchés eux aussi.

[8On attend avec impatience les résultats de l’étude en cours de l’INRA. Autre histoire visible de pollution toujours d’actualité (nov. 2015), parmi d’autres surement moins visibles : cliquer ici