Migrants : l’Etat tente de sous-traiter ses obligations d’accueil aux particuliers

L’Entr’Aide Ouvrière (EAO) vient d’envoyer un drôle de courrier aux associations et collectifs d’aide et de soutien aux migrant·es. Il s’agit de faire porter à des particuliers l’obligation d’accueil relevant de l’Etat. Tentative de décryptage d’une « innovation » potentiellement lourde de conséquences...

Le courrier adressé le 8 novembre aux organisations de soutien et d’aides aux migrant·es par la présidente de l’association [1], Marie-Paul Legras-Froment, a de quoi laisser songeur. Elle y présente un « programme innovant » baptisé « Familles solidaires », qui est en fait un programme d’ « hébergement citoyen » de réfugiés chez des particuliers pour lequel - dans le cadre d’une expérimentation - « l’EAO comme dix autres associations [2] en France, a obtenu l’agrément des pouvoirs publics pour organiser, dans les meilleurs délais, le " placement " d’au moins cinquante réfugiés dans le département ».

Migrant·es : accès à l’asile et au logement, le parcours du combattant !

Alors que ces réfugié·es ont vécu le parcours du combattant pour arriver en Europe et affronté diverses administrations tout au long de leur parcours — dont la redoutée et redoutable administration française (O.F.I.I., O.F.P.R.A., C.N.D.A. parfois, etc.) — pour obtenir l’asile [3] l’Etat français à travers Emmanuelle Cosse (ministre du Logement et de l’Habitat... durable !) profite et manipule l’élan fraternel envers les réfugié·es (création de divers réseaux d’hébergement comme Welcome ou CALM) pour faire de sordides économies de bout de chandelles [4]...

Alors que nous sommes en trêve hivernale et au lieu de loger de façon pérenne ces hommes, femmes, familles, actuellement logés dans des conditions souvent précaires en Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile [5], l’État veut refiler à des particuliers la responsabilité d’assurer gratuitement l’hébergement de ces personnes sous prétexte de « faciliter leur intégration dans la société »... Intégration qui passe précisément par le logement et l’indépendance au quotidien afin de pouvoir chercher du travail, nouer des liens avec le voisinage, etc.

Comme pour les Centre d’Accueil et d’Orientation (CAO) [6] mis en place — en lieu et place des CADA — pour accueillir tant bien que mal et dans l’urgence les migrant·es de la « jungle » de Calais, le lancement de ce programme de développement « de l’expérimentation de dispositifs d’hébergement de réfugiés chez les particuliers » [7] est une atteinte grave et lourde au droit au logement [8] des populations les plus précaires et les plus vulnérables.

Il faut avoir en tête que ce sont les étrangèr·es — en tant que population précaire — qui servent de cobayes aux pires politiques de remise en cause des droits : logement, fichage, restriction de l’accès aux soins, etc. Aujourd’hui les migrant·es, et demain ? Les SDF vont-ils « bénéficier » de cette politique ? Allons nous par exemple continuer à subir les restrictions d’accès aux soins inaugurées avec la très fameuse Aide Médicale d’Etat dont le périmètre de remboursement ne cesse de se réduire (aux seuls soins vitaux actuellement) ? Cela doit être pour cela que l’EAO

« [attends] de votre association, de son réseau et de son influence, qu’ils nous aident à trouver et convaincre des familles potentiellement accueillantes ».

Gérer la misère et la dégradation des droits humains inaliénables sous couvert de solidarité, c’est un peu lourd à porter, autant sous-traiter, et gratuitement s’il vous plaît !

Notes

[1fondée à Tours en 1947 qui gère le 115, un cabinet médical, six Centre d’hébergement et de réinsertion sociale dans l’agglomération tourangelle ainsi qu’à Chinon et Loches, des ateliers et chantiers d’insertion, un Centre de formation, et la « Petite maison » pour l’aide aux familles de détenus

[2Quinze avaient candidaté. A Paris c’est le Samu Social qui a été choisi.

[3En France en 2015, 19 506 personnes ont obtenu l’asile ou la protection subsidiaire soit 24,36% des demandeurs ; la France n’ayant accueilli que 1 330 des 30 000 réfugiés promis par Hollande et Valls en 2015 lors de la « crise migratoire » européenne

[4En CAO par exemple, le coût journalier doit être inférieur à 25€ repas compris.

[5CADA : centre accueillant les demandeuses et demandeurs pendant la procédure de demande d’asile

[6Il y a trois CAO en Indre-et-Loire : Saint-Pierre-des-Corps, Tours et dernièrement Chinon (sur le site de la Caisse Mutuelle Complémentaire d’Activités Sociales d’EDF).

[7Une des principales stratégie de « gouvernance » des néolibéraux est l’expérimentation, dispositif souple et limité territorialement parlant afin de limiter et contenir les réactions voire les oppositions. En cas de « réussite » l’expérimentation se transforme en loi(s).

[8Mais ce n’est évidemment pas la première (ni la dernière) : à ce sujet, lire Accueil des migrant-es : la préfecture lance un appel d’offre a minima