Maison de la Grève : "la cantine a de plus en plus de gueule"

Après tout Rennes est un peu notre voisine. L’occase de vous donner à lire un extrait d’entretien avec certains tenanciers d’un lieu de ladite métropole, La Maison de la Grève. C’est paru sur lundimatin, un site décidé à dénicher ce qui détonne dans la morosité ambiante...

Après avoir occupé illégalement un lieu à partir du mouvement des retraites de novembre 2010, la Maison de la Grève a fini par élire domicile dans un autre lieu, légalement cette fois-ci. Non que le principe d’occupation eu été renié par les personnes qui l’animaient mais parce qu’il y avait là l’envie de construire quelque chose à plus long terme, d’imbriqué dans le quotidien, en prise avec des situations politiques autres que des mouvements sociaux. Extrait de l’entretien donné à lundimatin :

La Maison de la Grève est un lieu public, qu’est ce qui fait que les gens franchissent la porte ?

Ce qui prend le plus de temps, le plus d’espace et qui ramène le plus de monde ici, ce sont les cantines. Trois midi par semaine, on prépare à manger pour 50 à 70 personnes. Quand on dit « cantine », s’il-vous-plaît, n’imaginez pas la vieille soupe et le croûton avec des gueux qui font la queue. Certains d’entre nous prennent la cantine plus à cœur que d’autres, et ça a de plus en plus de gueule. Il ne s’agit pas seulement de nourrir des besoins mais aussi d’inventer notre propre luxe.

Mais, le mieux dans cette histoire de cantine, ça n’est pas la bouffe, c’est le fait même de se retrouver là. On peut difficilement définir qui vient ici et comment ils sont arrivés là, à manger toutes les semaines. On a beau y venir tout le temps, on ne connaît pas tout le monde. A chaque fois, c’est un attrait particulier pour le lieu et son histoire qui te fera venir y manger. L’ambiance, le prix, la bouffe, la chaleur, les amis, c’est surtout que dans une certaine mesure, tu pourras bouffer tranquille sans avoir à tenir aucun rôle. On ne te demande pas d’être quelqu’un, et on espère que personne ici ne connaîtra le malaise des repas de famille. Ainsi, il est possible de répondre n’importe quoi à la question « que fais-tu dans la vie » ?

Les cantines, c’est une porte d’entrée, une manière de se trouver. Il est encore possible d’être aveugle ou insensible mais, quand on passe la porte de la Maison de la Grève, on sent qu’il y a quelque chose de différent, les langues s’y délient, les fous y trouvent un foyer, les inadaptés du commun, les déprimés de la joie, les bricoleurs des jouets, les musiciens des oreilles, les indigents des combines….tout ça dans un joyeux bordel où les disputes sont fréquentes. Plus tu viens à la maison de la Grève, plus tu prends goût à d’autres réalités.

Vous êtes nombreux à occuper ce lieu, on se demande à quoi ressemble votre quotidien. Par exemple, pour l’argent, comment faites vous ?

Pour la question du quotidien, c’est un peu compliqué d’obtenir une description même parcellaire. Principalement ici, on mange et on parle, mais d’un jour à l’autre le lieu peut changer d’atmosphère en fonction des lubies du moment. Un jour, tu peux tomber sur une bande de guignols qui joue aux cartes et se bourrent la gueule avec un certain art de l’élégance. Le lendemain, tu vas tomber sur une trentaine de personnes qui écoutent une conférence sur l’islam avec un certain art de la concentration. En d’autres termes, il y a plusieurs réalités, plusieurs quotidiens qui se déploient dans un même espace.

Par définition, on ne travaille pas dans cette maison parce qu’on y est en grève. La plupart du temps, on pourrait dire qu’on se débrouille mais en fait on est plutôt organisés ce qui fait que même si on voulait bosser on n’aurait pas le temps. Et on se rend vite compte que ça n’a rien à voir avec bosser pour un salaire, parce que là il s’agit d’oeuvrer directement à créer notre quotidien. On essaie d’être autonome sur ce qu’on peut, veut et ce qui n’est pas trop absurde.

On tient surtout à ce que la comptabilité ne domine pas le lieu et ce qui s’y fait. Des problèmes de fric, on en a tout le temps, mais on se les pose différemment, on invente des manières de faire de la thune ensemble ou de s’en passer tout simplement. Sur les activités, on dégage très peu de thune. Les seules fois où payer a de l’importance, c’est quand on fait ça pour acheter des trucs précis comme du matériel pour la cuisine. Il s’agit aussi souvent de besoins pour des frais d’avocats démentiels pour des histoires vraiment à la con. On fait des repas spéciaux où il faut que les gens paient, mais pour ça on leur sort le grand jeu culinaire, et franchement, c’est pas cher payé. Ici, aucune des activités ne servira à de l’enrichissement personnel. L’argent est collectif avant tout et sert à payer loyers, factures, etc. Ici, « mon argent » ne veut pas dire grand chose. Si tu n’a pas d’argent, c’est untel qui paie, le lendemain ce sera untel et on fait en sorte que personne ne galère.

Après, c’est comme tout ce qui se passe ici, il n’y a pas de règles, nous n’avons pas de charte, on n’a pas un rapport moral à l’argent. Ce n’est pas qu’il n’y a pas de problème avec l’argent, au contraire même : c’est parce qu’on sait qu’on y sera toujours confronté qu’on cherche toutes les façons de lui donner le moins de place. C’est un peu compliqué d’expliquer comment tout ça est possible, c’est avant tout parce que nous vivons une forme de communisme dont l’amitié est la base la plus solide.

Lire l’ensemble de l’entretien sur lundi.am

P.-S.

La cantine de la maison de la grève a besoin de s’équiper (notamment d’un lave-vaisselle) ! Si vous avez le sou...
http://fr.ulule.com/maison-delagreve/