Loi Travail : la casse organisée du bac professionnel

Annoncée par le gouvernement comme une des « mesures phares » de la loi travail, le CPA (Compte Personnel d’Activité) concerne les salarié-es et les chômeur-ses du privé et du public. La mise en œuvre du CPA a des conséquences directes sur l’évolution des diplômes de l’Éducation nationale et leurs conditions de délivrance, ainsi qu’un impact sur l’enseignement professionnel dont elle accélère la détérioration. Au passage, il s’agit ni plus ni moins que de faire disparaître tout examen et de morceler tous les diplômes pour mieux soumettre les élèves-ouvriers/salariés au dogme de « l’employabilité ».

Le CPA (Compte Personnel d’Activité) est une des conséquences de l’ANI (Accord National Interprofessionnel) signé le 7 janvier 2009 par cinq confédérations syndicales (CFTC, CFDT, CGC, CGT, FO) dont plusieurs dispositions portent sur « la formation professionnelle tout au long de la vie et la sécurisation des parcours professionnels ».

Ces dispositions ont été institutionnalisées par la loi OFPTLV (Orientation et Formation Professionnelle Tout au Long de La Vie) adoptée le 24 novembre 2009, qui définit le cadre des politiques publiques à mettre en place en matière d’orientation, d’insertion et de formation professionnelle et qui s’étendent de la formation initiale à la formation continue, en passant par l’apprentissage.

Le CPA revoit donc en profondeur non seulement les cadres de la formation continue mais aussi ceux des parcours scolaires traditionnels. En cela le CPA, et la loi Travail qui l’impose, impactent durablement l’École, son organisation, ses fonctions dans la société et aussi la pédagogie.

Concrètement le CPA, c’est quoi ?

Il s’agit d’un compte individuel attaché à tout salarié, de sa première embauche jusqu’à sa retraite. Il est matérialisé sous forme d’une carte qui comprend trois comptes :

  • un compte pénibilité,
  • un compte formation permettant de cumuler les « droits » à la formation [1],
  • un compte citoyenneté qui intègre certaines activités bénévoles comme le service civil, la réserve citoyenne, les fonctions associatives jugées importantes.

Les compétences, clés de voûte du système.

Introduites au long des différentes réformes récentes du système éducatif (réformes du lycée, du collège, du primaire, via le fameux « LPC », le livret personnel de compétences), les compétences sont l’alpha et l’oméga des nouvelles pratiques éducatives. Initiées par des pratiques pédagogiques pourtant innovantes au tournant des années 80 et 90, récupérées par l’OCDE, les néolibéraux, puis par l’Union Européenne qui ont bien vu l’enjeu de leur généralisation, les compétences ont gagné toutes les pratiques d”évaluation de l’Éducation nationale et constituent aujourd’hui les préambules des programmes dans toutes les matières [2]. Pour les décideurs-financeurs, il s’agit d’un formidable outil pour calculer le retour sur investissement, tout en laissant croire aux piètres pédagogues qu’ils font un boulot efficace.

Le CPA fait encore un peu évoluer les choses, et révèle la finalité d’une réorganisation scolaire et pédagogique qui pouvait encore apparaître efficiente à certains (bien crédules ou peu à l’écoute des discours de l’OCDE). Il introduit le « bloc de compétences » comme un « crédit de formation » qui peut se comptabiliser dans le compte personnel d’activité. Ce bloc est équivalent à une unité de certification dans un diplôme qui peut en compter plusieurs. Il est acquis lorsque le ou la candidat-e a la moyenne des points requise (10 sur 20).

Ainsi, les diplômes vont être constitués de blocs de compétences dans leur ensemble. Le changement touche tout d’abord les diplômes professionnels où une unité d’enseignement correspond à un bloc de compétences. Les blocs de compétences qui composent le diplôme peuvent être acquis indépendamment du diplôme. Bac pro ou CAP pourront s’obtenir uniquement sur la base de l’acquisition de blocs de compétences qui pourront se cumuler sur plusieurs années [3].

Officiellement, ce découpage des diplômes en blocs de compétences doit permettre un accès plus fluide au diplôme pour les adultes en formation continue. Mais les véritables enjeux sont différents puisque de l’aveu même du ministère, les blocs de compétences vont être généralisés à la formation initiale.
Le but n’est donc pas de faciliter l’acquisition de diplômes mais de les morceler pour répondre à la demande du patronat et leur substituer un système de certification par compétences uniquement lié aux critères d’employabilité.

Quelles implications ? Rendre le salarié responsable de son employabilité, détruire les examens finaux et tracer les travailleurs-ses

Selon la propagande officielle, le CPA doit sécuriser les parcours professionnels. On voit mal comment. Il organise juste une individualisation des droits à la formation en rendant le ou la salarié-e responsable de son « employabilité » (ou de sa non-employabilité, plutôt) et donc de ses périodes de chômage pour le ou la rendre plus flexible en s’adaptant aux besoins du patronat.
Plus encore, avec le morcellement des diplômes en blocs de compétences, le CPA individualise les carrières et les rémunérations indépendamment de toutes les conventions collectives. Adieu les niveaux de rémunération en fonction des diplômes.

Et au passage, il organise le fichage des salarié-es et des chômeur-ses, puisque les employeurs-ses auront le privilège d’avoir accès aux différents comptes du CPA. C’est ni plus ni moins qu’un nouveau livret ouvrier, auquel il est prévu d’ajouter d’autres comptes (assurance retraite, maladie…), qui contiendra aussi le passeport d’orientation, de formation et de compétences.

Cerise sur le gâteau, il assurera en son sein une parfaite intégration du nouveau livret scolaire numérique (présenté comme une panacée dans la novlangue du management éducatif), qui contient le socle commun de connaissances et de compétences et autres parcours, auquel est particulièrement attaché le MEDEF. Il s’agit d"un véritable outil de traçabilité des futur-es travailleur-ses. Ainsi, de la maternelle à la retraite, les employeurs-ses disposeront d’informations sur la construction personnelle et professionnelle des salarié-es.

Mais surtout, le CPA a pour conséquence d’abolir toutes distinctions entre formation initiale, continue et apprentissage, et assigne le système éducatif à l’employabilité, à l’adaptabilité et à la flexibilité au service du patronat.

Le 25 mars dernier a été présenté au Conseil supérieur de l’Éducation un projet de décret relatif à la délivrance de blocs de compétences composant le diplôme du baccalauréat professionnel aux candidats de la formation professionnelle continue. Une première pierre dans la déconstruction — en profondeur — des diplômes, et plus généralement de toute idée d’une École émancipatrice. Au profit bien sûr d’une autre, beaucoup plus fonctionnelle.

Et ce n’est qu’un début... Prometteur, n’en doutons pas !

P.-S.

Note établie à partir de la documentation syndicale produite notamment par SUD éducation.

Notes

[1Le compte formation peut être alimenté de 40 heures de formation par an mais avec un plafond (maximum) de 400 heures. Cependant, toutes les formations ne sont pas éligibles au CPA. Les seules qui le sont sont les formations validées par la commission nationale de certification professionnelle. Ce dispositif concerne aussi les jeunes décrocheurs de moins de 26 ans et est censé leur permettre un retour en formation.

[2On consultera avec le plus grand intérêt la synthèse sur ce point faite par la commission DLA-37, soit sur le site de la commission, soit dans la version imprimable : Tous évalués, tous compétents !

[3C’est pourquoi la durée des formations obligatoires a été supprimée pour l’obtention d’un bac pro ou d’un CAP