LGV Tours-Bordeaux : le marketing sur de bons rails

Engagés en 2012 et devant s’achever en 2017, les travaux de la ligne LGV Tours-Bordeaux vont bon train. Cette nouvelle infrastructure a pour ambition de réduire le temps de transport entre Paris et Bordeaux, qui passerait de 3h00 à 2h05. En attendant, les promoteurs du projet mettent le paquet sur l’argumentaire chargé de convaincre les réfractaires (rétrogrades ?).

La LGV SEA (ligne grande vitesse Sud Europe Atlantique, Tours-Bordeaux) viendra en 2017 prolonger la LGV Atlantique (Paris-Tours). A long terme, le projet est de relier Paris et Madrid. Les travaux devant aboutir à la réalisation de 340 km de voies entre Saint-Avertin et Ambarès-et-Lagrave (au Nord de Bordeaux) ont débuté en 2012 et remodèlent déjà considérablement les paysages traversés. Pour s’en rendre compte, RFF (Réseau Ferré de France) propose, sur quatre sites (dont Sorigny), de visiter le chantier en « groupe constitué » ou « en famille ou entre amis  ». On imagine d’ici la mine réjouie du guide expliquant, vive la pédagogie !, les bienfaits du PPP (Partenariat Public Privé [1]) et la maîtrise des technologies bétonneuses de Vinci [2].…

Car, c’est une première pour une ligne LGV, la ligne sera construite dans le cadre d’un PPP, montage économique qui a fait ses preuves ailleurs en matière d’enrichissement des mastodontes français du BTP. C’est Vinci qui a remporté l’appel d’offres (en association avec la Caisse des Dépôts, Sojas et AXA) portant sur la construction et l’exploitation de la ligne pendant 44 ans (comprenant la perception intégrale des péages). Sans doute un peu pudique, Vinci préfère cependant mener ce projet, dont le budget s’élève à 7,8 milliards d’euros, sous le nom de LISEA (consortium dont Vinci est actionnaire à 33,4 %). Il faut dire que certains, sans doute des râleurs victimes du syndrome NIMBY [3], n’hésitent pas à dénoncer un contrat qui serait une « arnaque  » [4] (ce serait bien une première pour un PPP !) et qu’il ne faudrait pas ternir l’image d’une entreprise entre autres impliquée dans le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Mobilisation en faveur d’un PPP de Vinci à Notre-Dame-des-Landes

Evidemment, le site dédié à la LGV n’oublie pas de consacrer une page aux « avantages de la concession » (le terme PPP n’est pas mentionné). On y apprend que, sans le concours salutaire du concessionnaire, il n’aurait pas été possible de réaliser les travaux en un seul tenant. En effet, il aurait fallu réaliser un Bordeaux-Angoulême avant un Angoulême-Tours… soit autant de retards pris pour la compétitivité des territoires ! On y apprend surtout que le concessionnaire « assure, à ses risques et périls, la conception, la construction, l’entretien, le renouvellement, l’exploitation et le financement du projet LGV SEA  », et l’on ne peut s’empêcher de penser au stress que cela doit être… Et on imagine que, comme pour les concessions d’autoroute, il assumera aussi le risque d’explosion des coûts pour les usagers.

Le site du projet annonce fièrement que « la nouvelle ligne améliorera l’attractivité économique des territoires desservis grâce à une réduction considérable des temps de parcours ». Pour les autres territoires, c’est moins sûr… Cette nouvelle ligne viendra ainsi renforcer le poids des métropoles parisienne et bordelaise — et accessoirement des villes de Tours, Poitiers et Angoulême — aux détriments de tous les territoires qui ,parce qu’ils sont trop ruraux, donc pas « attractifs », ne se voient offrir que l’honneur de regarder passer les trains… Évidemment, et même si RFF (Réseau Ferré de France) prétend le contraire sur son site, on peut s’attendre à ce que le maillage en « trains lents », le réseau de TER, décline rapidement lors de la mise en fonction de la nouvelle ligne, isolant un peu plus les habitants des territoires oubliés ou les contraignant à multiplier les déplacement en voiture. Ils pourront toujours se consoler en répondant à l’appel à projets lancé par LISEA leur offrant de participer financièrement, via sa fondation LISEA CARBONE [5], à la rénovation énergétique d’un patrimoine bâti qu’il serait dommage de voir disparaître tant il se mariera harmonieusement avec les nouvelles infrastructures. Et s’ils regrettent la modification de leurs paysages ou qu’ils craignent que les travaux fassent fuir leurs grenouilles ou renards, pas de problème, LISEA a pensé à tout en faisant réaliser des posters « biodiversité » à télécharger ou commander sur son site internet [6].

Biodiversité : installation de nichoirs sur la LGV
CC-BY-SA JLPC

Pour finir de nous convaincre des progrès pour l’environnement qu’apporte le projet, RFF sort les arguments massues. Premièrement, le train est économe en espace puisqu’une autoroute fait 28 mètres de large quand une LGV se contente de 15 mètres. Comme chacun sait, l’impact sur l’environnement d’une LGV se limite à la largeur occupée par les rails et le ballast, et l’autoroute fait référence en matière d’écologie (quelle ambition dans la comparaison !). Deuxièmement, parce qu’il libèrera des créneaux sur la ligne existante, le projet de LGV permettra à davantage de trains de marchandises de circuler, retirant par un effet de report ces marchandises de la route. On aimerait croire qu’il suffit d’ouvrir une LGV pour freiner le trafic de camions et faire exploser le fret (on se prend même à rêver de ferroutage…) mais l’histoire du développement ferroviaire français des 30 dernières années et ses conséquences en terme de circulation de poids lourds nous invite à la prudence. D’autant que, si RFF annonce des travaux sur la ligne existante pour augmenter sa capacité en terme de fret, Vinci n’a semble-t-il pas trouvé le filon aussi rentable qu’on l’annonce et laisse seuls l’Etat et la Région assurer le coût les travaux…

Notes

[1Le PPP est un mode de financement par lequel une collectivité fait appel à une entreprise privée pour financer et gérer un équipement de service public. En l’occurrence, LISEA investit, selon les sources, entre 29,6 et 50% du budget initial et obtient la gestion de la ligne — et la perception des recettes associées — durant 44 ans. Ce mode de financement est de plus en plus utilisé (ex : Viaduc de Millau, aéroport de Notre-Dame-des-Landes, prisons Bouygues, etc.). Il pose à la fois la question de la gestion de services publics par des entreprises privées et l’abandon par les collectivités territoriales et l’Etat d’un certain nombre de sources de revenus pour ne conserver que des services pas assez rentables pour qu’il soit possible de les offrir au privé.

[2Sur le sujet des pratiques du groupe Vinci en matière d’emploi, sa proximité avec le pouvoir et son affichage écolo, on peut conseiller la lecture d’un bouquin tout juste paru : Les prédateurs du béton, Nicolas de la Casinière, 2013, Editions Libertalia, 160 p

[3NIMBY est l’acronyme de l’expression « Not In My BackYard », que l’on peut traduire par « pas dans mon arrière-cour ». Le terme est utilisé pour désigner ceux qui s’opposeraient à des projets d’intérêt général (d’un incinérateur à un stade de football) parce qu’ils ne supporteraient pas que celui-ci soit situé à proximité de leur domicile sans pour autant s’opposer au fond du projet. Le terme est surtout employé par les collectivités territoriales ou les entreprises pour discréditer leurs opposants qui contesteraient les projets non en raison de leur contenu mais parce qu’ils feraient passer leur confort personnel avant l’intérêt général.

[4La critique porte essentiellement sur la réduction de la part du concessionnaire dans l’investissement initial, qui serait passée de 50 à 29,6 % sans que les conditions du contrat ne changent : http://www.lagazettedescommunes.com/47646/les-anti-lgv-denoncent-une-arnaque-financiere-pour-tours-bordeaux/

[5La fondation LISEA CARBONE se double d’une fondation LISEA BIODIVERSITE, parce qu’en matière de verdissement de l’image on ne va jamais assez loin.