Lettre ouverte à Mme Fleur Pellerin

Mediapart vient de se prendre un coup de matraque fiscal, comme Arrêt sur images. Le délit fallacieux de manquement à l’acquittement de la TVA est un peu gros. Pendant ce temps, les médias des grands groupes, abreuvés de pub, sont gavés par l’argent de l’État.

Est-il vrai que la liberté de la presse consiste uniquement dans la suppression de la censure et de toutes les entraves qui peuvent arrêter l’essor de la liberté ? Je ne le pense pas et vous ne le pensez pas non plus. La liberté de la presse n’existe pas dès que l’auteur d’un écrit peut être exposé à des poursuites arbitraires ; et ici il faut saisir une différence bien essentielle entre les actes criminels et ce qu’on a appelé les délits de la presse.

Sur la liberté de la presse, 22 août 1791 à l’Assemblée constituante [Robespierre]

Lettre ouverte à
Mme Fleur Pellerin
Ministre de la Culture et de la Communication
Madame la Ministre

Mediapart vient de se voir notifier un redressement fiscal de 4,1 millions d’euros pour la période de 2008 à 2014. C’est une ponction rétroactive au titre d’une TVA de 19,6 %, puis 20 %, alors qu’elle est de 2,1 % pour toute la presse, quel que soit son support.
Je suis abonné à ce journal, comme à d’autres médias libres et indépendants des groupes financiers. Cette sanction fiscale injustifiée est une attaque en règle contre la presse démocratique ne vivant que de sa plume, sans revenus publicitaires, ni aide de l’État.
Ce geste est un choix politique délibéré concernant l’information.

Vous déclariez au Figaro le 6 octobre :

« (…) Sur le plan économique la France a besoin de groupes multimédias solides et dynamiques capables d’affronter la compétition internationale. Mais je veux aussi qu’il y ait des garanties sur le pluralisme, et la liberté d’expression, ainsi que sur la bonne santé sociale du secteur. »

Vous pouvez être rassurée, concernant la liberté d’expression, le groupe financier Bolloré applique son éthique personnelle, virant ainsi qui ne lui plaît pas. Sur le climat social, Patrick Drahi, nouveau venu dans la mangeoire, a fait un plan social de plus à Libération — ce fleuron créé par Sartre va finir en bistrot mondain. Ces groupes multimédias dont vous soulignez le besoin appartiennent aux plus grandes fortunes de France, comme Dassault ou LVMH. Tout comme vous le souhaitez, Madame la Ministre, ils ne cessent d’avoir la liberté d’expression et le pluralisme comme objectifs.
Personne n’en doute.

Ces groupes financiers ont en commun de toucher des aides de l’État, entre 4 et 16 millions d’euros par an et d’être, eux, redevable d’une TVA à 2,1 %.
Ils bénéficient aussi d’une câlinothérapie dédiée. Ainsi, le 19 novembre, François Hollande décernera la légion d’honneur à Ramzi Khiroun, conseiller de Lagardère, généreux marchand d’armes et de revues. Monsieur Jean Pierre Elkabach sera lui élevé au titre de commandeur. Juste récompense pour avoir ciré les pompes de tous les gouvernements depuis un demi siècle. Ces agapes se dérouleront dans la salle des fêtes de l’Élysée où les groupes multimédias que vous louez seront invités, ainsi que les politiciens de plusieurs gouvernements, de droite ou de gauche .

Cela fait bientôt un an que François Hollande, la main sur le cœur, un certain 15 janvier, annonçait qu’il fallait se mobiliser pour la liberté de la presse, en défilant avec les censeurs de la planète, dont certains embastillent, fouettent ou assassinent les journalistes.
Ce n’était donc qu’une blague de plus de l’hilarant locataire de l’Élysée.

Le code de déontologie de ce gouvernement est d’une plus simple lecture : à l’intérieur, la bonne presse, dotée d’aides financières, de hochets républicains et de petits fours ; dehors, la mauvaise presse à qui on envoie l’huissier.

L’économiste Alfred Sauvy dit un jour avec humour : « La liberté de la presse est entière, il suffit d’avoir les milliards nécessaires ».
La justesse de la citation est restée, l’humour est parti.

Recevez, Madame la Ministre, mes salutations

Michel ANCE
Ouvrier du Livre
http://piquetdegreve.blogspot.fr