Léonard, jeune communiste en lutte contre la loi Travail

Rencontre entre Michel, auteur, et Léonard, militant aux Jeunes communistes, le mardi 9 août 2016 à la guinguette de Tours, sur les bords de Loire, à deux pas de l’université des Tanneurs.

Michel : Je te remercie d’avoir accepté de me rencontrer, comme j’ai suivi quelques manifestations cette année, j’ai été surpris de te voir d’une façon, disons… emblématique, à la fois derrière la voiture syndicale le micro à la main, défilant avec un drapeau ou, comme c’est arrivé au carrefour Mirabeau lors de la manif du 26 mai 2016, en première ligne face aux forces de l’ordre…
Avant de te poser des questions, c’est normal il me semble que je me présente, moi, je suis issu d’une famille ouvrière du côté de mon père et bourgeoise du côté de ma mère, du coup j’ai évolué, si tu veux, entre deux classes sociales, et j’ai, disons, des motifs de comparaison en quelque sorte, surtout depuis que je suis allé travailler à Londres où j’ai pu voir certains aspects du libéralisme, mais c’est en tant qu’auteur aujourd’hui je m’intéresse à la lutte sociale, notamment à travers une fiction pour le journal en ligne La Rotative et dans laquelle des personnages en lutte s’expriment.
En même temps je dois souligner la différence générationnelle entre nous, entre les gens comme moi qui sont nés à la fin des années 50 et qui ont vécu parfois d’une façon peu militante, voire inconsciente, ça m’intéresse aussi de savoir comment un jeune homme de vingt-deux ans étudiant en troisième année de philosophie en vient à prendre aujourd’hui de telles positions, aussi bien intellectuellement que physiquement.
Donc j’aimerai aborder ton personnage, le vrai, ce qu’il incarne, ce qui le motive, peut-être aussi son parcours, comment on en arrive là, comment on prend cette position, quelles sont les anecdotes importantes, l’utopie de toutes façons, la réalité d’aujourd’hui, le combat social, la lutte contre la loi El Khomry, le rapport entre la philosophie et le travail, le salariat, et le gouvernement, etc., un peu tout ça si tu veux, pour un étudiant c’est tout de même une forme évoluée de conscience…

Léonard : Du coup, par où commencer ? Je viens d’une famille qui a un passé historique, je suis d’origine uruguayenne et mon père a vécu des années de dictature en Uruguay dans les années 70, il a été militant révolutionnaire là-bas, et il a été emprisonné parce qu’il a été très actif dans les tupamaros [1], qui était un mouvement révolutionnaire. J’ai aussi mon oncle qui est décédé suite à ça. Mais mes parents ne m’ont jamais influencé, ils m’ont toujours laissé une certaine liberté de conscience, ils m’ont toujours dit : « Essaye de te forger ton propre esprit critique, lis beaucoup et essaye de t’informer en permanence ».

Comme j’voyais pas l’intérêt de vivre si je pouvais pas servir les autres et les défendre, vers l’âge de treize ou quatorze ans j’ai commencé à lire des textes engagés. En fait j’ai eu très tôt le besoin de donner de ma personne, j’avais l’impression que j’servais à rien dans la société, j’avais besoin de changer les choses, j’voyais qu’il y avait des gens qui n’étaient pas dans la même situation que moi, on va dire ça va, mais je voyais bien qu’il y avait des gens dans la pauvreté, et je me suis demandé pourquoi moi j’ai le droit d’être comme ça et les autres non, et je me suis dit à partir de ce moment-là que j’allais toujours me battre pour les autres. A seize ans je me suis engagé politiquement dans les Jeunes communistes où j’avais deux options, soit je continue à militer avec les vieux, c’était pas super attrayant, soit vas-y, autant relancer, essayer de rassembler, et du coup comme y’avait rien à Tours à l’époque, dans mon lycée j’ai réussi à motiver des potes qui avaient les mêmes idées que moi, et j’ai commencé à leur dire « est-ce que ça t’intéresse pas de militer ? », et au final au fur et à mesure ça fait cinq ans qu’on a remonté ça, et enfin ça s’est bien développé, quand tu vois qu’on est plus d’une centaine de jeunes maintenant dans l’orga prêts à se mobiliser.

Michel : Il y a une différence fondamentale entre le communisme des vieux et celui des jeunes ?

Léonard : Oui, tu sens que… déjà nous on a pas connu toute cette période de l’URSS, donc on est un peu arrivé dans un trou générationnel, ça veut dire que tu as les très âgés au parti mais il manque les trente, quarante-cinq ans, et du coup il y avait quelque chose à saisir, c’était l’occasion de renouveler aussi l’image du communisme et montrer que le communisme c’est pas l’URSS, c’est pas la défaite des pays socialistes. En fait le communisme c’est ce que nous on en fait, c’est… c’est déjà une révolte contre le système actuel, c’est voir que le système capitaliste produit toujours plus d’inégalités, de pauvreté, et ça révolte énormément de gens, et comment t’arrives à réunir justement des gens autour d’une idée forte, autour d’un idéal pour abattre ce système et arriver à un autre système beaucoup plus solidaire mais qu’on construirait ensemble, quelque chose qu’on ne s’imposerait pas.

J’pense que c’est pour ça aussi que ça a réussi à se développer et à se monter, en fait on n’est pas arrivé là en se disant « Oui on vous impose ça, faut penser comme ça ! », au contraire chacun a son mot à dire, chacun a le droit de s’exprimer et de donner sa vision de la société, on a tous un but commun, enfin à peu près, et maintenant c’est comment on se rassemble pour arriver à ce but commun, à cet idéal, et voilà, c’est comme ça que le mouvement s’est progressivement formé, et j’pense que justement il y a eu une apogée pendant la loi travail, où ça a été l’occasion de mettre en pratique et de passer à l’action, mais à ce moment-là est-ce que les vieux…

Michel : Ah, j’aime bien, « les vieux »… ils ont fourni quelque chose, leurs camions, leurs drapeaux ? Ils ont aidé je suppose.

Léonard : Oui bien sûr, au début ils sont toujours perplexes, tout ça, sauf qu’ils ont vu… nous, les Jeunes communistes, on est parti très vite, on en avait marre, on voyait que les orgas traditionnelles prenaient leur temps, et on s’est dit mais nous on a pas le temps et nous, enfin, en tant que jeunes, on supportait pas de pas être dans l’action directement, donc on leur a pas laissé le choix aux vieux, on leur a dit tout de suite nous on part et on a commencé à imprimer des tracts, à faire tous les lycées, à essayer de rassembler un maximum de monde, et là forcément ils nous ont suivi et ils nous ont dit « Ok, on vous donne les mains libres pour pouvoir faire ce que vous souhaitez », et sans nous dire ce qu’on avait à faire. Eux en fait ils étaient un peu là dans l’expectative, ils savaient pas où ça pouvait mener, ils avaient un peu peur, j’crois qu’ils étaient dans le truc « nous on a déjà connu des luttes par le passé, on attend de voir ce que vous pouvez faire aujourd’hui », et en fait nous, ça nous a laissé un espace de liberté pour lutter comme on le souhaitait, et c’est ça que j’ai trouvé assez génial.

Michel : Surtout que vous agissez dans une ville assez plan-plan en général, hein, c’est une ville où entre Royer où il y avait pas tellement de contestation, ou assez minime, je me souviens très bien à l’époque d’un meeting aux Halles avec Jean Royer, un communiste avait voulu parler et Jean Royer lui avait très sèchement coupé la parole en dénigrant son parti, ensuite il y a eu Jean Germain qui a eu, comment on pourrait dire, bon il n’a pas été très révolutionnaire dans son genre.

Léonard : En 2014, quand le PC (Parti communiste) a décidé de s’allier à Germain aux municipales, nous les jeunes on a pris position en disant « non », on n’acceptait pas cette décision-là, notre but en tant que communistes n’est pas dans un groupe électoraliste, enfin j’pense que c’était là la fracture entre les jeunes et les vieux.

Michel : Oui, mais le système français est électoraliste, il y a une personne qui s’installe parce qu’elle est élue, et à partir de là on voit bien ce qui se passe aujourd’hui et les dérives de la personnalité, comment on peut faire pour changer ça ?

Léo : J’pense que c’est continuer à faire notre travail de terrain, je te parle là en tant que jeune communiste parce qu’on a tous des visions un peu différentes, c’est… j’sais pas comment te dire, oui j’ai l’impression qu’aujourd’hui c’est la bourgeoisie en permanence qui rythme notre vie, qui rythme le calendrier politique, c’est elle qui fixe ses dates, les élections, qui fixe les primaires, tout ça, en fait moi ce qui m’importe c’est le communisme et comment on peut construire une société solidaire plus égalitaire, et donc c’est pour ça que les Jeunes communistes on reste assez loin des élections.

Michel : Je pensais à cette manifestation qui n’était pas autorisée et pendant laquelle le cortège est passé devant la préfecture et qui a mal tournée à hauteur du pont Mirabeau, est-ce que malgré les risques l’affrontement est une voie obligatoire ou imposée, ou est-ce qu’il arrive parce qu’il devient nécessaire ?

Léonard : En fait ça dépend ce qu’on appelle l’affrontement. L’affrontement violent moi je pense réellement qu’il ne faut pas en passer par là, je suis profondément contre la violence, par contre il y a tous les jours des rapports de force qui existent dans notre société, depuis la nuit des temps, t’as des rapports de force entre des gens qui tiennent le pouvoir et qui t’imposent toujours leur rythme de vie et il y a le peuple, et aujourd’hui c’est justement à nous d’inverser ce rapport de force, c’est à nous, le peuple, de dicter nos choix, et de montrer que ces personnes qui rythment nos vies sont complètement déconnectées des réalités que nous vivons.

Tu vois, je travaille énormément sur la bataille idéologique et celle de l’hégémonie culturelle, je suis un grand lecteur de Gramsci [2], comment on renverse les codes existant pour créer de nouveaux codes sociaux, comment on crée une contre-culture pour renverser l’hégémonie bourgeoise. Ce qui m’intéresse aussi, c’est tout ce qui a trait au rapport entre le pouvoir et le langage, comment justement on peut redéfinir une nouvelle forme de langage qui ne t’imposerait pas une manière de vivre comme c’est le cas aujourd’hui.

Michel : Mais ça me fait penser que, à la base de notre système il y a une notion qui est aussi très vieille, je dirais pas comme Hérode mais encore plus vieille, comme Hammourabi, c’est le code de la propriété en fait, tout est basé sur la propriété…

Léonard : …dans nos sociétés occidentales, par exemple tu prends Pierre Clastres et son texte sur la société contre l’État, après on peut remettre en cause mais lui il va dans une société amérindienne et il fait une étude anthropologique, et il voit, il regarde ce qui se passe et justement il montre qu’en fait il n’y a pas besoin d’État, il y a un pouvoir politique intrinsèque à toute société mais c’est pas forcément le pouvoir hiérarchique, et il démontre qu’il existe un équilibre permanent dans ces sociétés qui empêche toute hiérarchie et qui permet justement l’égalité.

Michel : Si je me souviens bien, il fait aussi la critique des ethnologues précédents qui viennent avec leurs systèmes, leurs schémas politiques…

Léonard : …et leurs codes occidentaux, oui, c’est ça qu’il remet en cause en disant « on n’a pas à imposer notre vision, nous, anthropologues », et donc on doit étudier toutes formes de société pour les confronter avec la vision occidentale et colonialiste et comment tu renverses les processus hiérarchiques.

Michel : Oui parce que… on nous met en face d’un système très productif, consommateur, et le langage va tout à fait dans ce sens-là, donc on perd un peu notre responsabilité, et sans doute on pourrait imaginer qu’on redevienne conscient, qu’on fasse un peu plus attention aux choses, à notre façon de se nourrir, à notre façon de faire de l’agriculture, dans le sens où on est tellement à avoir besoin de nous nourrir, on voit à quel point il y a une sorte de gâchis énorme de la nourriture, et je me demande si certaines formes de révolutions ne passent pas par l’agriculture.

Léonard : C’est parce qu’en fait j’pense qu’on en revient toujours au même point, c’est ce que pointe aussi la loi travail à travers le régime salarié, est-ce qu’aujourd’hui le salariat est vraiment nécessaire à nos sociétés, moi je pense que non, j’crois notamment à l’autogestion, parce que je crois en l’homme avant tout, penser qu’on a toujours besoin d’un chef, toujours besoin de quelqu’un pour nous dire comment faire, tout ça, en fait moi j’y crois pas du tout. J’pense qu’il y a d’autres formes aussi de sociétés, ou même d’organisations agricoles, qui nous montrent que l’autogestion c’est possible et j’pense qu’avant tout c’est comment tu replaces l’homme au centre de tout, en fait notre projet est très humaniste, c’est comment tu redonnes confiance en l’homme et comment tu montres en fait que chaque homme est en capacité, à son niveau, et que s’il s’organise il peut changer les choses.

Michel : Entre l’organisation de quelques personnes, conscientes, humanistes et, on va dire, pas forcément utopistes, parce que c’est une utopie dans le sens où ça ne se produit pas effectivement partout, et le pouvoir… on voit bien aujourd’hui qu’en face le gouvernement n’est pas d’accord.

Léonard : Bien sûr qu’ils ne laisseront jamais faire, et encore une fois on en revient au rapport de force politique qui existe et qui est intrinsèque à nos sociétés occidentales.

Michel : Alors qu’ils ne sont pas idiots, je pense qu’ils doivent avoir conscience…

Léonard : Ah non, ils sont loin d’être idiots.

Michel  : …parce que ce sont des formes sociétales qui devraient pouvoir marcher.

Léonard : Mais malheureusement c’est que EUX ils ont beaucoup plus conscience de leur pouvoir que nous, et j’pense qu’avant tout notre but, en tant que révolutionnaires, c’est de montrer en quoi la majorité, les 99% de la population en fait, a le pouvoir de changer les choses si elle prend conscience de son vrai pouvoir, et c’est à nous aussi, plutôt que de dire aux gens ce qu’ils ont à faire, de leur redonner confiance en eux-mêmes, et de redonner confiance en l’autre aussi. C’est en se rassemblant, en s’organisant que l’on peut changer les choses collectivement, parce que cette notion du collectif elle a été volontairement effacé des consciences par le système néolibéral qui promeut l’individualisme en permanence, et c’est comment justement tu combats cet individualisme en redonnant confiance aux collectifs.

Michel : Il y a des mots en ce moment qui m’intéressent, par exemple dans le rapport entre le légal et le légitime, là je trouve que… on est dans un système légal, de droit, qui n’est pas forcément le droit naturel, mais un droit légal en fait…

Léonard : C’est la loi.

Michel : Oui la loi… et j’ai l’impression, et c’est même une certitude, que des mouvements contestataires peuvent se retrouver dans une logique légitime, qu’est-ce que tu en penses ?

Léonard :
Alors moi, et là je te parle en tant que Léonard, je rejette complètement cette conception du droit, en fait pour moi le droit a été fait dans un sens et toujours pour « légitimer » le pouvoir d’une classe, la bourgeoisie ou une forme de hiérarchie, mais regarde, moi-même j’suis formaté parce que je pense en termes de droit alors que je suis contre, mais on a pris conscience pendant la lutte contre la loi travail qu’il y a d’autres formes d’organisations qui dépassent le droit, elles peuvent justement nous permettre de remettre en cause le pouvoir actuel et l’État de droit. J’pense que c’est ça qui est assez beau, c’est justement de montrer qu’on a le pouvoir d’exprimer notre révolte sans passer forcément par les cadres légaux, en fait le mouvement contre la loi travail dépasse la loi travail.

Michel : Est-ce qu’on est dans un système de liberté d’expression ou pas, est-ce que tout ça on peut l’affirmer, on peut le montrer, on peut en parler, l’exposer, le tracter… apparemment on peut le faire.

Léonard : Apparemment, j’pense que c’est une liberté d’expression très coercitive, le genre de conception de la liberté d’expression comme le conçoit le pouvoir, et justement nous j’pense qu’on est en train de redéfinir cette conception, et on est en train de s’en emparer. C’est pas parce qu’ils ont fait passer la loi que ça va nous empêcher de continuer à nous exprimer, c’est pas parce qu’aujourd’hui il y a de la répression qu’on va s’empêcher de s’exprimer ni parce que c’est en-dehors des cadres légaux, c’est pas parce qu’on nous interdit une manifestation qu’on va pas continuer à manifester. J’sais pas quelle forme ça va prendre mais j’trouve assez génial toutes les initiatives qui ont pu se développer autour de la lutte contre la loi travail.

Michel : Oui parce qu’il s’agit bien d’une lutte, à Tours on a eu cet exemple avec les forces de l’ordre, t’étais en première ligne, j’lai vu donc j’l’invente pas, qu’est-ce qu’on ressent à ce moment-là, parce que, moi, avec mon petit appareil photo et mon sac, j’ai bien compris que si on en arrivait à la lutte physique… c’est que ça va très très vite et c’est même assez vicieux une bagarre, c’est dangereux.

Léonard : Bien sûr que c’est dangereux, mais moi c’est pas ce qui m’arrête parce que si j’me dis ça en fait tout est dangereux dans la société qui nous entoure, ça fait assez longtemps que j’ai dépassé ce cap-là, pour arriver à mon idéal faut que je sois en capacité de me remettre en question sur mes moyens d’action, j’sais pas comment te dire, moi j’ai conscience du danger mais c’est comment en permanence je le dépasse pour pouvoir m’exprimer sans nous mettre en danger mes potes et moi. C’est pour ça que par exemple, là sur le pont Mirabeau, en fait j’y suis allé instinctivement, je savais que les flics allaient nous gazer et tout ça mais j’y suis allé, mon but c’était pas de me battre, j’vois pas l’intérêt de taper sur les flics, c’est inutile, mais, par contre, là j’avais besoin de réaffirmer c’que j’pensais et quand ils ont commencé à charger, en fait j’me suis mis devant et là j’ai commencé à leur crier dessus pour leur montrer que nous on avait autant le droit qu’eux d’être là, et qu’ils n’avaient pas à nous réprimer, enfin… j’ai l’impression de me mettre en avant quelque fois, ça aussi ça me dérange, faut que j’fasse gaffe.

Michel : C’est peut-être pas nécessaire de culpabiliser là-dessus, parce que si personne va en avant, le premier pas ne se fait pas non plus, mais c’est pas la question d’être un chef, la dé-personnification du chef, la déconstruction de l’ego, en même temps c’est possible si plusieurs personnalités sont assez égales, dans le sens où elles ont des forces ou des volontés qui s’équilibrent, en fait c’est pas un chef mais c’est tellement de chefs que chacun incarne sa propre composante de la lutte. D’ailleurs en ce moment, comme je te le disais, j’écris une fiction sur ces luttes avec l’apparition d’un groupe « paramilitaire » lié à une contestation civile, donc j’étudie les formes de guérilla, les plans de bataille, un étudiant en philo qui étudie Machiavel par exemple doit aussi être sensible à la stratégie politique, est-ce que dans la lutte sociale on n’est pas confronté à ces rapports parce qu’il arrive toujours un moment où il n’y a pas d’autres solutions que de se protéger ?

Léonard : Concrètement je ferai tout pour éviter l’affrontement, par contre il ne faut pas exclure qu’un jour en effet on soit obligé d’y aller, non pas pour attaquer mais parce que à un moment donné on sera obligé de se défendre, et on ne se laissera pas faire et dans ce cas-là moi non plus je me laisserai pas faire.

Michel : Mais derrière cette lutte il y a tout de même une dimension défensive contre des lois réputées iniques…

Léonard : Bien sûr.

Michel : J’ai suivi un cursus universitaire qui m’a permis de me pencher sur les relations juridiques du travail, que les Français connaissent très peu en fait, l’inculture, l’ignorance du code du travail, c’est absolument dément, beaucoup de gens voient bien qu’il y a des problèmes en ce moment sur le code du travail, mais eux ils ne voient qu’une seule chose, c’est les blocages de la CGT, et ce genre de choses, alors qu’ils ne cherchent pas à comprendre, alors que eux, en tant que salariés, ont des acquis, des protections sociales, vont en vacances, et j’en passe…

Léonard : J’pense que la bourgeoisie a très bien joué son jeu de ce côté-là, regarde, à chaque fois qu’on essaye de s’intéresser au code du travail, c’est pas anodin, quand les médias en parlent, tout de suite qu’est-ce qu’ils nous ramènent avant tout, c’est toujours le poids du code du travail, du bouquin, tu sais ils disent toujours « il est gros, c’est compliqué », tout ça. Alors comment veux-tu que les gens aient envie de s’intéresser au code du travail et à leurs droits si on leur dit en permanence que c’est complexe et que personne ne peut rien y comprendre, mais ça c’est une volonté aussi alors que le droit du travail en fait il est très simple, parce que tu le vis, c’est ta réalité. Déjà quand tu es travailleur tu vis et donc tu vois là où il y a des problèmes, rien que les problèmes de salaires, les problèmes avec ton patron, tu la vis cette réalité et donc forcément, de fait, chacun connaît un minimum ses droits, sauf qu’en permanence on veut t’en écarter en disant mais non ce serait l’affaire de pseudo experts qui géreraient le code du travail.

Donc justement faut renverser ça, et c’est pour ça que c’est encore une question de confiance, en disant « mais non regardez la réalité, c’est vous qui la vivez, et donc vous pouvez vous en emparer et changer les choses, et vous affirmer », et c’est ça mon but avant toute chose, de redonner confiance. Pareil dans les manifs, j’me vois pas du tout comme un chef, loin de là, j’me vois plus comme un moteur, ça veut dire remettre en permanence la machine en marche, quand tu vois qu’les copains, quand ils sont pas bien, tout ça, aussi j’m’interdis d’être dans une forme de mélancolie, et j’suis toujours ultra optimiste, pourquoi, parce que si je le suis pas les copains ils le seront pas et c’est comment justement à travers mon optimisme j’leur redonne confiance, et c’est pour ça que je m’vois plus comme un moteur, j’suis toujours là à les motiver, à leur dire « allez les gars, rien n’est perdu, on continue, on va rien lâcher parce qu’on a tous un idéal, on va tous y arriver », comment on continue à se mobiliser, « Allez les gars on peut le faire ! »

Notes

[1Mouvement de libération nationale engagé contre la répression syndicale orchestrée par le président Jorge Pacheco à la fin des années soixante.

[2Gramsci (1891-1937) : Théorien italien révolutionnaire contre l’adhésion passive de la société civile aux intérêts économiques de la classe dominante.