Le sous-ministre n’aime pas la chanson de Craonne

Jean Marc Todeschini, sous-ministre aux anciens combattants, a interdit que soit interprétée la Chanson de Craonne le 3 juillet à Fricourt, dans la Somme, lors d’une commémoration officielle. Cette chanson a été créée par les soldats qui se mutinèrent durant la première guerre mondiale. 3 500 condamnations furent prononcées, dont 354 condamnations à mort. 49 furent exécutées. Pétain s’opposa aux recours en grâce.

Lettre ouverte à
Jean-Marc Todeschini
sous ministre du
gouvernement Valls

Tours le 4 Juillet 2016

Monsieur,

Votre passage dans la Somme à Fricourt, lors d’une commémoration officielle, le 1er juillet n’est pas passé inaperçu. Vous avez interdit qu’on y chantât « La Chanson de Craonne », et vous fûtes obéi. Venant d’un gouvernement qui veut interdire les manifestations à caractère social, qui est à l’origine d’un état d’urgence jamais vu, d’une répression policière inouïe, et qui veut même casser le code du travail, quoi de plus banal.

Veni, vidi, vici, donc. Cependant, je tiens à vous rappeler que la Chanson de Craonne, créée en 1917, doit sa célébrité à la justesse de ses paroles mais aussi aux nombreuses et piteuses tentatives d’interdiction des pouvoirs politiques successifs. Vous avez donc le 1er juillet renforcé le caractère rebelle de cette belle chanson, je vous remercie de votre maladresse.

Je cite le Courrier Picard du 3 juillet [1] :

Le secrétaire d’État Jean-Marc Todeschini a refusé que soit entonnée la Chanson de Craonne, appel à la grève des soldats contre « Tous ces gros qui font la foire (…) feraient mieux de monter aux tranchées pour défendre leur bien, car nous n’avons rien ».

Pour mémoire, cette chanson est associée à la boucherie du Chemin des Dames, où l’assassin en chef, le général Nivelle, fit envoyer à la mort 30 000 troufions en quatre jours, en avril 1917. Pendant ce temps là, les gros faisaient la foire : Berliet, fournisseur officiel d’obus, triplait son chiffre d’affaires. Il ne fut pas le seul : Renault, Schneider, la famille De Wendel furent aussi accrédités, par le socialiste Auguste Millerand, ministre de la guerre, conseillé par le Comité des Forges. Pour l’occasion a été créé le groupe Dassault, en 1916, qui fera le bonheur des champs de bataille et de ses actionnaires.

Tradition socialiste sans doute, François Hollande continue ses efforts pour le groupe Dassault, en vendant ses articles meurtriers aux tyrans de la Terre. S’il y a moins de morts au Chemin des dames, la planète compte aujourd’hui 60 millions de déplacés et de réfugiés du fait des guerres. Anatole France avait vu juste : « On croit mourir pour la Patrie, on meurt pour les industriels ».

La chanson de Craonne n’a pas fini d’être chantée, elle reste en bonne place au registre antimilitariste. De nombreux artistes y ont veillé au grain : Brassens, Brel, Marc Ogeret, Maxime Le Forestier, Renaud, Léo Ferré et j’en oublie.

Une certaine interdiction me semble être plus dans vos cordes. Après le piteux abandon de l’université d’été du parti socialiste, vous devriez interdire le séditieux poème « En revenant de Nantes ». Cet odieux pamphlet risque d’être détourné en quolibet à l’encontre de votre prestigieuse formation politique. Cette chanson narre le déplacement d’individus libertins en proie au désœuvrement, il est aussi question d’une fameuse digue, qui doit absolument rimer avec « Montaigu ». Interdisez ! Monsieur, sinon des hordes syndicalistes entonneront bientôt cette affreuse complainte rue de Solférino.

Je vous transmets, pour votre culture personnelle, la chanson « La médaille » de Renaud [2], qui vous fera regretter Craonne.

Soyez assuré, Monsieur le sous-ministre, de mes sentiments pacifistes et antimilitaristes les plus profonds

Michel ANCE
ouvrier du livre CGT
http://piquetdegreve.blogspot.fr/

P.-S.

Pour écouter la Chanson de Craonne, rien de plus simple : rendez-vous sur youtube.
Une version interprétée par des élèves d’une école dieppoise peut être écoutée ici : www.crid1418.org/doc/media/ch_craonne.mp3

Notes

[1L’article du Courrier Picard du 3 juillet 2016 est disponible sur le site internet du journal.

[2Disponible à l’écoute ici.