La ville de Tours peut-elle passer du rejet à l’accueil des migrants ?

Texte tiré du bulletin mensuel de l’association Chrétiens Migrants, qui fait un point sur la situation des migrants à Tours. L’association organise un nouveau rassemblement silencieux mardi 27 octobre à 18h30, place de l’hôtel de ville à Tours.

Choisir entre le rejet ou l’accueil, cette interrogation est en débat dans notre ville depuis plus de dix années .

Tours, jusqu’ici, n’avait pas la volonté de répondre aux besoins d’hébergement d’urgence des familles étrangères rejetées tous les jours par le 115, et c’était chaque soir entre 5 et 10 familles qui, au prétexte de manque de moyens, devaient coucher dehors.

Toutes les solutions avaient été essayées, par les réseaux qui soutiennent les migrants, pour inciter les pouvoirs publics à appliquer les lois qui les obligent à loger tous les sans-abri... Sans résultat. Le total abandon pendant deux mois et demi, cet été, du campement de toile du Sanitas par tous les services sociaux en est la dernière illustration (après l’installation dans des halls d’immeuble de l’hiver 2012, l’occupation de la fac en 2005 et les campements de Roms de la Gloriette et du Pont aux oies). Pire, depuis l’élection de la nouvelle municipalité c’était l’aide alimentaire aux sans-papiers, la gratuité de cantine pour leurs enfants et la subvention à Chrétiens-Migrants qui les soutient qui étaient supprimées.

Cependant, avec la dispersion de ce camp de toile fin août, qui a laissé aux citoyens la charge complète de plusieurs familles, des particuliers réunis dans l’association ABIR (Action, Bilan, Information, Résistance), en lien avec l’ Entraide Islamique, sont venus assister Chrétiens-Migrants et le DAL pour suppléer aux carences des services sociaux.

C’est dans cette période que l’Europe, confrontée à la grave crise humanitaire des réfugiés (500 000 arrivées depuis début 2015) ,a imposé à la France un quota pour la « relocalisation » des réfugiés. Sous la pressions de l’opinion, de nombreux élus se sont mobilisés et ont su immédiatement trouver les moyens d’accueil nécessaires qu’ils refusaient jusqu’ici d’engager. Les villes de Tours, Montlouis, La Riche, Chambray, Preuilly-sur-Claise, Langeais et Chinon, trois bailleurs sociaux, et des particuliers ont déjà fait des propositions de logements. Des dizaines de logements sont donc disponibles !

Dans le même temps l’archevêque de Tours, répondant aux recommandations du pape, a réuni le 1er octobre toutes les associations se préoccupant de l’accueil des migrants sur le diocèse et, avec elles, a repris l’engagement de participer à l’accueil des réfugiés qui sollicitent notre aide quel que soit le motif de leur demande d’asile (politique ou économique) ou leur religion. Pour compléter les nombreuses actions déjà en place, certaines paroisses sont en contact avec leur commune pour participer à ces accueil et un projet de réseau de type « Welcome » est envisagé.

173 chrétiens d’Orient hébergés à Tours, mais toujours des migrants à la rue

Aujourd’hui, Tours accueille déjà 173 réfugiés chrétiens d’Orient — Irakiens et Syriens. Depuis un an, sur les 2 500 visas délivrés par la France à des Irakiens, 173 vivent à Tours, et 29 logements sont réservés par la ville pour accueillir environ 80 migrants sur les 150 à 200 qui sont attendus dans les deux ans dans le département. Les premiers réfugiés « relocalisés » arriveront en Touraine avant la fin de l’année. Pour eux, la préfecture a réservé 30 chambres au Crous, dans le parc Grandmont à Tours. Cet hébergement collectif fera office de « sas » d’évaluation sanitaire et sociale de chaque réfugié, avant son transfert vers un logement.

En revanche, les services de l’État ne sont pas favorables à ce que des particuliers accueillent des réfugiés chez eux, « l’expérience montrant que les bonnes volontés peuvent s’émousser très rapidement… ». Pourtant, ses services laissent tous les jours les citoyens trouver un hébergement pour les 60 sans-abri que le 115 laisse à la rue.

Quant aux autres migrants, demandeurs d’asile qui viennent en grande partie des pays de l’Est, la préfecture a annoncé qu’un centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) sera créé à Chinon, dès janvier prochain, avec 80 places d’hébergement. Mais combien de places seront réellement affectées aux besoins locaux ?

« Nous sommes une terre d’accueil et de partage, et voulons que celle-ci soit une terre d’avenir pour les réfugiés et leurs enfants », proclame le maire de Tours. A l’ouverture de l’année Saint-Martin nous souscrivons avec enthousiasme à ce message, mais est-il cohérent avec les actes posés ces derniers mois ? Peut-il être entendu par l’Europe entière comme la ville semble le souhaiter ?

Nous craignons que très vite, comme depuis un siècle à chaque arrivée en Europe ou en France de vagues successives de migrations, la démagogie xénophobe des partis au pouvoir (réactionnaires ou réformistes) reprenne le dessus et, renforçant les craintes de l’opinion à l’égard des étrangers, revienne à sa stratégie de rejet. (...)

Alors qu’en France les destructions de bidonvilles, les arrestations-expulsions de sans-papiers reprennent, que le durcissement des législations contre les déboutés se traduit par l’appel à la délation administrative pour les traquer, que l’entassement des réfugiés à Calais conduit l’opinion (associations et artistes) à une réaction indignée sans précédent, nous ne pouvons pas accepter de telles réponses face aux demandes de protection devant la détresse la persécution et la mort.

Que doit-on penser de ces discours qui suscitent dans l’opinion la satisfaction du devoir accompli alors que le rejet de l’étranger reste l’objectif final ? D’ailleurs, les médias se complaisent à relayer les débats sur « l’invasion » dont serait victime la France alors que l’OFPRA a difficilement fait venir d’Allemagne 600 réfugiés et qu’un tiers est déjà reparti. Et ceux qui rentrent « illégalement » en France ne sont pas là pour y demander l’asile, mais pour rejoindre l’Angleterre et s’entassent à plus de 6 000 dans la jungle de Calais.

Illustration : Manifestation pour le droit des migrant-e-s, Lausanne, le 9 mai 2015, par Gustave Deghilage.