La Tribune de Tours et l’honneur de l’humanité

Dans son édition du 3 septembre, La Tribune de Tours réagissait à l’évacuation du campement du Sanitas. L’occasion de voir battre le cœur d’un journaliste de la presse locale.

Quatre jours après l’évacuation du campement du Sanitas, l’hedbo gratuit La Tribune de Tours consacre quelques lignes à l’événement. L’article est court, et est placé dans la rubrique « Actualité en Bref » où l’on apprend également qu’à la Forêt des livres de Gonzague Saint-Bris dans le Lochois, Christophe Lambert fut particulièrement sollicité. L’actualité fonctionnant selon son propre rythme, les journalistes doivent en effet hiérarchiser l’information selon des critères très restrictifs ; c’est pourquoi le brame du cerf et les bonnes affaires de la braderie de Tours occupent la une.

La crise des migrants en Europe intéresse pourtant la rédaction de La Tribune. Son directeur de la publication Laurent Rouault en fait même le sujet de son édito, lequel flanque justement l’articulet sur l’évacuation du campement tourangeau, mettant visuellement en parallèle échelles globale et locale dans un vertigineux jeu de perspectives. Il ne s’agit pourtant pas du choix de mise en page le plus heureux de l’histoire de la presse papier : car si l’esprit des Lumières et des Droits de l’Homme souffle puissamment sur l’édito germanophile de Laurent Arouet-Rouault, on ne peut qu’être frappé par l’absence d’accents voltairiens de l’articulet qui lui fait écho.

Ce dernier indique ainsi que « ce lundi 31 août, au petit matin, les policiers ont procédé à l’évacuation du campement installé illégalement dans un quartier de Tours, le Sanitas, sur un terrain de Tours Habitat, bailleur social. » Le sens de la concision du journaliste permet au lecteur d’identifier immédiatement la victime et les coupables. Tours Habitat subissait jusqu’à présent un grave préjudice, auquel il a été mis fin ; quant aux migrants, que le journaliste n’a pas jugé bon d’évoquer autrement que par métonymie, ils ont été justement délogés. La brièveté de l’article ne permet toutefois pas de rentrer dans des détails annexes qui risqueraient d’ennuyer le lecteur : par « procédé à l’évacuation du campement », il faut ainsi comprendre que les policiers sont arrivés sur le site alors que les migrants dormaient encore, braquant leurs lampes torche à l’intérieur des tentes et obligeant leurs occupants à quitter les lieux sans avoir la possibilité de réunir leurs affaires. Ces dernières ont été jetées à la poubelle, une réfugiée ayant ainsi perdu ses médicaments antidiabétiques. Dans le cadre d’à côté, Laurent Rouault évoque les « peuples traumatisés » et la « raison des Lumières ».

L’articulet donne ensuite la parole à la préfecture de Tours, selon laquelle la dégradation sanitaire des conditions de vie des occupants et des tensions croissantes sur site ont imposé cette évacuation. L’un des réfugiés, de son côté, nous parle des très bons rapports existant entre les familles du campement et des efforts de chacun pour garder le site aussi propre que possible. On ne sait qui croire. Mais redonnons la parole à la préfecture, qui indique que la situation imposait la mise en œuvre d’une solution rapide de mise à l’abri des personnes concernées. Ici, le lecteur un peu attentif de La Tribune de Tours se sera peut-être interrogé sur la réalité de la promptitude de la « solution » préfectorale, ayant lu quelques lignes plus hauts que le campement était installé depuis 74 jours. Ou peut-être, se rappelant l’édito de Rouault, aura-t-il été ému par l’humanisme de la préfecture, qui à l’instar de l’Allemagne s’improvise « champio[ne] des droits de l’homme » et de « l’accueil des déshérités chassés par les conflits ».

L’articulet se termine par quelques lignes rassurantes : toutes ces personnes ont été hébergées dans des structures appropriées. Pas toutes, en réalité, puisqu’une famille de quatre personnes s’est vraisemblablement retrouvée à la rue [1] ; mais il fallait laisser de la place pour les quelques lignes sur le triomphe de PPDA à la Forêt des livres dans le Lochois.
Le lecteur de La Tribune de Tours inquiet du sort des migrants sortira peut-être soulagé de la lecture de cette brève. Il imaginera sans doute les réfugiés pris en charge par le Samu social (en réalité surchargé) sans se douter que les « structures appropriées » évoquées par l’article sont des hôtels excentrés où les migrants ne vivent que grâce à l’aide de bénévoles. Touché par le plaidoyer de Laurent Rouault pour une « prise de conscience de nos élites nationales », il sera fier de savoir que sa ville accueille, « pour l’honneur de l’humanité », les « damnés » de « nations déchirées ». Un accueil qui prendra fin lundi alors que les migrants devront quitter leurs hôtels sans avoir la moindre idée de la suite de leurs errances [2].

Notes

[2Finalement, la plupart des occupant-es du campement voient leur hébergement prolongé jusqu’à jeudi.