Histoire et perspectives actuelles de lutte pour refuser les heures supplémentaires dans l’Éducation Nationale

Quand on pense aux heures supplémentaires, on pense à la célèbre phrase "travailler plus pour gagner plus". Mais est-ce si simple ? Les heures sup. et cette notion de travailler en plus de notre temps de travail ont-elles juste comme but d’avoir une aumône supplémentaire pour vivre ? L’utilisation des heures sup. n’a pas comme impact de simplement remplir notre porte monnaie.

Les enseignants sont eux aussi soumis à la possibilité de faire des heures supplémentaires. En fouillant un peu dans nos archives, nous avons retrouvé l’histoire d’une lutte pour le refus des heures supplémentaires. Nous vous proposons de revenir sur une revendications assez ancienne dans l’Éducation Nationale et de comprendre ce qui pousse les personnels à refuser des heures supplémentaires. A la suite de cette lutte, nous vous proposons de revenir avec le syndicat SUD éducation 37 sur cette revendication.

Lutte à Maringues pour l’obtention de postes supplémentaires

L’histoire de cette lutte se déroule à Maringues dans le Puy-de-Dôme où en 1974 une bataille pour l’obtention de postes supplémentaires a eu lieu. Que vient faire une lutte pour des postes dans un article sur les heures supplémentaires nous diriez-vous ? Son compte rendu fait par la section SGEN-CFDT de l’époque [1] montre comment le refus des heures supplémentaires peut mettre en action d’autres dynamiques.

Le samedi 21 septembre 1974, pas de cours pour les élèves du C. E. G. [2] de Maringues (Puy-de-Dôme). Et cela bien qu’ils n’aient pas eu toutes les heures prévues réglementairement. En effet, les professeurs avaient terminé leur service le vendredi au soir, ayant accompli leurs obligations de service prévues statutairement. Ils démontraient ainsi, sans conteste, le déficit en heures d’enseignement, donc en postes, dans leur établissement. C’était le début d’une longue lutte. Tout avait commencé en mai 74 : on apprenait la suppression d’un poste de P. E. G. C. [3], et cela sans que le directeur ni le conseil d’administration de l’établissement aient été consultés. A la rentrée, ce n’était pas 21 heures mais 43 heures qui manquaient, soit plus de deux postes de P. E. G. C.
 
Pour l’administration rectorale, le recours aux heures supplémentaires devait sans doute permettre de combler le trou. Les enseignants ne l’entendaient pas de cette oreille. Les parents d’élèves avaient été évidemment avertis de cette situation par les enseignants dès le lendemain de la rentrée. Ils étaient invités à rencontrer les professeurs le vendredi 20 au soir. Ceux-ci, leur service hebdomadaire terminé, attendaient donc sans optimisme exagéré l’arrivée de quelques parents... 20, 30 ? Il en vint plus de 100 ! A l’unanimité, ils décident d’une pétition, d’une grève des cours (les enseignants font grève, les parents n’envoient pas leurs enfants), d’une délégation au rectorat.
 
Le jeudi 26 septembre, le recteur répond à notre télégramme : il ne sera pas là. Parents et maîtres décident de partir quand même. On fixe une grande banderole de chaque côté du car : « 200 professeurs au chômage dans l’académie de Clermont-Ferrand, et on nous refuse 2 professeurs indispensables au C. E. G. de Maringues ». Notre détermination oblige le secrétaire général à recevoir ceux que nous avions élus, quatre parents, trois maîtres et les deux représentants syndicaux venus apporter l’appui du S. N. I. [4] et du S. G. E. N. [5]. Mais aucun résultat n’est obtenu.
Une seconde assemblée parents-enseignants décida de la reconduction de la grève des maîtres jusqu’au samedi 28 et des parents jusqu’au mardi 1" octobre, ainsi que d’une lettre ouverte au ministre.
 
Le lundi 30 septembre : "Pour expliquer les raisons de leur mouvement de grève, parents d’élèves et enseignants ont usé hier d’un procédé aussi direct qu’original. Ils se sont rendus place de la Halle où la foire du lundi battait son plein et ont installé là un étal. [6]" Un millier de tracts sont donc distribués pour populariser Faction. Parallèlement, des délégations se rendent, l’une auprès du conseiller général, l’autre dans un C. E. G. voisin.
 
Une assemblée suivante des parents et enseignants verra l’ensemble des maires du canton - « Quelque peu maltraités pour leur lenteur à réagir ›› - apporter leur appui. Et la popularisation s’ amplifie : samedi 5 octobre, sur la principale place de Clermont, parents d’élèves et enseignants tendent des banderoles, dressent des tableaux d’affichage sur lesquels sont épinglés des télégrammes de soutien de C. E. G. du Puy-de-Dôme [7]et distribuent des tracts. Et c’est un magnifique lâcher de ballons auxquels sont accrochées des cartes. On peut y lire : « À porter immédiatement à Monsieur le Recteur, 63 - Clermont-Ferrand : urgent, envoyer deux professeurs au C. E. G. de Maringues. » Cette manifestation terminée, le car repart vers Riom où parents et enseignants bloquent durant une vingtaine de minutes un train en provenance de Paris. - Le temps de distribuer aux passagers un tract d’information, très souvent, ils s’entendent dire “Nous ne vous en voulons pas, nous vous comprenons ; nous aussi, nous sommes parents d’élèves”. - Cette action spectaculaire recevait un écho dans la presse parisienne.
 
Cet exemple méritait d’être développé, car à partir d’un refus collectif des heures supplémentaires s’est développée toute une dynamique d’actions parents enseignants et s’est manifestée une imagination collective dans la popularisation.
Ce refus collectif des heures supplémentaires est un autre moyen de faire apparaître nettement les besoins réels d’heures d’enseignement, donc de postes nouveaux. En effet, l’administration s’est adjugé le droit d’imposer 2 heures supplémentaires obligatoires en plus du service hebdomadaire normal. Avec le recours massif à l’auxiliariat, c’était un palliatif secondaire pour faire face à l’afflux scolaire. Le flux étant passé, on n’en continue pas moins. Paradoxe scandaleux : on oblige à faire des heures supplémentaires alors que des auxiliaires sont licenciés !

« Le refus des heures supplémentaires constitue un formidable moyen d’action »

Pour en savoir un peu plus, nous sommes allés voir le syndicat SUD Éducation 37 qui porte encore aujourd’hui une opposition farouche aux heures supplémentaires, afin qu’il nous éclaire sur la portée et la nécessité d’une telle revendication actuellement.

Salut, vous avez lu la brève histoire de cette lutte, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Il s’agit d’une belle histoire de mobilisation ! Elle prouve que tout le monde peut et doit être concerné par la question des heures supplémentaires. Elle est le corollaire d’un certain nombre d’autres questions qui s’enchaînent : celle de la qualité du service rendu, donc de l’apprentissage des élèves, mais aussi des conditions de travail et de l’organisation de celui-ci dans l’Éducation nationale. On a bien trop souvent aujourd’hui tendance à renvoyer cette question aux individus (les enseignants) qui peuvent prendre (ou refuser) les heures supplémentaires. A plus d’un titre il s’agit d’un enjeu commun.

Le système d’heure sup. a changé depuis, quel est-il actuellement ?

Actuellement les enseignants sont soumis à une heure supplémentaire [8] qu’ils ne peuvent refuser si le chef d’établissement leur demande. Elle est justifiée par le fait que les services, en fonction de la répartition des classes, ne peuvent pas toujours tomber justes. Au-delà, tous les enseignants ont le droit de refuser les heures supplémentaires. Les services (18 heures ou 15 heures par semaine selon que l’on soit Certifié ou Agrégé) sont des maxima de service (fait encore affirmé dans les nouveaux statuts valides à compter de la rentrée 2015), et le sous service n’existe pas ! Bien sûr la hiérarchie ne présente pas les choses ainsi et fait pression pour que les enseignants prennent plus d’une heure. Et elle utilise pour cela les plus mauvais arguments possibles (culpabilisation des enseignants face aux élèves qui n’auront pas de cours, menaces sur l’avancement ou sur les emplois du temps, remise en cause de projets...).

Il existe aussi des heures supplémentaires exceptionnelles qui correspondent à des besoins ponctuels (soutien particulier, tutorat, remédiation, ...) qui ne peuvent être prévues à l’avance et intégrées dans les services.
Ces dernière restent marginales, mais on voit que depuis votre exemple de 1974 tout a été fait pour faciliter et développer le recours aux heures supplémentaires !

A qui bénéficie la multiplication des heures sup. dans l’éducation nationale ?

Clairement à l’institution qui économise ainsi des quantités de postes ! Les heures supplémentaires représentent autour de 10 % des heures dans un lycée par exemple. Cela fait autant de postes non créés, de fonctionnaires qui n’existent pas et de jeunes qui ne sont pas embauchés [9]. Et pour atteindre cette proportion, l’administration compte sur l’heure imposable à tous, mais surtout sur les deux ou trois autres heures que certains enseignants acceptent de prendre. Il n’est pas exceptionnel de voir des services atteindre 23 heures de cours par semaine, ce qui peut faire jusqu’à sept heures supplémentaires (si la personne est un Agrégé). Nous sommes parfois bien au-delà de l’exemple de 1974 que vous donniez semble-t-il... On peut sérieusement douter aussi de la qualité de l’enseignement fourni.

Pourquoi les enseignants acceptent ces heures sup. ?

Rarement pour des raisons de service. Cela peut arriver dans de petits établissements que certains collègues soient amenés à prendre deux ou trois heures en plus car ils savent très bien qu’un poste ne pourra jamais être créé, et qu’aucun contractuel ne sera nommé (ou n’acceptera de venir).

Le plus souvent, il faut bien le dire, pour les collègues il s’agit de pallier la baisse des rémunérations alors que l’on a des enfants qui poursuivent des études, ou que l’on doit faire face à des événements imprévus (séparation, chômage du conjoint...). Il faut dire que non seulement le point d’indice des fonctionnaires est gelé depuis de longues années (et pour longtemps encore !), mais aussi — et tout le monde peut le constater sur sa fiche de paie — que les prélèvements obligatoires augmentent. Les salaires baissent donc. Tous les ans, un certain nombre de collègues viennent demander aux chefs d’établissement de pouvoir faire des heures supplémentaires face à la baisse de leur pouvoir d’achat.

Et ces heures rapportent ! De 1 076 € par an (pour une heure supplémentaire hebdomadaire) pour un professeur Certifié à 3 555 € /an pour certains professeurs en classes préparatoires (post-Bac). Une paille ! De quoi susciter les appétits !
Et il faut remarquer que les enseignants qui prennent le plus d’heures supplémentaires sont ceux qui ont déjà les plus gros salaires, en particulier les agrégés en seconde partie de carrière (et encore plus les professeurs en classes préparatoires). Les certifiés (à 18 h) qui entrent dans le métier (et qui pourtant ont de salaires peu élevés (1 700 à 1 900 € mensuels) ne sont pas les plus demandeurs. Et on comprend pourquoi ! La charge de travail est conséquente et ne leur permet pas matériellement d’assumer un service alourdi, notamment quand toutes les classes atteignent 35 élèves. Il n’en est pas de même avec des années d’expérience, un service théorique à 15 h de cours (voire moins pour les enseignants en classe préparatoires), et une certaine connaissance (il faut le dire aussi) du système éducatif.

En fait, ces heures supplémentaires sont surtout le résultat d’un vaste échec : celui d’un corps enseignant incapable de se rassembler, d’interpeller les acteurs du monde éducatif face à la multiplication de ces heures et de demander des augmentations de salaires. C’est le fruit d’un renoncement syndical et collectif, résultat d’une certaine passivité, encouragée d’ailleurs par un système qui repose sur l’individualisation (des carrières, des parcours, des rémunération) quand ce n’est pas sur une concurrence malsaine (entre enseignants dynamiques et d’autres qui le seraient moins...).
Si en 1974, dans l’exemple invoqué, on observe une belle cohérence de groupe (sinon de classe) qui arrive à bloquer le système et le déborde même, aujourd’hui, force est de le reconnaître, on en est loin !

Quel impact le refus pourrait-il avoir ?

Il faut être clair : le refus des heures supplémentaires par une majorité d’enseignants d’un établissement rendrait la rentrée scolaire impossible. Les emplois du temps ne pourraient pas tourner, des dizaines de classes (dans un gros lycée par exemple) seraient sans professeurs dans certaines matières. On imagine la réaction des parents... Cela révèlerait le manque criant de personnel, l’impact des 80 000 suppressions de postes par le gouvernement Sarkozy, la faiblesse des créations que l’actuel gouvernement nous propose et surtout cela permettrait de comprendre quel intérêt nous avons, collectivement, à avoir un service public d’éducation qui ne soit pas en surcharge chronique !

Ce refus, on le comprend bien, est un formidable outil de lutte. Il permettrait de créer un rapport de force sans précédent vis-à-vis de l’administration et du gouvernement si il était généralisé.

Que diriez-vous aux parents d’élèves et aux élèves pour leur faire adhérer à cette idée de refus des heures sup. ?

On peut se demander en effet pourquoi on attend encore, pourquoi les enseignants ne refusent pas massivement ces heures, pourquoi les parents, représentés aux conseils d’administration des établissements du second degré ne réagissent pas. Certains syndicats hésitent encore dans la dénonciation de ces heures. On attend leurs propositions pour mener la lutte pour d’éventuelles créations de postes... D’autres encore considèrent aussi que la question des postes et des moyens n’est pas essentielle. Sans doute, il y a matière a réorganiser certaines choses, mais depuis plusieurs années on attaque l’os ! On comprend mieux alors pourquoi certains sont prêts à proposer une diminution des horaires disciplinaires... autant de moyens d’économiser (c’est le cas actuellement avec la réforme du collège).

Face à cela, je dirais aux parents d’élèves que l’on a deux choix : soit on laisse la situation actuelle couler un peu plus et — malgré ce que dit la propagande gouvernementale — la dégradation du service d’enseignement va se poursuivre lentement mais sûrement. C’est une situation de pourrissement qui est voulue et entretenue depuis le haut. N’oublions pas que certaines organisations internationales (l’OMC pour ne pas la citer) ont parié sur cette dégradation pour en arriver à la privatisation des systèmes scolaires européens et susciter l’émergence de nouveaux marchés (que tout le monde ne pourra pas se payer). Cela a été dit publiquement (et c’est un objectif de l’AGCS [10]) et ceux qui y sont favorables comptent principalement sur la fatalisme ambiant !

L’autre choix est de réagir assez radicalement en faisant prendre conscience à ceux qui nous gouvernent que collectivement nous voulons pour notre bien commun un service public de qualité, ce qu’il est encore quoi qu’en dise ses détracteurs. Il en va aussi de la démocratie dans nos sociétés contemporaines. Veut-on abandonner tout cela ? A-t-on conscience vraiment de l’abandonner ? Ce sont de véritables questions de société qui ne relèvent pas uniquement du seul intérêt des enseignants. C’est un peu trop facile aussi d’attendre de ces derniers qu’ils refusent les heures supplémentaires, et de demander dans le même temps la réduction des budgets de l’État, des impôts...

Il est clair que nous avons, autour du refus des heures supplémentaires par exemple, un formidable moyen d’action qui dépasse largement le cadre corporatiste dans lequel sont trop souvent enfermées les revendications des salariés (dans l’Éducation nationale comme ailleurs).

Pour Sud Éducation, refuser des heures sup’, c’est :
 
-* Sauver des postes et obliger l’administration a en créer  : ce sont les étudiants d’aujourd’hui qui restent privés d’emploi faute de place aux concours.
-* Empêcher la dégradation des conditions de travail : prendre 2 ou 3 HSA, c’est bien souvent prendre une classe de plus, et donc, outre le temps additionnel passé devant les élèves, des préparations, des corrections, des réunions supplémentaires.
-* Éviter un nouvel appauvrissement de la qualité du service public d’enseignement.
-* Rester crédible sur l’horaire de 18h hebdo devant élèves.
-* Ne pas apporter une réponse individuelle à une revendication salariale légitime et collective et revendiquer une baisse du temps de travail pour tous.
 
Pour mener, à bien cela, SUD Éducation appelle donc les enseignants :
 
-* à indiquer clairement sur leur fiche de vœux qu’ils n’accepteront aucune HSA au delà de l’heure légalement imposable.
-* à s’organiser dans les établissements pour faire connaître collectivement leur refus à l’administration.
-* les parents d’élèves à soutenir le refus des heures supplémentaires pour plus de moyens et de meilleurs conditions d’enseignements pour leurs enfants.

Notes

[1Précision : sur le SGEN-CFDT, nous ne parlerons pas du SGEN-CFDT actuel mais de celui des années 70, un syndicat autogestionnaire et de transformation sociale ; depuis s’est opéré au sein de ce syndicat un repositionnement réformiste et co-gestionnaire (même si la revendication du refus des heures sup. est toujours présente dans leur propagande).

[2Collège d’enseignement général

[3Professeur d’enseignement général de collège

[4Le Syndicat national des instituteurs (SNI, puis SNI-PEGC à partir de 1976) fut de 1920 à 1992 la principale organisation syndicale des enseignants du primaire en France.

[5Citations tirées de la brochure réalisée par les enseignant du C. E. G.

[6La Montagne, 2 octobre 1974.

[7La Montagne, 6 octobre 1974.

[8La législation en vigueur : 1 seule heure supplémentaire obligatoire, pas plus !
Circulaire n° 76-218 du 1er juillet 1976 modifié par le décret n° 99-980 du 13 octobre 1999.
Au-delà, les heures supplémentaires sont attribuées sur la base du volontariat. Les enseignants à temps partiel ne peuvent pas se voir attribuer d’HSA. Si la quotité de temps partiel rend impossible l’organisation d’un service dans l’établissement, il doit être procédé à une modification de la quotité de temps partiel.
Les heures de 1ère chaire, les heures de pondération (BTS, classes prépa...), les heures de décharge pour les enseignants en complément de service, les heures de labo, les heures de décharge syndicale ou autre... sont incluses dans le maxima de service.

[9Par exemple, en 2010, les heures supplémentaires dans l’académie de Rennes, ce sont l’équivalent de 187 postes en lycée pro, 468 postes en lycée, 405 postes en collège et 62 postes en SEGPA. Soit la bagatelle de 1 122 postes perdus pour les étudiants et non titulaires qui passent les concours !

[10L’Accord général sur le commerce des services (AGCS, ou GATS en anglais pour General Agreement on Trade in Services) constitue l’annexe 1B de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994. Il s’agit d’un accord multilatéral de libéralisation des échanges de services. Cf Wikipedia.