Grève chez Pieux Ouest : « Sur la plupart de nos chantiers, on n’a ni vestiaires, ni sanitaires décents »

Les salariés de l’entreprise Pieux Ouest, une boîte de BTP basée à Notre-Dame-d’Oé, sont en grève depuis vendredi. Ce lundi, ils étaient une dizaine devant l’entrée du site. Échange avec Najim, délégué du personnel et membre du syndicat local Construction CGT à propos des conditions de travail dans l’entreprise et de la lutte en cours.

Tu peux me parler des conditions de travail dans la boîte ?

Tout ce que la boîte demande aux salariés, c’est d’avoir un niveau d’instruction minimum, savoir lire, écrire et compter. La direction promet monts et merveilles aux nouveaux embauchés, et ensuite elle les exploite pendant des années. Les chefs d’équipes sont payés environ 12 euros de l’heure, alors qu’ils font un boulot de chef de chantier. Ils se tapent la paperasse, la relation avec le client, la gestion des plannings... La direction promet des augmentations, mais elles sont dérisoires. Le patron augmente un type de 5 centimes, en disant « T’as vu, je t’ai augmenté ! Mais surtout le dit pas. » Et après quand tu fais le tour des collègues tu t’aperçois que tout le monde a eu cette augmentation de 5 centimes, et que tu n’évolues pas...

C’est quoi les conditions de travail sur les chantiers ?

Sur la plupart de nos chantiers, on n’a ni vestiaires, ni sanitaires décents. Il faut souvent se changer dans la fourgonette, uriner en se planquant dans un coin, et sinon faut que tu ailles dans un café... Pour leur défense, ils expliquent qu’ils n’empêchent pas les salariés de faire une facture pour le café. Mais il faut avancer l’argent de sa poche ! La facture que tu vas faire, elle ne te sera remboursée qu’à la fin du mois. Et puis, le code du travail prévoit que l’employeur mette à disposition des vestiaires, des lavabos, des « cabinets d’aisance » et, le cas échéant, des douches.

C’est ça le souci d’Allan, c’est pour ça qu’ils en ont après lui (il a été mis à pied, la direction cherche à le licencier). Depuis qu’il est délégué syndical, il leur dit : « Moi, ces conditions-là, j’en veux plus. » Donc quand il arrive sur un chantier où il n’y a rien, il exerce son droit de retrait [1]. Du coup le client se met à gueuler, parce que l’inspection du travail est informée et descend sur place. Le client téléphone ensuite à Pieux Ouest – la plupart du temps, ils sont plus ou moins copains avec la direction –, et s’engueule avec Allan. Et il leur répond, c’est normal quand tu te sens agressé. C’est ça le reproche qu’on lui fait : de s’engueuler avec les clients.

Parmi vos revendications, il y a aussi l’augmentation des indemnités de « grands déplacements ».

Le problème qu’on a, c’est que la direction nous donne 73 euros d’indemnités forfaitaires par jour de déplacement, du lundi au jeudi. C’est censé couvrir les frais qu’on a sur les chantiers, sachant que 80 % de nos chantiers sont en région parisienne, voire à Paris. Avec un tarif de chambres d’hôtel qui varie entre 50 et 60 euros, ce qui laisse pas grand chose pour bouffer. Et tu peux pas tenir pendant une semaine en mangeant des sandwichs midi et soir. Ça fait cinq ou six ans qu’on leur dit que c’est plus possible.

La direction nous dit : « Quand vous êtes sur les chantiers, vous êtes trois, vous n’avez qu’à partager la chambres d’hôtel. » Partager la chambre d’hôtel, la bouffe, pour que ça te coûte moins cher et que tu puisses économiser du pognon. C’est leur discours pour ne pas augmenter les indemnités de déplacements. On a des gars qui dorment dans les fourgons pour économiser du pognon et grossir leur paye ! [2]

Pour l’ancien patron — qui mène toujours la barque —, c’est pas compliqué, il m’avait expliqué pendant une conversation comment il fonctionnait :

« Un mec, tu lui dis jamais "non", sinon il te vole dans les plumes. Tu lui réponds "Je vais y réfléchir" : t’as gagné un mois. Quand il revient te voir au bout d’un mois et demi, tu lui dis "Ah merde, j’ai pas eu le temps d’y réfléchir" : t’as regagné un mois. Après, tu lui donnes des miettes, et il le prend : il se dit qu’il a quand même obtenu quelque chose. »

Comment vous en êtes arrivés à créer une section syndicale dans l’entreprise ?

Avant, on était divisés, chacun défendait son bifteck. A force de se croiser sur les chantiers, de se retrouver autour d’un barbecue et de discuter entre nous, on s’est aperçus qu’on tenait tous les mêmes discours au patron, et qu’on obtenait les mêmes réponses. Quand on s’est regroupés, on s’est dit qu’on avait personne pour nous représenter légalement auprès du patron. Mais on avait quelques renseignements. Moi, j’ai travaillé chez Renault comme intérimaire pendant 5 ans, et je participais aux grèves. Donc j’étais habitué aux syndicats. Je me suis renseigné auprès du syndicat local CGT Construction, où on nous a dit qu’on avait droit à un délégué du personnel. Donc on a demandé un délégué du personnel.

Le patron a tergiversé : « Un délégué du personnel, il faut l’élire... Tu sais, c’est pas comme ça que ça marche... Personne ne s’est jamais présenté... On va y réfléchir. » Une année est passée, et on avait toujours pas de proposition d’élection. Alors on a envoyé un courrier avec le syndicat local pour que la direction organise l’élection. Pour la direction, il ne fallait pas un délégué syndical, mais un type sans étiquette, et ils avaient choisi un gars qu’ils pourraient manipuler comme ils voulaient. Le patron a fait pression sur tous les salariés, les appelant un par un, pour qu’ils votent blanc au premier tour [3] : il ne fallait pas un syndicaliste !

Allan a été élu titulaire, j’ai été élu suppléant : tous les deux syndiqués à la CGT. Ça a complètement contrarié les plans du patron. Moi, comme je ne suis que suppléant, ils m’ont laissé tranquille, mais ils ont commencé à envoyer Allan sur des chantiers très complexes, où les client étaient prévenus à l’avance. Tous les clients qui se sont plaints de lui, ce sont des copains du patron, des clients de la boîte depuis vingt ou trente ans. Vu comme certains lui ont parlé, c’est normal qu’il ait réagi. Mais la direction cherche maintenant à le licencier. C’est leur deuxième tentative de le virer.

C’est la première grève menée chez Pieux Ouest ?

On avait fait un débrayage il y a cinq ans. Un lundi matin, on s’était tous filés rencart, douze ou treize chefs d’équipe. On avait discuté avec la direction toute la matinée pour essayer de changer les choses, mais ça n’a rien donné. Dans la foulée, ils nous avaient encore plus divisés, en éclatant les équipes.

Là, c’est la première vraie grève qu’on fait, avec un piquet devant l’entrée de la boîte. Il va falloir que ça change.

L’entreprise a beaucoup recours à l’intérim...

Ils représentent une grosse part de l’effectif : pour un chef d’équipe, il y a deux intérimaires. Celui avec qui je bossais jusqu’à ce que je sois élu, ça faisait six ans que je l’avais dans mon équipe. Lui était satisfait de rester en intérim, parce qu’il pouvait s’arrêter quand il voulait. Mais la direction n’a jamais proposé de l’embaucher.

On a un intérimaire qui est là depuis huit ans, et qui ne demande qu’à être embauché ; le fils du patron, qui est directeur technique, lui a fait signer un papier disant qu’il refusait l’embauche, alors qu’il sait à peine lire et écrire. Et on a un autre cas du même genre.

Au cours de la journée, des syndicalistes de la Caisse nationale d’assurance vieillesse et de l’entreprise SKF sont venus apporter leur soutien aux grévistes. Face à la détermination des grévistes, la direction a ouvert des négociations en demandant l’arbitrage de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE).

Notes

[1Le salarié confronté à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, a le droit d’arrêter son travail et, si nécessaire, de quitter les lieux pour se mettre en sécurité.

[2C’est apparemment une mauvaise habitude des patrons locaux du BTP que d’indemniser les déplacements au lance-pierre. L’an passé, ce sont des salariés de SOGEA (groupe Vinci) qui avaient fait grève pour les mêmes raisons.

[3Le premier tour est réservé aux listes établies par les organisations syndicales.