Grève chez Lidl : « Le seul mot d’ordre est le rendement »

Du 2 au 6 décembre 2013, une grève nationale s’est déroulée au sein de Lidl en France. En Indre-et-Loire, un tiers des salariés de la plateforme de Sorigny ont débrayé le 2 décembre, empêchant l’approvisionnement des magasins. Entretien avec l’un de ces salariés, réalisé le 5 décembre.

Tu peux revenir sur l’origine de cette grève ?

Ça a commencé le 15 novembre à Strasbourg, où se trouve le siège social de Lidl France. L’UNSA et la CGT ont déposé un préavis de grève nationale entre le 2 et le 6 décembre. Au niveau de la direction régionale de Tours, on a décidé de se mettre en grève le 2 décembre, tandis que la direction régionale de Lyon a décidé de faire grève quatre jours plus tard. Entre temps, les délégués syndicaux centraux ont négocié avec la direction, qui n’ a rien proposé d’autre qu’un bon d’achat de 100 euros à valoir dans les magasins Lidl... Nous, ce qu’on demandait, c’était une amélioration des conditions de travail et des augmentations de salaires.

Ces revendications étaient communes aux entrepôts et aux magasins ?

Oui, sauf que c’est beaucoup plus difficile de faire grève dans les magasins, où les salariés sont peu nombreux et travaillent à temps partiel. C’est plus facile de faire pression sur eux.

La principale revendication relayée par les médias locaux était le refus du casque utilisé pour la préparation de commandes dans les entrepôts. Ces médias ont aussi expliqué que si les salariés des magasins n’avaient pas fait grève, c’est qu’ils n’étaient pas concernés par le « pick by voice ».

Les revendications étaient multiples : travail le dimanche, salaires, conditions de travail... Le seul moyen de mettre la pression, c’est de bloquer les entrepôts, ce qui a des répercussions directes. Mais il ne faut pas croire : les salariés des magasins nous ont soutenus, ils n’attendaient que ça. La dernière fois qu’on a fait grève, c’était il y a neuf ans. On n’est donc pas des grévistes acharnés.

Le « pick by voice », c’est de la préparation de commande par casque. Ça veut dire que quelqu’un vous parle pendant 6 heures 30. C’est insupportable. En plus, les casques sont reliés en wifi, alors qu’on sait que les ondes wifi ne sont pas bonnes pour la santé. A Guiguamp, Nantes et Rennes, les salariés ont fait réaliser une expertise de leurs conditions de travail. Le rapport du cabinet Emergences a montré que la mise en place du « pick by voice » n’avait pas amélioré la qualité du travail, et avait au contraire entraîné une perte de productivité, tout en déteriorant les conditions de travail des préparateurs de commandes. A Sorigny, ça fait un an et demi que ce système est en place, et ça a un vrai impact sur la vie privée des salariés. Quand certains salariés rentrent chez eux, ils ne supportent plus le bruit. Les cris du bébé, la télé... : tout devient insupportable.

Combien de salariés étaient en grève à Sorigny ?

On était une trentaine, sur quatre-vingt-quatorze CDI en préparation de commandes. Les non-grévistes soutenaient nos revendications, mais on est tous soumis à une forte pression.

La direction a-t-elle bougé après la journée de grève du 2 décembre ?

Au niveau local, la direction se prépare comme si on allait faire grève le 6 décembre et a rempli les magasins, tout en sachant qu’on ne ferait pas grève. On savait qu’on ne pourrait pas appeler à faire grève deux jours consécutifs pendant un même mois, parce que ça représente quand même 10 % de salaire en moins. On verra ce que donnent les négociations au niveau national. C’est toujours épineux d’engager les salariés dans un mouvement de grève, d’autant que sur l’entrepôt il nous est difficile de communiquer avec certaines catégories de personnel. Le personnel administratif subit une pression managériale directe, et si ces salariés nous parlent, la hiérarchie sait tout de suite d’où ça vient. Les salariés ont peur d’être licenciés ou d’être victimes de harcèlement.

Vous avez des contacts avec le personnel des magasins ?

Oui, parce que nous sommes organisés régionalement. Le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est commun à tous les salariés de la direction régionale ; les caissières et les préparateurs de commande sont donc représentés au sein d’une même instance.

Tu peux me parler de la mise en place du travail le dimanche dans les magasins ?

Cest une grosse arnaque. Les dimanches sont mieux payés, mais les caissières travailleront 28 heures sur six jours au lieu de travailler 28 heures sur cinq jours. A la fin du mois, elles gagneront 4 euros de plus, ce qui ne compense pas l’impact du travail le dimanche sur la vie privée.

Les salariés des magasins sont soumis à une forte pression. Tout est chronométré, et le seul mot d’ordre est le rendement. On ne parle jamais de la qualité du travail. La pression et la charge de travail sont tellement importantes que les salariés, après avoir badgé à la fin de leur journée de travail, sont parfois contraints de revenir travailler sur leurs heures de repos, sans salaire. A l’heure actuelle, ce travail dissimulé est le gros problème auquel nous devons faire face. En plus, il est très difficile de défendre les salariés concernés sans les mettre en porte-à-faux.

Pourquoi une grève maintenant ?

Ça fait trois ans qu’on n’a pas de participations aux bénéfices, et qu’on nous dit qu’on doit se serrer la ceinture, alors que la direction a organisé à Bercy un événement réunissant tous les chefs de magasins et les cadres, pour un coût de plusieurs millions d’euros. On nous a refusé une augmentation de 1 %, et un plan social a été organisé à l’occasion du départ d’une partie du siège de Strasbourg vers Rungis. La location du siège coûte 100 000 euros par mois, mais on nous explique qu’il n’y a pas de thunes ! A force de voir qu’on faisait des efforts mais qu’on n’obtenait rien, ça a explosé.

Note : Lidl a été élue meilleure chaîne de supermarché de l’année 2013.

Photo de Robert Wallace