Graffeurs contre graffitis : des militants anti loi travail réinvestissent les palissades du chantier Hilton

L’après midi du 16 juillet, les militants anti loi travail ont ré-investi les palissades du chantier des hôtels Hilton avec l’aide des passants. Ils ont redonné à ces murs la fonction de lieu d’expression libre et publique qu’ils avaient revendiquée avant que tout ne soit recouvert par des fresques colorées.

Un sms. "Tu y es ?". Je suis à table. "Je finis de manger et je décolle" Il est 13h. Une salade tomate mozzarella, quelques oeufs dur et un café plus tard. Je pars en direction de la place. La nuit a été courte. À mi-chemin, je rentre aux bercail. J’ai oublié mes bombes. Il fait très chaud. Ça sent la peinture depuis la rue du commerce. Un petit groupe, près de l’arrêt du tram, discute avec des passants. D’autres ont déjà repris possession de la palissade qu’hier les fresques des graffeurs avaient recouvertes. "Tiens… Ils ont repeint ..."

"Non mais pourquoi vous faites ça ? C’est joli !" En effet, pour les passants, c’est joli ce qui a été fait hier soir. Une pieuvre, des baleines, des enfants une bombe de peinture qui se disloque... C’est coloré, c’est lumineux, c’est pas mal exécuté… Bref, ça passe bien. "Oui mais vous savez ce qu’il y avait en dessous ?" La plupart ne savent pas quoi répondre. Alors on leur explique. On leur dit que depuis plusieurs semaine cet espace avait été investi et transformé en mur d’expression. Un endroit où les gens pouvaient écrire ce qu’ils voulaient. "C’est beau mais ce qui compte c’est comment ça a été fait". On est dans la philosophie socratique, le dialogue est maïeutique, le sujet deux fois millénaire : le Beau, le Bon et l’ambigüe connivence entre ces deux concepts que le pouvoir exploite a son avantage.

Le soleil tape très fort. "Non mais ne vous gênez pas ! Allez y ! Salopez tout." Un homme filme en vociférant sur ceux qui inscrivent des slogans. Il n’est pas possible de parler avec tout le monde. Il y en a qui passent et félicitent la troupe pour ces magnifiques images qui ont "couvert cet immonde amas de fautes d’orthographe" et qui déchantent quand on les détrompe, quand on leur explique comment. Il y a quelque chose à l’œuvre. "100€ le mètre linéaire" peut on lire sur la palissade. "C’est sur nos impôts que vous faites vos saloperies" s’exclame un passant. C’est vrai que la rumeur dit que c’est la Mairie qui les aurait payés pour faire du "street art" là. Ça serait la suite du "M.U.R.".

On se désaltère en terrasse. Les graffeurs auraient été invités au dernier moment. On demande : "Mais ils vous ont fait quoi ces artistes". Justement, ils n’y sont pour rien. Ils font le tampon, le bouc émissaire. Ça me fait penser au nudge ; cette stratégie de communication qui à pour but, sous des aspects positivistes, de faire gober n’importe quoi à n’importe qui. Les circonstance du recouvrement sont pour le moins étranges. De nuit, sans prévenir. Les "petites mains" ne sont pas toutes de Tours. La plupart ignore tout de ce que représente ce mur dans le contexte actuel. "Au fait ! La loi travail… Elle est passée !" entend on … Les passants sont de plus en plus nombreux à prendre une bombe, demander un conseil et écrire un "truc". La médiation, ça a du bon. C’est la différence entre la culture et la communication. Ça travaille.

"La liberté d’expression je croyais que c’était pour tout le monde". Une figure de la culture tourangelle passe comme un spectre, répond à peine à mon salut. Elle nous assène ces mots puis s’éloigne, muette, méprisante, refusant de justifier cette affirmation. "Non mais je comprends en fait ce qui vous gonfle. C’est normal." disait l’un des artistes nocturnes. La liberté d’expression n’est plus en cause à ce niveau. On se demande si les actes ont du sens. C’est la liberté d’action qui est en question. "Putain ! Le mur est a moi, tu touche pas si je suis là". Les mots ont choqués mais c’est normal. Dans le milieu du graff, tu viens pas foutre la merde sur ce qu’un mec est en train de faire. C’est du respect. Par contre, le lendemain, tout le monde s’en branle. Il y a une hiérarchie… il avait ajouté : "Non, mais c’est tout les murs de la ville qu’il faudrait taper". Ou pas. Le plus beau dans la désobéissance civique, c’est qu’elle a plus de force quand elle est locale, encadrée cohérente. En se cantonnant a ces quelques mètres de tôle, les militants contre la loi travail se sont rendu vulnérables et identifiables. Montrant le flanc et mettant au défi l’institution de les "interdire". Ils s’attendaient à la police ou au ripolinage. Ils ont eu la déco.

La forme inattendue de cette oblitération a ouvert le champ des possible. "Le plus important maintenant, c’est de laisser de la place pour que les gens puissent écrire". disait un des militants en fin de journée. L’objectif est de remettre du blanc... Ça a bien plus de sens au final qu’écrire quoi que ce soit. La palissade est un combat perdu d’avance puisqu’un jour les hôtels seront construits (?). La loi travail est passée...

Pierre-Henri RAMBOZ

(crédit photo en tête d’article : Laurent TALIN-d’EYZAC)

P.-S.

Je ne donne pas de nom, parce que je ne suis ni pour ni contre personne. En revanche, je constate et déplore des actes, des actions et des prises de positions qui sont néfastes au niveau locale en matière de liberté et de culture en général. Je ne cite donc que des organisations, des groupes ou des institutions. Je rapporte les faits tels qu’ils me sont parvenus. J’assume totalement leur caractère subjectif.