Éloge de la hiérarchie et de l’objectivité économique par Wilfried Schwartz : de la « spontanéité » socialiste

Quand Wilifried Schwartz, maire PS de la Riche, donne une interview à Info-tours, le site titre qu’il « revendique sa spontanéité ». On se réjouit du courage d’un politicien qui rompt avec la traditionnelle langue de bois et on se dit qu’on va enfin savoir de quel bois (justement !) il est fait. Décryptage de quelques éléments de langage de cette franchise affichée.

Critique de la notabilité par un enfant de l’appareil

Le journaliste, Olivier Collet, commence d’abord par saluer le franc parler et la modernité « de la nouvelle personnalité politique en vogue dans l’agglo » [1], lequel se positionne alors entre défiance et respect vis-à-vis de ses (plus ou moins) glorieux aînés.

« (...) il a un certain franc parler, une manière moderne de faire de la politique, "la politique de notable c’est terminé" [2]. dit-il tout en affirmant dans le même argumentaire respecter le travail de ces prédécesseurs. »

Critiquer les notables est en effet compliqué pour Wilfried Schwartz qui est un pur produit de l’appareil socialiste et que les personnalités du coin nourrissent au grain depuis des années. C’est qu’on ne devient pas le plus jeune maire socialiste de France par hasard. Respecter un peu les anciens c’est donc bien le minimum que peut faire le jeune ambitieux.

La carrière politique de Wilfried Schwartz est peut-être moderne, elle est en tous cas similaire à celles de tant d’autres de ses collègues socialistes. Une simple évocation de ses faits d’armes les plus notables suffit en effet à décrire l’écart béant qui sépare Wilfired Schwartz des « notables ».

Il adhère au MJS (Mouvement des Jeunes Socialistes [3]) en 2002 alors qu’il n’a que 17 ans. Il y fréquente notamment Ludovic Lepeltier et Vincent Tison, futurs assistants parlementaires de Jean-Patrick Gille.

En 2006, il est élu vice-président étudiant de l’Université de Tours. Une fonction qui, si elle n’a pas directement de rapport avec la politique municipale ou partisane, est souvent un marche-pied vers celle-ci et trahit en tous cas une sérieuse appétence pour le pouvoir. Philippe Briand a notamment occupé cette fonction à une période lointaine et l’actuel vice-président étudiant, Thomas Thullier, était candidat aux élections municipales... sur la liste de Wilfired Schwartz à la Riche. Si on ajoute à cela les liens quasi consanguins entre le PS local et l’université, on comprend que tout cela n’est pas innocent [4].

En 2007, il cumule cette fonction de vice-président étudiant avec celle de directeur de campagne de Marisol Touraine pour les élections législatives (élections qu’elle remporte avec un score ric-rac de 50,22% au second tour). A partir de 2008 et pendant 4 ans, il travaille à la mairie de la Riche en tant que directeur de cabinet d’Alain Michel, le maire socialiste de la ville. Maire qui le désigne comme son successeur pour les élections municipales de 2014. De 2008 à 2013, il est aussi conseiller municipal à Saint-Pierre-des-Corps (il en a démissionné en octobre 2013 afin de pouvoir être candidat aux élections municipales à la Riche 6 mois plus tard). Son assiduité en séance n’a semble-t-il pas été très remarquée.

En 2014 donc, il obtient son premier mandat en devenant maire de la Riche en l’emportant avec 54,56% des voix malgré la déculottée que se prennent les socialistes à l’échelle de l’agglomération comme de la France. Il y est donc en fonction jusqu’en 2020 mais conserve aussi son emploi de « chargé d’insertion professionnelle et de la promotion du doctorat » à l’Université de Tours.

Éloge de la hiérarchie d’un socialiste rebelle

Un emploi qu’il justifie d’avoir gardé au cours de l’interview accordée à Olivier Collet :

« J’ai par ailleurs tenu à garder un emploi à mi-temps à l’Université de Tours. C’est indispensable pour mon équilibre personnel, notamment parce que j’y ai un supérieur hiérarchique ce qui n’est pas le cas à la mairie. Ca permet de rester pleinement ancré dans la réalité. »

L’éloge de la hiérarchie est simplement hallucinante... Ce serait donc ça la (seule et unique) réalité ? Cela veut-il dire qu’à la mairie de la Riche il fait ce qu’il veut sans rendre de comptes à personnes ? Si avoir un chef est essentiel à son équilibre personnel, on recommande à Wilfried Schwartz de s’essayer à un poste subalterne avec une vraie hiérarchie bien sévère, par exemple chez Lidl à se faire hurler dans les oreilles toutes la journée.

Autant dire qu’on ne croit pas trop à cette justification. On essaye d’en proposer une basique : les ronds. En plus, avouer à un média qu’on conserve un emploi à mi-temps parce que c’est un bon complément de salaire, ce serait un beau signe de « spontanéité ». Une autre justification probable est sans doute la continuation de l’histoire d’amour qu’entretient Wilfried Schwartz avec l’université.

Car s’il est une institution à laquelle il doit beaucoup, c’est bien l’université de Tours. Comme beaucoup de politiciens aux dents longues c’est là qu’il a fait ses classes et qu’il retrouve une place au chaud quand le besoin se fait sentir. Comme dit précédemment Wilfried Scwartz a ainsi été vice-président étudiant de l’Université de Tours [5]. Il a occupé cette fonction au moment de la LRU, une époque où le président de l’université, Michel Lussault, lui aussi proche du parti socialiste, défendait corps et âme la réforme. Depuis ce moment là, Wilfried Schwartz a toujours été un bon petit soldat de l’université et de ses politiques.

Elle le lui a bien rendu. Lorsqu’Alain Michel l’a désigné comme son successeur et que sa candidature à la mairie de la Riche pour les élections de 2014 s’est dessinée, Wilfired Schwartz était employé de la dite mairie. Il ne pouvait alors pas se porter candidat s’il en restait salarié. La loi impose en effet de ne plus occuper (notamment) un poste de directeur de cabinet depuis au moins 6 mois pour être éligible [6]. Une opportune embauche à l’Université lui a donc permis de trouver une situation plus confortable et de pouvoir se présenter. Une fois de plus, le respect et la loyauté envers l’institution semble être le minimum que Wilfried Schwartz puisse faire.

Rien de bien nouveau là-dedans. Nombre de politiciens « notables » se sont appuyés sur l’université pour faire carrière. A Tours, les liens entre l’université et le PS ne sont plus à démontrer. C’est entre ces deux institutions que Wilfried Schwartz s’est construit, là qu’il a pu croiser Jean Germain qui a présidé la fac avant de venir maire de Tours, Franck Gagnaire, un de ses camarades jeunes socialistes, ancien élu étudiant et candidat pour le PS aux élections européennes de 2014 ou encore Benoît Wolf, ex-secrétaire fédéral de la section PS d’Indre-et-Loire et aujourd’hui responsable administratif de l’UFR Arts et Sciences Humaines. Une affaire politico-universitaire qui roule et qui n’a rien de bien spécifique tant l’alliance UNEF-MJS-PS-universités alimente depuis des années la classe politique nationale.

Une des particularités locales, dont Wilfried Schwartz a été le précurseur, est que ce n’est plus l’UNEF qui sert de marche-pied aux jeunes socialistes mais le regroupement d’associations corporatistes baptisé « élus-assos ». C’est sous ce patronage qu’il a été élu vice-président, tout comme Thomas Thuillier après lui ou encore Franck Gagnaire, ancien élu étudiant au conseil scientifique (même si Franck Gagnaire a été élu sous la bannière de l’UNEF avant de virer sa cuti). Une étiquette qui a l’avantage pour eux d’être moins évidemment lisible que celle de l’UNEF [7] et de pouvoir clamer la toujours aussi idiote mais tragiquement efficace ambition de rester « apolitique ».

L’économie contre l’idéologie : la rupture tranquille

« Apolitique » ? Un terme merveilleux fait pour laisser entendre qu’il y aurait les mauvais qui prendraient des décisions ou se feraient élire avec des motivations politiques (ou, pire, idéologiques !) et les bons qui eux raisonneraient sur des bases objectives ou pragmatiques. Quand on voit comment les jeunes pousses locales se servent de ces mouvements pour grimper les échelons, faire leur trou et lancer leur carrière politique, on se pince. Dans le même temps, on comprend aussi comment ces discours les formatent et les préparent à défendre, spontanément bien sûr, l’ordre dominant.

Apparemment Wilfried Schwartz a bien appris sa leçon. Interrogé par Olivier Collet sur la pertinence de la subvention accordée à l’aéroport, il déclare ainsi doctement que :

« Là dessus, il ne faut pas avoir une position idéologique mais économique. Il faudrait lancer une étude sur les impacts de l’aéroport ; savoir si cela a un réel intérêt. Il faut poser la question pour 2016. Il nous faut un point de vue objectif. »

Ce discours qui oppose positions idéologiques et positions économiques ou objectives, les politiciens et les éditorialistes nous le servent en permanence à grosses louches pour défendre leurs idées en triant le vrai (l’économique qui serait donc objectif) du faux (l’idéologique). Non seulement une fois de plus Wilfried Schwartz se comporte comme les « notables » qu’il dénonce mais en plus il s’agit là d’une supercherie qu’on aimerait ne plus avoir à décrypter.

Comme on est sympas, on va réexpliquer une ultime fois à Wilfried Schwartz et ses copains objectivistes, économistes ou pragmatistes pourquoi ils sont les premiers des idéologues. Défendre un pragmatisme basé sur l’évaluation économique, financière ou comptable des décisions à prendre est idéologique. Premièrement parce que privilégier les motivations économiques sur d’autres c’est hiérarchiser des valeurs (avec l’économie comme supérieure) donc faire un choix idéologique [8]. Deuxièmement parce que l’économie se compose de choix entre systèmes eux aussi idéologiques voire est une idéologie en elle-même [9].

Le plus souvent, procéder comme proposé par Wilfried Schwartz revient à arbitrer en considérant la doctrine capitaliste ou libérale comme la seule vérité (à l’exception des autres qui seraient idéologiques) et donc participer à défendre et répandre ses valeurs. On ne fera pas ici de procès en cynisme à Wilfried Schwartz. Il affirme être « spontané » et on le croit puisque le terme n’est pas loin d’être synonyme de naïf. Et on comprend que, comme beaucoup, il se laisse berner par le fait qu’une idéologie lorsqu’elle est dominante, comme c’est le cas du capitalisme libéral, se masque alors sous l’apparence de l’évidence et se fait donc passer pour la réalité [10].

Bref, Wilfried, ce n’est pas parce que les idées que tu défends sont celles qui dominent nos vies depuis quelques décennies que tu es objectif ! Ceux qui opposent idéologie et objectivité économique sont toujours ceux qui se battent pour l’avancée du libéralisme. C’est avec ce genre d’argumentaire foireux qu’on essaye systématiquement de nous faire gober qu’il faut travailler plus, pour moins cher, qu’il faut « libérer » les entreprises du droit du travail qui les entrave, qu’on ne peut pas revenir en arrière sur un projet d’aéroport ou qu’il faut savoir négocier gentiment la dilapidation de conquis sociaux. Wilfried, prends donc une décision pragmatique : bats toi pour la suppression des subventions à l’aéroport et même la fermeture de celui-ci !

Xyloglossie sauce Schwartz [11]

On arrête là, y aurait encore plein de choses à dire sur le contenu de cette interview et notamment les déclarations d’amour au label French Tech et la revendication du fait qu’il faut que l’agglomération de Tours en finisse avec la modestie (pardon ?).

Finalement, on a bien compris que la « spontanéité » de Wilfried Schwartz n’est jamais que sa manière de revendiquer le poncif politicien qu’est le « parler vrai » : de la langue de bois.

Marine Desbiens
Simon Robin

Notes

[1La flatterie semble être un exercice apprécié des journalistes locaux, même si Olivier Collet reste ici très sobre comparativement au nouveau standard posé par Sabrina Melloult.

[2Les éléments de langage à ressortir sans cesse aux médias ne sont eux apparemment pas en voie de disparition, Wilfried Schwartz avait en effet fait exactement la même déclaration (très exactement : « Les élus notables, c’est terminé ! ») à la Nouvelle République le premier avril (faut-il y voir le signe du fait qu’il s’agit à l’évidence d’une blague ?) 2014.

[3Pour vous faire une petite idée de la radicalité du MJS, on recommande la lecture de l’article publié par la Rotative sur la dernière université d’été du PS.

[4Ceux qui ont bataillé contre la loi LRU à Tours se souviennent sans doute avec émotion du rôle joué par le vice-président étudiant ainsi que ses copains du MJS et de l’UNEF à l’époque... S’il prend à certains nostalgiques l’envie de rigoler un peu notons que le site qu’utilisait l’UNI est encore en ligne. Cliquez ici, c’est offert.

[5Wilfried Schwartz a même été trésorier de la Conférence nationale des étudiants vice-présidents d’université, une association dont le but unique semble d’être de permettre à ses membres d’agrandir leur réseau, c’est toujours utile pour la carrière future, et de se faire mousser un peu plus.

[7Elus-assos est aussi un regroupement clairement plus à droite que l’UNEF. Ses représentants n’ayant par exemple vu aucun problème à présenter un candidat issu du très droitier syndicat étudiant UNI (Sofian Goudjil) lors du dernier scrutin étudiant. Ce qui démontre assez bien comment les futurs cadres socialistes et droitards se côtoient fort bien quand il s’agit de conquérir le pouvoir. Ce n’est pas vraiment nouveau (on en appelle ici à nouveau aux souvenirs de l’époque LRU) et du coup ça ne nous surprend pas beaucoup quand on apprend que Wilfried Schwartz fait la chenille au Temps Marchine avec Philippe Briand et Frédéric Augis.

[8On peut définir une idéologie comme un système hiérarchisé de valeurs ayant pour objectif la légitimation d’une forme d’organisation du pouvoir.

[9C’est notamment la thèse défendue par Jacques Fradin dans les fort intéressantes vidéos mises en ligne par le site Lundi matin.

[10On sait bien que les socialistes ne lisent plus de livres à part ceux de Jacques Attali ou d’Alain Minc et ne se réfèrent plus à Marx depuis des années mais en ces périodes de fêtes on ose une suggestion de lecture à Wilfried Schwartz : Karl Marx, L’idéologie allemande, 1846 (en vente dans toute bonne librairie qui a compris comment on peut faire des ronds avec le marxisme).

[11Xyloglossie : du grec xylon (bois) et glossa (langue).