Élections étudiantes à Tours : une parodie de démocratie

Les élections des représentants étudiants aux divers conseils centraux de l’Université de Tours avaient lieu les 1er et 2 avril 2014. Comme souvent pour ce type de scrutin, les fraudes de divers ordres ont été nombreuses. Celles-ci soulignent les pratiques peu démocratiques de certaines listes et le faible entrain de l’administration à les combattre.

Tous les étudiants de l’Université François-Rabelais de Tours étaient appelés à voter pour élire leurs représentants au Conseil d’Administration (CA) et au Conseil des Études et de la Vie Universitaire (CEVU). Les étudiants du troisième cycle (doctorants) votaient également pour élire leurs représentants au Conseil Scientifique (CS). Étaient candidats à la fois les syndicats étudiants UNEF et UNI-MET, le réseau des étudiants entreprenants (Fabrique ta Fac) ainsi que différentes listes associatives parmi lesquelles les étudiants musulmans de France (EMF), l’association des doctorants en sciences humaines et sociales (ADSHS, uniquement pour le CS) et l’association Elus-Assos regroupant les grosses corporations (pharmacie, médecine, droit) et les associations filiéristes (archéologie, psychologie, etcetera).

La victoire des associations corporatistes, un résultat attendu

Les résultats de l’élection sont clairs. La liste Elus-Assos remporte 3 sièges sur 5 au CA, 9 sièges sur 14 au CEVU et 2 sièges sur 4 au CS [1]. Ces résultats viennent entériner une situation déjà ancienne à l’Université de Tours. En effet, cela fait quelques années déjà que les associations corporatistes et filiéristes ont supplanté les syndicats dans la représentation étudiante. Outre leurs assises traditionnelles dans les gros bataillons d’étudiants de pharmacie ou de médecine (où elles sont si hégémoniques qu’elles font la pluie et le beau temps sur les campus) et la notoriété acquise plus récemment dans les rangs des juristes-phallocrates, les corporations séduisent aujourd’hui de nombreux étudiants avec leurs sirupeux discours vantant les mérites de l’apolitisme et de l’indépendance partisane [2]. Favorite des étudiants dépolitisés, cette liste bénéficie aussi de la bienveillance de la présidence de l’Université. L’un des avantages des élus associatifs est ainsi leur capacité à ne jamais s’opposer trop fortement aux orientations choisies par cette dernière. Comme un juste retour, elle leur a notamment réservé une place de choix en diffusant largement leurs messages sans prendre la peine de les distinguer clairement d’une communication officielle [3].

Cette alliance associative a depuis quelques temps supplanté l’UNEF pour servir de marche-pied aux ambitions individuelles de ses têtes d’affiche. Avec l’assentiment de l’administration, elle permet aujourd’hui à qui de lancer sa carrière universitaire, qui sa carrière politique, qui, combo gagnant, les deux. Le meilleur exemple récent de cette mécanique bien huilée est sans doute Wilfried Schwartz. Après avoir été leader associatif puis vice-président étudiant [4], il a, lorsqu’il a été temps pour lui de briguer la mairie de La Riche, trouvé à l’Université un soutien de marque pour préparer sereinement sa campagne [5].

Des fraudes multiples et diverses, comme d’habitude...

Les élections étudiantes sont souvent l’occasion pour les aspirants aux cercles de pouvoir (si petits soient-ils) de s’exercer aux différentes techniques de fraude les plus courantes comme les plus originales. L’édition 2014 des élections à l’Université de Tours n’a pas dérogé à la règle.

Passons outre les pressions physiques et verbales exercées sur certains électeurs par les différentes listes en présence, allant du simple « t’as voté hein ? t’as encore le temps... » au plus musclé « vote pour nous, ça vaut mieux pour ta gueule », nous nous concentrerons ici surtout sur les dysfonctionnements organisationnels qui ont émaillé ces deux jours de scrutin. En voici un listing très largement non-exhaustif mais toutefois instructif :

  • Alors que le juste déroulement du scrutin est censé être garanti par la présence du personnel administratif de l’Université, certains bureaux de vote, notamment celui de l’UFR de Pharmacie, ont été entièrement administrés et surveillés par des étudiants dont certains étaient issus des associations corporatistes (leur manie de se vêtir de sweat-shirts aux couleurs de celles-ci ayant le mérite de les rendre aisément identifiables).
  • Des personnes non-doctorantes ont été autorisées à voter pour le Conseil Scientifique à l’UFR Droit, Economie et Sciences Sociales. Ces faits éclairent sous un nouveau jour la célèbre probité des futurs juristes. Parmi ces "faux doctorants" se trouvait notamment l’actuel vice-président étudiant. Celui-ci, qui est aussi l’ancien leader de la corporation de droit, aura sans doute des difficultés à plaider son ignorance du règlement des élections [6].
  • De manière générale, sur les différents sites de l’Université, les urnes utilisées (soit en bois, soit sans compteur mécanique, soit sans système d’obstruction, soit partageant ces trois caractéristiques) jettent un discrédit malvenu sur la sincérité du scrutin. Ainsi dans au moins un UFR (Arts et Sciences Humaines), le nombre de votant au CS dépassait le nombre de personnes ayant signé la feuille d’émargement.

Malgré un score honorable, une liste demande l’annulation

Ces irrégularités n’eurent nullement empêché le monde universitaire de tourner, si des petits malins, sans doute épris d’une surprenante éthique et déontologie (ils n’ont manifestement rien compris au principe d’une élection étudiante...) n’avaient décidé de les relever consciencieusement. Les candidats de la liste « Agir ensemble pour la Recherche » (on notera au passage l’originalité du nom de leur liste, sans doute ont-ils hésité avec « Le changement dans la recherche c’est maintenant ! »...) ont ainsi initié un recours auprès de la présidence de l’Université et du Tribunal Administratif d’Orléans. Malgré le fait qu’ils s’estiment satisfaits des résultats obtenus pour le Conseil Scientifique (remportant deux sièges sur quatre), ils réclament l’annulation du scrutin.

Ce ne sera sans doute pas simple... En effet, lorsque ceux-ci ont souhaité obtenir une copie des listes d’émargement utilisés à l’UFR de Droit, le service juridique de l’Université leur a demandé de bien vouloir soit « les consulter sur place à la présidence de l’Université », soit « de demander à l’université de [leur] en fournir les photocopies (...) facturées 0,18€ la copie » [7]. Pour justifier de cette demande, l’adjoint au directeur général des services s’appuyait sur un document intitulé « Comment consulter les listes électorales ? » s’appliquant aux élections municipales (sic !). Des élections municipales décidément bien présentes dans cette parodie de démocratie [8] que sont les élections étudiantes...

Notes

[1Tous les résultats sont disponibles sur le site de l’Université.

[2Cette indépendance est toute relative lorsque l’on sait, par exemple, que le candidat en troisième position de la liste Elus-Assos pour le CS, Sofian Goudjil, est un ancien élu de l’UNI (syndicat d’extrême-droite bien connu des étudiants). Lorsque l’on sait surtout que les élus associatifs votent systématiquement pour la FAGE ou PDE lors des élections du CNESER (Conseil Nationale de l’Enseignement Supérieur Et de la Recherche), deux organisations qui négocient, toujours très gentiment, avec les gouvernements successifs.

[3A la veille du scrutin, un message provenant de la boîte mail du président et ne faisant pas mention d’un transfert d’informations a été envoyé à tous les étudiants pour vanter le programme d’Elus-Assos. Pareille méthode a été employée à l’INRA lorsque la directrice du centre a "informé" ses ouailles de la candidature de la liste au CS.

[4Désignés par le président parmi les élus étudiants, les vices-présidents étudiants (VPE) sont supposés lui tenir conseil et pour cela sont rémunérés.

[5Étant à l’époque employé de la dite mairie, Wilfried Schwartz ne pouvait alors pas se porter candidat ; son embauche à l’Université lui a donc permis de trouver une situation plus confortable.

[6Notons par ailleurs que ce vice-président étudiant était candidat (il ne fut pas élu) sur la liste du sus-nommé Wilfried Schwartz aux élections municipales à La Riche. Le monde est décidément si petit...

[7Ils se sont aussi engagés par écrit à ne pas utiliser ces listes à des fins commerciales... sans doute pour éviter une pratique encore rare à l’Université : l’achat de voix !

[8A Tours, comme pour les municipales, l’abstention est arrivée largement en tête des élections étudiantes : cette année, ce sont tout au plus deux électeurs sur dix qui se sont exprimés !