Du Cameroun à la Touraine, galère d’un Africain demandeur d’asile

Monsieur X est camerounais et demandeur d’asile. Il (sur)vit à Tours depuis quelques semaines. Il nous a raconté son histoire. Un témoignage personnel qui ressemble pourtant à bien d’autres et qui questionne la réalité du droit d’asile en France.

Nous mettons à votre disposition une synthèse de l’entretien que nous avons réalisé avec monsieur X mais vous encourageons surtout à écouter les enregistrements, plus parlants mais aussi plus durs.

Champion de boxe et gérant d’un club de karaté et de boxe savate, monsieur X enseigne les arts martiaux à des publics différents. Parmi ceux-ci figurent notamment divers trafiquants. Au courant de la situation, la police camerounaise se sert de la situation et il devient indic. Après avoir participé à faire tomber quelques gangs, les choses se corsent, monsieur X craint pour sa vie et décide de quitter le Cameroun.

Première demande d’asile en France, expulsion, trahison, incarcération au Cameroun

En 2002, monsieur X essaye une première fois d’immigrer en France. Menacé au Cameroun, il espère obtenir l’asile. Utilisant le passeport d’une autre personne, il réussit à arriver jusqu’à l’aéroport de Roissy. Il ne passera jamais les portes de l’aéroport et n’en ressortira que pour prendre un avion le ramenant à son point de départ.

Arrêté, il est placé en Zone d’Attente Prioritaire (ZAP) [1]. Le Cameroun est considéré par la France comme un pays en paix, un pays "sûr" [2] et, dès lors, son cas est traité de manière expéditive. Sa demande d’asile lui est refusée immédiatement après qu’il l’a déposée. Son sort est scellé : c’est l’expulsion. Celle-ci est savamment orchestrée : menottés avant de monter et encadrés chacun par deux policiers, monsieur X et d’autres personnes à expulser embarquent dans l’avion bien avant les autres passagers. L’objectif est simple : les passagers du vol ne peuvent pas se rendre compte de l’expulsion dont ils sont témoins, toute tentative de résistance ou de protestation est réduite à néant. Les expulsables ne sont détachés qu’après le décollage.

En France, deux policiers ont promis à monsieur X qu’il ne serait pas incarcéré à son arrivée au Cameroun. Ils lui ont aussi promis de l’aide matérielle pour son club d’arts martiaux. Mais ces promesses s’évaporent vite... A l’arrivée, il est bel et bien incarcéré, et les policiers français disparaissent une fois leur travail "bien fait". Face à la menace de la prison camerounaise, monsieur X utilise alors la seule possibilité qui lui reste : la corruption.

Partie 1/4 : première demande d’asile en France, expulsion, trahison, incarcération au Cameroun
Interview de Monsieur X, première partie, 13 minutes et 25 secondes

Retour au Cameroun : une histoire d’arbitraire et de corruption

De retour au Cameroun, monsieur X devient la cible de pressions policières accrues. Interdit de papiers d’identités, il tente d’en acheter de nouveaux. La corruption est à nouveau la seule solution possible. Mais, en tant qu’indic, il a démantelé des réseaux menant jusqu’à de hauts responsables de l’armée. Il gêne donc des individus bien placés et finit par être arrêté. Il est "jugé" par un tribunal militaire devant lequel il n’a pas le droit de prononcer un mot. Accusé de faire partie du gang qu’il a participé à démanteler, il est condamné à 12 ans de prison. Une prison dans laquelle il court tous les jours le risque d’être assassiné, avec la complicité des tribunaux.

En prison, il apprend sa séropositivité, qu’il ne peut attribuer qu’au moment de son arrestation, durant laquelle les gendarmes avaient exprimé le fait de vouloir le tuer puis lui avaient injecté une substance alors qu’il était presque inconscient.

Devant une cour d’appel monsieur X finit par défier de le président du tribunal en lui disant : "Confirmez la peine". Il déclenche ainsi un "miracle" : ce juge va mener jusqu’au bout son enquête et, ayant fait la preuve de la condamnation arbitraire et injuste dont monsieur X faisait l’objet, il le relaxe "purement et simplement". Libéré, monsieur X reste néanmoins la cible d’attaques : il est seul face aux gangs, mais aussi face au gouvernement, des hautes sphères aux politiciens locaux. Pour lui, mais aussi pour sa sœur et ses deux fils, il décide de quitter le Cameroun à nouveau.

Partie 2/4 : retour au Cameroun : une histoire d’arbitraire et de corruption
Interview de Monsieur X, deuxième partie, 15 minutes et 47 secondes

Seconde tentative de demande d’asile en France (via la Turquie)

Monsieur X achète de nouveaux papiers, qui lui coûtent de plus en plus cher. Il réussit à obtenir un visa pour la Turquie et part avec ses fils et sa sœur. En Turquie, il découvre qu’il ne peut pas être soigné et que, si l’État ne menace plus sa vie, c’est la maladie qui le fait. Après avoir envisagé de nombreuses solutions, il décide de tenter à nouveau d’obtenir l’asile en France. Il sait qu’il se heurtera à nouveau à l’argument du Cameroun comme "pays sûr", mais il espère que l’État français reconnaitra la réalité de sa situation et sa part de responsabilité dans celle-ci. En attendant, il dort dans un jardin public de Tours (la personne qui devait l’accueillir l’a mis à la porte en apprenant sa séropositivité) et, comme tant d’autres, essaie désespérément d’obtenir un hébergement grâce au 115.

Partie 3/4 : seconde tentative de demande d’asile en France (via la Turquie)
Interview de Monsieur X, troisième partie, 6 minutes et 46 secondes

Vivre quand on est séropositif, pauvre et immigré

La seule bonne nouvelle dans l’histoire de monsieur X, c’est que son arrivée à Tours lui a enfin permis d’obtenir une prise en charge médicale digne de ce nom. Il attend actuellement des résultats d’analyses avant de suivre un traitement adapté. Malgré cela, vivre quand on est séropositif demeure difficile et complique sérieusement les rapports aux autres, ce que monsieur X raconte très bien.

Partie 4/4 : vivre quand on est séropositif, pauvre et immigré
Interview de Monsieur X, quatrième partie, 6 minutes et 43 secondes

Monsieur X, Muriel, Caroline et Antoine Marcireau

Image : Erik Drooker

Notes

[1Une Zone d’Attente Prioritaire est l’espace de l’aéroport où sont parqués les candidats à l’immigration le temps que les autorités françaises décident de leur sort.

[2C’est le gouvernement, via l’OFPRA (Office Français de Protection (sic !) des Réfugiés et Apatrides) qui dresse la liste des pays dit "sûrs". Le droit d’asile n’est pas accordé aux ressortissants de ces pays.