Domination masculine et (place de la) Liberté ?

Le 31 octobre, sur la fameuse « place de la Liberté » tourangelle, les « Amis de Jean Royer » étaient nombreux à se presser aux pieds de l’imposante statue de bronze pour en célébrer l’érection. Cette sauterie, chaperonnée par la mairie PS, a été quelque peu perturbée par des manifestantes troubles-fête arborant pancartes et moustaches afin de rappeler la violence du sexisme quotidien et banalisé...

Domination masculine et "Liberté" ?

Jetez-moi la pierre et, avec elle, je construirai quelque chose… La phrase est de Jean Royer. Son fils Gérard l’a répétée en apercevant quelques féministes à peine majeures, venues contre-manifester silencieusement avec des pancartes. Puis les centaines d’admirateurs présents les ont littéralement noyées dans l’assistance. La cérémonie pouvait commencer.

 Extrait sélectionné et souligné par nos soins - La Nouvelle République, vendredi 1er novembre 2013.

Voilà comment M. Bruno Pille, à peine objectif et littéralement noyé dans sa petitesse journalistique relate l’événement pour le plus grand quotidien local. Notons qu’en dehors de l’aspect profondément disqualifiant et injurieux de ses propos, M. Bruno Pille se garde bien de donner le motif de la « contre-manifestation silencieuse » desdites féministes ou de s’essayer à quelques commentaires critiques un tant soit peu élaborés. Ce texte a donc pour double vocation de réparer à la fois la perpétuelle déformation vulgarisatrice exercée par les dominants sur la production de l’information (car celle-ci peut également être analysée comme relevant de la domination masculine étant le plus souvent le fait d’hommes, blancs, hétérosexuels et appartenant aux classes moyennes ou supérieures comme M. Pille) et d’apporter un éclairage sur les comportements ouvertement masculinistes observés au niveau local.

En cette fin de journée du jeudi 31 octobre, sur la « place de la Liberté », les « Amis de Jean Royer » étaient nombreux à se presser aux pieds de l’imposante statue de bronze pour en célébrer l’inauguration. Le projet d’érection de la statue a pu voir le jour grâce à une conception de l’amitié tristement étriquée et défendue par l’association : en effet, les « amis » de Jean Royer sont les 620 « généreux » donateurs qui ont permis de rassembler les quelques 44 000 € requis. Les organisateurs ont recensé quelques 300 personnes encapotées. Nous ne disposons malheureusement pas des chiffres de la police qui était décidément bien trop occupée ce soir-là à dompter les manifestantes moustachues pour empêcher tout débordement

Leur présence silencieuse et ferme a suscité d’intenses réactions : devant la curiosité et l’enthousiasme des journalistes, une barrière mâle est rapidement constituée devant les jeunes femmes qui décidèrent en réaction de porter à bout de bras leurs pancartes. La première tentative d’excision de la verrue féministe se révélant infructueuse, les puissants s’en remettent aux forces de l’ordre qui contraindront le groupe à reculer d’un pas et demi. L’intervention de deux passantes intimidera les policiers : « Vous faites partie du groupe ? » demande l’un d’eux, « Non mais je suis aussi très attentive à ce qui est en train de se passer » répondit l’une d’elle, âgée d’une cinquantaine d’années. La foule, impuissante, se déchaîne : « Dégagez, dehors ! », « Quand je vous vois j’ai honte d’être une femme ! », « Regardez-les avec leurs moustaches, ce qu’elles sont moches ! », « Elles auraient mieux fait de nous montrer leurs seins ! », « Vous êtes ridicules mesdemoiselles mais je vous pardonne »… Voici le ton des commentaires qui ont été adressés, dans un registre sexué oscillant entre des insultes franches (proférées en grande partie par d’autres femmes) et un paternalisme lubrique [1] (préféré par les hommes), aux « perturbatrices ».

Alors que l’écrasante majorité du public célébrait le « grand homme » que fut Jean Royer, ces dernières étaient venues rappeler les positions réactionnaires défendues par l’ancien ministre, député et maire de Tours à l’époque où commencèrent à être débattues les problématiques de la libération sexuelle. Monsieur Royer reste connu chez les féministes pour s’être notamment érigé en symbole de la lutte contre l’avortement.

Si ce droit est certes devenu par la suite un acquis juridique dans notre pays, sa fragilité actuelle (que l’on constate au gré des fermetures de centres IVG, au vu des délais d’attente ou encore du coût de l’opération) indique aujourd’hui une inquiétante régression. Face à l’exacerbation masculiniste, féministes et pro-féministes (de sexes masculins ou féminins, libertaires ou réformistes car ici la diversité est complexe et réelle) demandent aujourd’hui la réouverture du débat sur la contraception et sur la marchandisation du corps des femmes.

La protestation se voulait symbolique, à l’image de la violence qui peut être ressentie par toutes celles et ceux qui devront à présent passer devant l’effigie du « Père-la-Pudeur » installée au beau milieu d’une place publique avec la complicité béante de nos impôts.

M. Pille termine son article en affirmant que l’hommage était « d’initiative populaire ». Il est vrai que toutes les couleurs politiques étaient représentées ; les querelles partisanes ont été mises de côtés au profit d’une triple solidarité jouissive (de classe, de genre et de race) qui s’est illustrée brillamment. Il n’était évidemment pas légitime de mettre le doigt sur l’ambiguïté de l’alliance entre ces deux Jean (Germain et Royer), cumulards de mandats et au service de l’ordre dominant. C’est exactement ce que nous entendions dénoncer et ce pourquoi nous manifestions.
L’heure de manifestation nous vaudra une bonne dose de pudeur, de retenue et de chasteté, un contrôle d’identité avec l’assurance des bons sentiments des policiers « ce n’est pas contre vous… Désolé ce sont les ordres… ». Désolées pour vous, nous venons de jeter la première pierre et cela ne fait que commencer.

GabrielA et d’autres A/femm/ées

Notes

[1L’expression est empruntée à
Natasha Henry (cf. "Les mecs lourds ou le paternalisme lubrique", Édition Robert Laffont, Paris, 2003).